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Yvan Martial : « Il fallait introduire une dose de proportionnelle entre 2014 et 2024 »

Observateur aguerri de la scène politique mauricienne, Yvan Martial, journaliste chevronné, historien et ancien rédacteur en chef de l’express, porte un regard acéré sur l’état du pays en ce début d’année 2025. Alors que le gouvernement s’installe, les attentes citoyennes s’intensifient devant les promesses faites durant la campagne électorale, il partage ses réflexions sur les défis qui attendent Maurice. Fidèle à sa réputation d’homme franc et visionnaire, il revient sur les enjeux d’un paysage politique en quête de renouveau, tout en posant un regard lucide sur l’avenir du pays.

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Comment décririez-vous l’état actuel du pays en ce début de 2025 ?

Comment le faire ? Il faudrait pouvoir dire : « L’État c’est moi ». Être ridicule mais point à ce point. Notre population se divise en 1,3 million d’habitants de mille races, religions, cultures, préjugés, idées fixes, etc. Je n’épouse pas les convictions de mon épouse et vous me demandez de parler au nom du pays. Je peux seulement inviter d’éventuels lecteurs à définir leur état présent et à savoir où puiseront-ils le courage pour poursuivre leur route, en respectant la mission patriotique qu’ils se sont assignés, en sachant que ce que nous faisons ici-bas tombera dans l’oubli. Mais au moins pouvons-nous vivre nos passions. Faire librement ce qui nous tient à cœur. Que peut-on, ici, espérer de mieux ? Nous aspirons pourtant au bonheur parfait et infini. Seul Quelqu’Un, plus grand que nous, peut nous accorder miséricordieusement cette grâce. Le pays c’est notre population. Vous et moi. Douter du pays. S’en méfier.

C’est voir le Diable en notre frère, père, enfant. Prions plutôt pour qu’ils soient des saints. Nos mentors. Notre pays progresse quand nous progressons. Il régresse quand nous régressons. Décisive est la contribution de chacun d’entre nous. Je compte sur vous.   

Quels sont les principaux défis politiques auxquels Maurice devra faire face cette année ?

Retenons le qualificatif « politique ». Donnons-lui son sens le plus noble, le plus caritatif, l’amour du prochain. Traduisons-le par le privilège d’être au service de qui s’enhardit à solliciter notre aide. Servons au mieux. Améliorons ainsi notre vivre ensemble. L’élevant à des hauteurs insoupçonnées. Notre consécration au service d’autrui peut susciter de fructueuses élévations. Privilégions ceux qui nous sont confiés contre salaire (l’élève de l’instituteur, le malade de l’infirmier, la femme battue de la policière dévouée, l’adolescent toxicomane et son rédempteur, le désespéré et son Bon Samaritain) 

Depuis l’Indépendance, notre classe politique, MMM compris, a assassiné notre démocratie régionale, alors que le colonialisme anglais en avait fait un gouvernement parallèle"

Le nouveau gouvernement est en poste depuis 45 jours. Les premiers signes sont-ils positifs ? Sont-ils à la hauteur des promesses de changement faites pendant la campagne électorale ?

Lundi dernier, lors d’un somptueux dîner, qu’offrait à ses innombrables amis et proches l'ex-vice-président de la République (2000-05), Raouf Bundhun, pressentant votre question, un voisin de table me confie : « Je compare le gouvernement PTr/MMM à une boisson gazeuse. C’est l’effervescence. Cela fait pschitt ! Profitons-en ». Contrairement à ce que radotait Laetitia, la mère de Napoléon, « ça ne dourera pas ! » L’avenir et notre électorat, seuls, diront si députés et ministres, seniors et juniors, du 10.11.2024, sont ou non à la hauteur. Un point significatif : ils promettent de faire ce qu’ont point fait, allèguent-ils, les ministres MSM. Nous les jugerons à leur aune. Après une décennie de règne ramgoolamien (2005-14), teintée de coffres-forts et de cotomili, nous avons compris que les promesses des minus de la Kwizinn Fanta étaient foncièrement mensongères. L’espoir que le bien peut venir des autres, ministres, nouveaux ou anciens, compris, fait vivre les imbéciles. Seuls ceux, faisant le bien autour d’eux, peuvent nous sauver de la médiocrité. Nul besoin d’élections pour cela. Ils se lèvent, nouent leur tablier et s’activent au service d’autrui. Que cela plaise ou déplaise. La presse les ignore. À nous de les découvrir à l’œuvre et joindre nos efforts aux leurs.   

