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À table contre les maladies non transmissibles

Une bonne éducation nutritionnelle contribuerait à des choix alimentaires éclairés.
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Les habitudes alimentaires des Mauriciens : une bombe à retardement pour la santé. La transition vers une alimentation trop riche en sucres, en graisses nocives et en produits transformés alimente silencieusement l’épidémie de maladies non transmissibles. Le Dr Iswaraj Ramracheya tire la sonnette d’alarme : cette dérive alimentaire, particulièrement marquée chez les jeunes adultes, pourrait avoir des conséquences dramatiques à long terme si rien n’est fait.

Les habitudes alimentaires des Mauriciens sont étroitement liées à l’augmentation des maladies non transmissibles (MNT), telles que le diabète, l’hypertension et les maladies cardiovasculaires. Selon le Health Statistics Report 2023, les décès liés à ces maladies ont augmenté de 20 % en 10 ans (2010-2020). Cette évolution préoccupante s’explique par plusieurs facteurs interdépendants : les changements profonds dans les régimes alimentaires traditionnels, la hausse considérable de la consommation de sucre et de graisses saturées et trans, ainsi que l’augmentation systématique des portions servies.

D’après le Dr Iswaraj Ramracheya, consultant diabétologue, endocrinologue et médecin interniste, on observe une transition nutritionnelle majeure à Maurice. Les régimes alimentaires ont progressivement évolué d’une alimentation traditionnelle, biologique, préparée à la maison et principalement à base de plantes, vers une alimentation fortement occidentalisée. Cette nouvelle tendance se caractérise par une consommation importante d’aliments industriellement transformés, chargés en sucre et en graisses nocives. « Ces aliments sont généralement plus caloriques, de faible qualité nutritionnelle et contribuent à l’installation d’habitudes alimentaires malsaines sur le long terme », affirme le spécialiste.

Parallèlement, les méthodes de cuisson traditionnelles comme la cuisson à l’eau ou à la vapeur ont largement cédé leur place à la friture ou à l’utilisation de sauces industrielles toutes prêtes, généralement riches en sodium et en graisses.

Le Dr Ramracheya souligne un aspect important du régime quotidien : « Les Mauriciens consomment désormais un régime particulièrement riche en sucre, qui se manifeste notamment sous forme de boissons sucrées et de desserts variés. Dès le petit-déjeuner, la majorité de la population opte pour une combinaison de pain, beurre et fromage – des aliments riches en glucides raffinés et en graisses qui posent les bases d’un déséquilibre nutritionnel quotidien. »

Cette tendance nutritionnelle défavorable se poursuit tout au long de la journée. Le déjeuner typique mauricien comprend fréquemment des plats à emporter populaires comme le roti-dholl puri, le briyani ou les « minn » – tous caractérisés par leur haute teneur en glucides raffinés et en huiles de qualité médiocre. Un autre problème notable concerne les portions servies qui sont régulièrement excessives, équivalant souvent à ce qui conviendrait pour deux à trois personnes. Les habitudes de collation aggravent la situation avec une prédominance de biscuits industriels et de gâteaux sucrés. Le schéma se répète au dîner, qui se compose généralement de pain ou de riz accompagnés de cari ou d’autres plats préparés riches en matières grasses.

« Il existe une idée reçue selon laquelle un plat fait maison ou traditionnel serait nécessairement équilibré. Or, des préparations comme le dholl puri, le briyani ou les ‘minn fri’ sont certes délicieuses et ancrées dans notre culture alimentaire, mais elles ne sont pas forcément riches en nutriments essentiels », précise le médecin.

La surconsommation de sucre

Face à ces constats, le Dr Iswaraj Ramracheya lance un avertissement clair : « Consommer ces aliments de manière occasionnelle ou comme plaisir ponctuel ne pose pas de problème fondamental pour la santé, mais leur consommation quotidienne et systématique est littéralement en train de tuer silencieusement la population mauricienne. » 

Il déplore que les Mauriciens consomment du sucre de façon pratiquement continue tout au long de la journée, souvent sans même en avoir pleinement conscience. « La population réalise-t-elle véritablement qu’une simple bouteille de boisson gazeuse sucrée de 350 ml contient approximativement l’équivalent de 10 cuillères à café de sucre ? Ou qu’une portion standard de riz blanc de 150 grammes apporte également l’équivalent d’environ 10 cuillères à café de sucre au corps ? » s’interroge-t-il avec préoccupation.

Le spécialiste attire particulièrement l’attention sur les boissons sucrées et les jus industriels, devenus extrêmement populaires dans le quotidien mauricien. Selon lui, ces produits représentent de véritables « bombes de sucre liquide » pour l’organisme. Ils sont particulièrement problématiques car riches en sucres libres (glucose, fructose) qui pénètrent rapidement dans la circulation sanguine et sont généralement consommés en grande quantité sans procurer de sensation de satiété.

Les aliments transformés

Le Dr Ramracheya établit un lien direct entre les habitudes alimentaires et la santé publique : « La montée silencieuse mais constante des maladies chroniques comme le diabète à Maurice est étroitement liée à l’évolution de notre alimentation, en particulier à la surconsommation d’aliments riches en glucides raffinés, d’aliments hautement transformés, de boissons sucrées et de plats à emporter. » 

Il insiste sur le rôle des aliments industriellement transformés qu’il qualifie de « coupables cachés », car leur nature transformée n’est pas toujours évidente pour le consommateur. Ces produits partagent généralement des caractéristiques nutritionnelles défavorables : richesse en sucres raffinés, pauvreté en fibres bénéfiques, et forte concentration en graisses trans et en sodium. Cette composition déséquilibrée entraîne une élévation rapide de la glycémie, mettant le pancréas sous pression constante pour produire davantage d’insuline.

