L’Independent Broadcasting Authority (Amendment) Bill sera présenté en première lecture à l’Assemblée nationale le mardi 23 novembre. Ce projet de loi est très critiqué par les professionnels du droit qui se demandent s’il ne s’agit pas d’une façon de museler la presse.
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Me Dev Ramano : « Une législation arbitraire et anticonstitutionnelle »
Pour Me Dev Ramano, ce projet de loi concernant l’IBA est très inquiétant et fait peur. « Nous devons nous montrer indignés concernant de telles provisions légales. Il faut aussi que nous situions le contexte politique et social précis de l’avènement de cette loi. »
Par ailleurs, pour lui le gouvernement actuel est en train de devenir plus autoritaire et son objectif est d’avoir plus de contrôle sur les citoyens. Il cite d’autres lois similaires, la Covid-19 (Miscellaneous provision) 2020 et le Quarantine Act 2020 et le Code pénal, entre autres.
Il fait observer que ce sont des lois imposées à un moment quand le citoyen est acculé, pétrifié de peur et bouleversé par la situation stressante de la pandémie de Covid-19.
Il est catégorique : les amendements à l’IBA Act n’ont rien de bon. Car, ils portent atteinte à la liberté d’expression, à la démocratie et ils constituent une entrave au droit à l’information. Pour l’homme de loi, c’est une attaque aux droits fondamentaux qui sont inscrits dans notre constitution, dont le droit à la liberté d’expression. « C’est un exercice de muselage de la presse et des médias qui opèrent dans le domaine de la radio diffusion. »
Il ajoute que les pénalités administratives et la nouvelle durée des permis des radios privées sont arbitraires. Par exemple, la pénalité actuelle de Rs 100 000 passerait à Rs 500 000. Concernant les peines d’emprisonnement, elle passe de deux ans à cinq ans. La durée du permis passe à un an.
Il est d’avis que c’est tragique et que c’est un coup massue pour les radios privées. D’autre part, il note que cette loi préconise de considérer les conduites passées des opérateurs avant d’accéder au renouvellement du permis.
Une autre partie arbitraire et inquiétante est l’article 22 (4) de l’IBA Bill qui stipule que « The authority may, notwithstanding any pending judicial process, take into account any sanction imposed by it on a licensee, for the purpose of determining whether or not to renew a license ».
Ainsi l’avocat indique que même si une sanction est contestée devant un tribunal, l’autorité s’arroge le droit de prendre en considération cette action dans le processus de renouvellement du permis du titulaire.
Concernant la section 18 (A) de cette loi qui est libellée « Judge in Chambers », il indique que le droit à la confidentialité sera enlevé et c’est très grave. Car, une demande devant un juge des référés peut forcer la divulgation des sources. L’autorité peut exiger des journalistes de dévoiler leur source et de remettre des données, documents et enregistrements.
Pour l’avocat, les « whistleblowers » hésiteront à dénoncer les maldonnes dans des institutions, la pratique arbitraire et illicite du pouvoir et la corruption, entre autres.
Pour conclure, « le citoyen aussi aura peur de dénoncer et de divulguer des informations et les journalistes n’ont pas leur mot à dire ». Il est aussi d’avis que cette loi est mise sur pied, afin que les autorités puissent s’en prendre aux personnes qui dénoncent et critiquent.
Concernant l’Independent Broadcasting Review Panel, Me Dev Ramano affirme qu’il agira comme un tribunal. « Ils disent que le panel sera indépendant. Si tel est le cas, cela ne sera pas une mauvaise chose. Ainsi, les personnes qui se sentent lésées pourront défendre leur cas devant le panel. Si on n’est pas satisfait de la décision du panel, on peut toujours avoir recours à la Cour suprême pour une révision judiciaire. »
« Cependant à Maurice, nous avons déjà des instances judiciaires auxquelles les citoyens peuvent avoir recours s’ils estiment qu’ils ont été diffamés », explique-t-il.
Le problème est que le président du Review Panel et ses assesseurs seront nommés par le ministre de tutelle et seront des nominés politiques. Le panel aurait à agir sur une panoplie de procédures « viciées » et de provisions légales arbitraires. Et il estime que ce sera grave pour la démocratie.
D’autre part, selon lui, avant de venir avec ces amendements, une consultation populaire avec les parties concernées, en l’occurrence : les radios privées et les citoyens, était nécessaire. Pour lui, la façon de procéder est hautement antidémocratique.