Certaines personnes restent sceptiques par rapport à l’entente entre le PTr et le MMM et prédisent l’éclatement de cette coalition avant 2029. Qu’en pensez-vous ?

Une certitude. Le premier, du PTr ou du MMM, qui se sentira évincé, émasculé, mendiera l’aide de la Kwizinn Orangina (…) Mais mon souhait le plus cher est que Moustass et Navin me prouvent que j’ai tort d’être aussi …réaliste. L’Histoire m’interdit de passer l’éponge, rouge ou mauve, sur nos récentes tragédies partisanes. 

Quid de Rezistans ek Alternativ et des Nouveaux Démocrates ?

J’exclue les Nouveaux Démocrates. Ayant fait partie d’alliance politique au pouvoir, ils ont eu l’occasion de montrer ce qu’ils valent. Les trois parlementaires de ReA doivent prendre congé politiquement de leur parti, pour le laisser agir comme l’électron libre qu’il doit rester, pour notre salut. Plus le ReA extraparlementaire critiquera le gouvernement du prétendu Changement et mieux ce parti, tellement prometteur, conservera sa crédibilité. Plus sommes-nous proches d’un Pouvoir et mieux devons-nous, pour son salut, le critiquer sévèrement, sous peine de complicité accablante. Si le Pouvoir est assez con pour ne pas supporter la moindre critique, surtout méritée, qu’il nous sauve en nous désavouant. Le grand souffle de la Liberté est mille fois préférable à l’air empuanti de tout cabinet, surtout incapable de se sentir mauvais. Inutile est tout conseil non sollicité. J’exhorte quand même car il s’agit d’Ashok Subron et de Kugan Parapen. À leur place, j’aurais chaque jour choisi, à partir des journaux, le problème de sécurité sociale le plus criard et je n’irais pas dormir tant qu’il n’aura pas été réglé durablement, en tenant compte de son aspect général. Deux fois, 1 825 problèmes individuels réglés en cinq ans, ce n’est pas beaucoup. Mais si leur solution empêche toute récidive, il pourrait en résulter une meilleure prise en charge de l’île Maurice souffrante. 

Vouloir le Changement, sinon l’amélioration, c’est bien mais l’Imagination au Pouvoir, c’est mieux"

Les dernières élections ont encore prouvé que les partis émergents comme Linion Moris n’émergent pas, même s’ils ont été actifs sur le terrain et dans les médias. Comment peuvent-ils peser sur l’échiquier politique ?

C’est une catastrophe démocratique. Pour la 5e fois, nous plébiscitons un Parlement sans opposition ou presque. Fort heureusement, la zizanie ne tardera guère à pointer son vilain nez. Il suffira d’une révocation ministérielle bien ciblée pour que Lesjongard perde son titre de chef d’opposition, à peine étrenné, et cède sa place à des dindons de la farce, déçus d’un changement mais pour le pire. Je les entends pleurnicher : « Bezerr restt bezerr ! Si nous refaisons alliance avec ces gens-là, appelez-nous scatophages ! »

Pourquoi l’émergence de nouvelles voix est-elle aussi difficile ?

Nous parlons ici de politique et non de The Voice, ni de Star Academy. La réponse est cruellement simpliste. Les propriétaires et héritiers des partis, ayant plus ou moins réussi à s’incruster sur le poteau du Pouvoir politique, s’entendent, comme larrons en foire, pour exclure tout nouveau venu, grâce à un néfaste système électoral du First Past The Post. Ils savent le parti unique présentement inacceptable. Ils tolèrent le jeu malsain d’alliances électorales interchangeables. Ils tolèrent l’indécent concubinage électoral, nous valant des Assemblées Nationales tellement bordéliques. Le perdant, à ce tour de… passe-passe, préfère le froid polaire de la traversée du désert plutôt qu’entrouvrir la porte à nouvelles voix. Je l’entends prier frénétiquement : « Dieu Omnipotent ! Fais que ce mariage du lapin et de la carpe se brise sans tarder. Fais que la démangeaison de l’instabilité chronique divise ce que l’électorat a uni ! »

Voyez-vous émerger de nouvelles figures pour prendre la relève de Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ?

À nouvelles « figures », supposant la désignation de telles personnes aux dépens d’autres, je préfère exprimer des attentes que la population pourrait ratifier à moins qu’elle estime que je déconne. Si nous voulons le Changement, nous devons discerner ces Changements pour le mieux, leurs auteurs, promoteurs, réalisateurs, leurs bénéficiaires. Nous les trouverons dans toutes les sphères de services publics et pas seulement de la fonction publique. Quelques exemples concrets. Depuis l’Indépendance, notre classe politique, MMM compris, a assassiné notre démocratie régionale, alors que le colonialisme anglais en avait fait un gouvernement parallèle. Restaurons-la. Faisons de chaque maire, de chaque président de district, l’équivalent d’un Premier ministre sur sa commune, l’équivalent d’un chef-commissaire de Rodrigues. Encore que ce dernier règne sur 40 000 sujets, contre une centaine de milliers pour leurs homologues mauriciens. Quand manifesteront-ils leur colère ? Ranjiv Woochit peut-il imposer à nos municipalités et conseils de district la publication mensuelle d’un magazine, à distribuer gratuitement, pour informer leurs administrés de ce qu’ils ont accompli pendant le mois écoulé et ce qu’ils projettent pour le mois à venir ? S’il ne peut pas faire ça qu’il démissionne. Mahend Gungapersad peut-il, avant le 30 août prochain, imposer à nos écoles des compétitions inter-établissements en diverses disciplines (sportive, artistique, musicale, théâtrale, jardinage, élevage, artisanat) aux niveaux locaux, régionaux, nationaux ? Anil Bachoo peut-il immédiatement rétablir l’ancienne compétition, mise en place par le regretté Dr Vel Pillay, révélant le ward hospitalier le mieux tenu et entretenu, pour la plus grande satisfaction des patients ? Mahendra Gondeea peut-il organiser, d’ici fin juin 2025, la meilleure dissertation de collégiens sur les thèmes suivants (au choix) : 225 ans de la mort de Malartic et création du Collège Royal ; 200 ans du parlementarisme mauricien ; 175 ans de la municipalité de Port-Louis, de notre Cour suprême, de la Chambre de Commerce, de la cathédrale Saint-James, de la Congrégation des religieuses du Bon Secours ; 100 ans du Hindu Maha Sabha ; 75 ans de la visite de Manilal Doctor, d’élections urbaines à Curepipe, BBRH et Quatre-Bornes ; 50 ans de Gervaise, du camion fou de Rose-Belle, de l’incendie de la rue Edith-Cavell, de la révolte estudiantine de Mai-1975 ? Ce n’est pas grand-chose mais ça peut dynamiser la jeunesse mauricienne et raffermir son amour de la patrie. Le Commissaire de police peut-il être plus explicite quant au nombre exact de policiers affectés quotidiennement, sur le terrain et non dans les bureaux, à la sécurité des usagers du transport en commun, comme du public dans chaque station area, dans chaque hôpital, etc. Vouloir le Changement, sinon l’amélioration, c’est bien mais l’Imagination au Pouvoir, c’est mieux. C’est du moins ce que hurlaient les révolutionnaires de Mai-1968. Il suffit de nous inviter à proposer les changements auxquels nous aspirons. 

Gardons nos 21 circonscriptions mais avec deux élus directs chacune (les deux premiers de tout résultat électoral) et un possible 3e désigné à la proportionnelle"

Est-ce que le 60-0 du 10.11.2024 est une bonne chose pour la démocratie avec seulement deux députés de l’opposition au Parlement ?