Il est d’avis que la constitutionnalité de cette loi peut être contestée. Premièrement, on peut avoir recours à l’article 17 de la Constitution : Supreme Court (Constitutional Relief) Rules 2000 GN 105 dans un délai de trois mois suivant sa promulgation. Deuxièmement, s’il y a un cas devant une cour de justice, la personne qui fait objet d’une accusation, peut évoquer la constitutionnalité de cette loi. Troisièmement, il y a la manifestation dans la rue. Cependant, avec les restrictions sanitaires, la voix du peuple est muselée.
Me Ravi Rutnah : « Pour un contrôle élargi sur la diffusion des fake news »
Pour l’homme de loi Ravi Rutnah, la loi ne doit pas demeurer statique. Vu l’évolution de la technologie, de la société, mais aussi de la façon dont les nouvelles sont diffusées, il est d’avis que la loi également doit évoluer. « La loi doit être dynamique. Et c’est pour cette raison qu’il faut des amendements qui reflètent le dynamisme dans lequel la société évolue. »
Il avance que cet amendement apporte une réglementation dans la conduite des radios privées et à la diffusion des nouvelles. Pour lui, cet amendement est surtout un contrôle élargi sur la diffusion des « fake news ». Il ajoute que ceux-ci peuvent déstabiliser l’économie et l’ordre dans le pays.
Il poursuit que cet amendement à l’Independent Broadcasting Authority Act va faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale. Et que le directeur de l’organisme ne pourra pas du jour au lendemain décider de quoi que ce soit. « Il doit y avoir un comité ainsi que des membres indépendants pour prendre des décisions. Ce n’est pas un ‘one-man show’. Au cas contraire, ce serait très arbitraire », poursuit-il.
Par ailleurs, c’est la loi qui donne naissance à un panel. Si une personne objecte à la décision de ce panel, il peut avoir recours à une révision judiciaire.
Pour lui, ces amendements à l’IBA Act ne sont en aucun cas une façon de museler la voix et le droit à l’expression du citoyen. Il estime qu’il faut faire attention quant à la production de faux documents. « Une personne peut effectuer une dénonciation avec de faux documents. Si une personne publie une information après avoir reçu de faux documents, imaginez les dégâts que cela peut engendrer. »
Ce mécanisme mis en place, avec une demande devant un juge en chambre, est important pour pouvoir différencier entre le faux et le vrai. « Nous avons besoin de lois qui soient adaptées à l’évolution et au progrès du pays. »
Concernant les droits des journalistes, il est d’avis qu’ils doivent assumer leurs responsabilités. Ces derniers peuvent préserver l’anonymat tant que l’information est vérifiée puis publiée. « La liberté d’expression ou le droit à la vie privée n’est pas réservé au journaliste uniquement, mais à tous les citoyens. Si l’information est fausse et cause préjudice à une personne, le journaliste doit divulguer sa source », maintient l’avocat.
Me Antoine Domingue, Senior Counsel : « Ce projet de loi n’augure rien de bon »
« L’Independent Broadcasting Authority (IBA) et ceux au pouvoir ont Top Fm en ligne de mire. » C’est la réaction de Mᵉ Antoine Domingue, Senior Counsel. Elle a trait aux amendements qui sont proposés pour l’Independent Broadcasting Authority Act. Il ajoute que ce projet de loi est un acte législatif « ad hominem ».
« Je ne connais aucun autre titulaire de permis qui a plusieurs procédures judiciaires en cours contre l’IBA et dont le permis de radio commerciale privée doit être renouvelé », indique-t-il. Il relate qu’il était le président par intérim de la Mauritius Telecommunications Authority (MTA), lorsque les permis de radio commerciale privée ont été accordés pour la première fois.
Restreindre la liberté d’expression
« Le président de la MTA était alors membre de droit de l’IBA. C’est désormais l’inverse, une fois le projet de loi devenu loi, le président de l’IBA sera désormais membre de droit de l’Information and Communication Technologies Authority. Compte tenu des antécédents de l’IBA, cela n’augure rien de bon. »
Il prévoit une série d’affaires judiciaires et éventuellement des demandes de redressement constitutionnel en raison de violations des droits fondamentaux. C’est à cause de l’autre projet de loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité.
« Les deux projets de loi vont de pair et visent à restreindre la liberté d’expression. Cependant, comme nous avons pu le constater par nous-mêmes, le 11 novembre 2021, le reportage unilatéral d’une affaire judiciaire de premier plan par la Mauritius Broadcasting Corporation n’a fait l’objet d’aucune réprimande de la part de l’IBA », dit Antoine Domingue.
Me Penny Hack : « Une recette pour la dictature »
Mᵉ Penny Hack soutient que les pouvoirs de l’IBA existaient plus ou moins déjà. Sauf que cette nouvelle loi viendra formaliser, clarifier et consolider ces pouvoirs davantage. Pour lui, ce type de loi est nécessaire pour réguler le secteur.