Pas question de changer brutalement notre système électoral, aussi néfaste puisse-t-il être, puisqu’il nous vaut, en six décennies, cinq Parlements sans opposition ou presque, avec les risques dictatoriaux que cela comporte. La population préfère qu’on améliore ce qui existe déjà et lui sert de repères, plutôt que de s’égarer en de folles aventures, du genre « Seconde République ». Gardons nos 21 circonscriptions mais avec deux élus directs chacune (les deux premiers de tout résultat électoral) et un possible 3e désigné à la proportionnelle. Cela totalise 42 députés élus directement. Restent 28 sur 70 parlementaires. Désignons-les à la proportionnelle. Selon les statistiques électorales du 10.11.2024, on obtiendrait la répartition suivante de députés désignés proportionnellement : PTr/MMM, 17 députés (+ 40 auxquels s’ajoutent les 2 députés OPR=59) ; MSM, 8 députés ; LinionMoris 1 député (Roshi Bhadain) ; Alliance Libération, 1 députée (Dianette Henriette-Manan) ; Indépendants, 1 député (Nazurally). Pareil système maintient tragiquement le risque d’une majorité parlementaire des trois quarts, capable de « changer » radicalement notre Constitution, pour le meilleur ou pour le pire. Mieux rodé, ce système pourrait renforcer l’opposition parlementaire. N’oublions jamais qu’un gouvernement minoritaire peut obtenir l’approbation parlementaire de nouvelles lois si elles sont consensuelles. Cela vaut même pour un amendement constitutionnel. Mais il faut préalablement apprendre à devenir consensuel à force de dialogue, d’écoute des autres, d’esprit de compromis. Un art dans lequel excellait Seewoosagur Ramgoolam. Mais n’est pas SSR qui veut. Certes pas l’idéal. 

Voyez-vous un changement significatif dans la participation des jeunes à la politique ?

Ajoutons-y les femmes. Ma réponse est « oui » mais à condition que nos partis politiques à vocation électorale offrent immédiatement à leurs ailes « jeunes » et « femmes » la liberté, sans ingérence d’aucun leader, de désigner par elles-mêmes un nombre (à définir) de candidats jeunes et de candidates, lors de prochains scrutins. Qu’ils fassent cela et ils seront les premiers surpris du dynamisme que cela peut déclencher. Qu’ils persistent dans leur refus d’accorder cela et nous aurons la preuve que plus ça change et plus ça reste dramatiquement pareil.

Vous me direz qu’à 37 %, on est au pouvoir et à 27 % « dan karo kann ». En cela le MSM a… fauté"

Comment expliquer l’énorme défaite du gouvernement MSM, en alliance avec le PMSD, ne récoltant que 27,8 % des voix ?

De quelle défaite parlez-vous ? Dix pour cent de suffrages en moins n’est pas la fin du monde. Le PTr et le MMM possèdent-ils réservoir aussi appréciable ? Qu’ils n’accaparent pas superficiellement les votes BLD. Rendez-vous aux prochaines Municipales. S’ils sont encore alliés. Nombre de partis européens apprécieraient une tranche électorale aussi épaisse. . Il fallait introduire une dose de proportionnelle entre 2014 et 2024. Aster tro tar ! Mais la vie continue. Les perdants ne sont pas réduits à la mendicité. J’en connais qui viendront, avec leur langue cravate, mendier le soutien de Pravind Jugnauth, sous prétexte que son allié du 10.11.2024 pe fer mari dominer. La politique est affaire de patience. Il suffit d’attendre que l’adversaire fasse sa première couillonnade, pour voir rappliquer les carapates ayant changé de chiens, avant même le 10.11.2024. La population n’a pas oublié la partielle de mars 2009 au N°8, ni l’éphémère victoire PTr/MSM de 2010. Idem pour le mendiant Bérenger, suppliant, avant 2012, Bhai Anerood de ne plus être réduit au Réduit, sous le prétexte fallacieux que le « sinistre » Navin Ramgoolam conduisait le pays à sa ruine.  

Pravind Jugnauth pourra-t-il se relever de cette défaite et des scandales entachant l’ancien gouvernement ? Cela d’autant plus que le nouveau régime annonce une série d’enquêtes.
Les scandales sont faits pour être oubliés. Qui parle désormais de coffres-forts, de cotomili, de Macarena, de ‘tous sali’, de gros légumes frôlant le délirium tremens ? Anticipons plutôt des comeback retentissant, des rénovations culinaires, des retours au-devant de la scène, la découverte enfin de parfums d’Arabie.

Quels scénarios politiques envisagez-vous pour Maurice d’ici la fin de l’année 2025 ?
Depuis quand demande-t-on à un téléspectateur passif et poussif d’imaginer la fin de son feuilleton préféré. Qui vivra verra. 

  • defimoteur

     

 

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