Cependant, il avance que si cette loi est entre de mauvaises mains, elle peut être utilisée pour museler la presse. Cela dépendra du pouvoir en place. Mais à travers le monde, souligne-t-il, on constate une phase inquiétante, qui veut museler la presse indépendante.
Selon lui, la consolidation d’une dictature se fait toujours à petits pas. « C’est le dernier amendement à tomber sur nos têtes, après bien d’autres », évoque-t-il.
Dictature
Concernant l’Independent Broadcasting Review Panel, Mᵉ Penny Hack, précise que tout dépendra des personnes qui en feront partie. « Je constate que c’est le ministre de tutelle qui décidera des nominations. Dans le contexte mauricien, c’est une recette pour la dictature. » Ainsi, il n’y aura pas de partialité.
D’autre part, Mᵉ Penny Hack est catégorique. « Ce n’est pas une violation du droit d’expression en soi. Mais la loi peut faire peur et intimider les organes de presse. Car le permis d’opération ne durera qu’une année au lieu de trois ans. Ce qui pourra certainement restreindre la liberté de presse. »
Concernant le droit de confidentialité, il fait remarquer qu’il n’existe pas dans un procès. Cependant, il affirme que cela n’a rien à faire avec le fonctionnement ou les pouvoirs de l’Information and Communication Technologies Act. La possibilité de faire une telle demande a toujours existé d’une façon générale, mais l’amendement décrit formellement cette possibilité en noir et blanc comme une sorte de menace qui peut effectivement décourager des dénonciations.
Rajen Narsinghen : « Une stratégie pour précensurer les radios »
Rajen Narsinghen, Senior Lecturer du département de droit à l’Université de Maurice, exprime son inquiétude à propos de ce projet de loi. « Je parle en mon nom personnel. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une stratégie concertée pour précensurer les radios dites indépendantes à Maurice. » Il estime que ces amendements vont mettre beaucoup de pressions sur les propriétaires des médias.
Il ajoute que l’IBA Act introduit en 2000 n’a pas connu d’amendements substantiels jusqu’en 2014. « En ce temps de pandémie de la Covid-19, un gouvernement dit responsable n’a-t-il pas d’autres chats à fouetter ? », demande-t-il.
Nominés politiques
Il relève l’introduction d’une amende administrative pouvant atteindre Rs 500 000. « Une pénalité d’une telle somme peut être extrêmement dangereuse. Surtout en cette période difficile quand les médias sont dans le rouge, en raison de faibles revenus publicitaires. » Il ajoute que trois amendes de ce montant peuvent signifier la mise à mort d’une radio.
S’agissant de la mise sur pied de l’Independent Broadcasting Review Panel, Rajen Narsinghen note que le Chairperson et les deux autres membres du conseil d’administration du panel seront nommés par le ministre de tutelle. « Nous avons vu comment certains avocats sont inféodés à des partis politiques. Avec de telles nominations, ce sera encore plus de nominés politiques. »
Le Senior Lecturer dit qu’il remarque qu’il faudra passer dorénavant par ce panel pour contester une sanction par l’IBA devant le tribunal. « Avant, on pouvait saisir la Cour suprême, à travers une demande d’injonction ou encore une révision judiciaire pour contester une sanction. Maintenant c’est une façon subtile d’usurper les pouvoirs du système judiciaire. Le temps que mettra la procédure devant ce panel n’a pas été défini. Ce qui risque de peser lourd dans la balance pour une radio qui doit attendre longtemps avant d’obtenir justice. »
Rules of evidence
Le plus grave, dit-il, c’est que le projet de loi stipule que le Review Panel n’a pas à se plier aux rules of evidence. « C’est du jamais vu. Une telle mesure est impensable. »
Une autre disposition décriée par le Senior Lecturer : l’article 18 A de ce projet de loi. Cet article donne le pouvoir au directeur de l’IBA de faire une demande auprès du juge des référés pour avoir un ordre qui somme un journaliste de divulguer un document.
« Les demandes auprès du juge des référés sont faites en l’absence de la partie visée. Ce qui risque d’emmener un juge à se prononcer uniquement sur la base de l’affidavit présenté par l’IBA. Le journaliste ne pourra pas défendre sa position. »
S’agissant de l’article 30 sur la tenue des audiences devant l’Independent Broadcasting Review Panel, il note que c’est un délit de ne pas répondre à la satisfaction des membres du panel. « Une réponse qui n’est pas à la satisfaction du panel est une appréciation subjective. Or, il s’agit selon le projet de loi d’un délit passible d’une amende maximale de Rs 100 000 et d’une peine de prison allant jusqu’à trois ans. Qu’en est-il du droit au silence ? », s’interroge Rajen Narsinghen.
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