Un autre phénomène préoccupant est la normalisation progressive de la restauration rapide et de la street food dans le quotidien alimentaire mauricien. Ces options, autrefois occasionnelles, sont devenues des habitudes régulières pour beaucoup. Le danger particulier des MNT réside dans leur progression silencieuse : les personnes ne se sentent pas malades immédiatement après avoir consommé ces aliments, et continuent donc à les privilégier car ils sont savoureux, procurent un sentiment de réconfort et sont facilement accessibles partout dans l’île.

Les conséquences de ces habitudes alimentaires sont multiples et profondes selon le Dr Ramracheya. Cette alimentation favorise l’inflammation chronique de bas grade, accélère le développement de la résistance à l’insuline, et participe à l’apparition de l’hypertension artérielle et des maladies cardiovasculaires. Ces aliments perturbent le métabolisme, stimulent l’accumulation de graisse viscérale (particulièrement dangereuse car entourant les organes vitaux) et endommagent progressivement les vaisseaux sanguins.

« Consommer régulièrement de la restauration rapide représente un véritable tueur silencieux pour notre population. La prise de poids associée est généralement lente, progressive et souvent peu visible au quotidien, ce qui n’alarme pas suffisamment les personnes concernées. Mais à l’intérieur de l’organisme, les changements sont dramatiques : les artères se bouchent progressivement, le foie s’engorge de graisse, et l’hormone insuline devient de moins en moins efficace pour réguler la glycémie », prévient-il.

Ces mécanismes expliquent pourquoi Maurice présente aujourd’hui l’un des taux de diabète les plus élevés de toute la région africaine. Beaucoup de gens ignorent qu’ils sont diabétiques ou prédiabétiques jusqu’à ce que les symptômes apparaissent, souvent plusieurs années plus tard, lorsque les dommages sont déjà faits.

Action concertée

En parallèle de cette dégradation alimentaire, une baisse de l’activité physique est observée, attribuable à un mode de vie sédentaire accru, en partie dû au temps d’écran élevé. « Une activité physique réduite combinée à de mauvaises habitudes alimentaires entraîne une prise de poids et des maladies chroniques. »

Le manque d’éducation nutritionnelle contribue à ces choix malsains selon lui. « La combinaison de ces facteurs a contribué à la prévalence croissante des maladies non transmissibles à Maurice, ce qui explique pourquoi l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardiaques et les cancers se développent à un rythme aussi rapide. »

Il tire la sonnette d’alarme face à la hausse du diabète de type 2 chez les jeunes adultes à Maurice, qu’il qualifie de « véritable bombe à retardement pour la santé publique et l’économie de la santé du pays ». Il est désormais courant que des personnes dans la vingtaine ou début trentaine développent cette maladie, alors qu’elle apparaissait autrefois autour de la cinquantaine, fait-il ressortir. « Les taux croissants d’obésité chez ces jeunes adultes sont étroitement liés à la prévalence croissante du diabète de type 2 », poursuit-il. 

L’excès de poids, notamment la graisse abdominale, favorise la résistance à l’insuline et l’élévation de la glycémie. Ce risque est amplifié par une prédisposition génétique, puisque de nombreuses familles sont déjà touchées par le diabète.

Les normes culturelles jouent également un rôle : portions généreuses et aliments riches en calories lors des rassemblements sociaux. Il insiste sur l’urgence de mettre en place des initiatives de santé publique axées sur la prévention, observant l’insuffisance de mesures éducatives. Il plaide pour une action concertée : « La sensibilisation, la promotion d’une alimentation saine, l’encouragement à l’activité physique et l’amélioration de l’accès aux soins sont cruciales pour freiner la progression du diabète de type 2 chez les jeunes adultes à Maurice. »

Mortalité due aux principales maladies non transmissibles

Causes de décès Nombre de décès enregistre
  2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023
Diabète 2 097 2 277 2 416 2 267 2 369 2 285 2 329 2 305 2 166 2 413 2 269 2 593 2 737 2 692
Maladies cardiaques 1 611 1 545 1 626 1 630 1 823 1 891 1 934 1 850 2 080 1 945 2 056 2 772 2 636 2 251
Maladies cérébrovasculaires  744 750 687 745 742 813 993 809 934 911 924 1 041 988 920
Maladies hypertensives 466 453 497 440 399 443 509 505 643 543 497 629 697 593
Insuffisance rénale 158 171 123 159 60 72 67 62 50 58 45 145 72 56
Cancer 1 033 1 022 1 159 1 233 1 186 1 263 1 265 1 371 1 351 1 441 1 378 1 376 1 456 1 468
Maladies respiratoires chroniques 239 190 199 214 230 175 159 194 197 192 168 157 162 149
Source: Health Statistics Report 2023                      

 

Bien manger : ces erreurs qu’on fait sans le savoir

Maurice jouit d’une culture culinaire riche et variée. Pourtant, malgré de bonnes intentions, nombreux sont ceux qui adoptent des habitudes alimentaires déséquilibrées sans en avoir pleinement conscience. Le 
Dr Ramracheya pointe plusieurs erreurs fréquentes que commettent les Mauriciens, même lorsqu’ils pensent bien manger :

Trop de glucides raffinés

Le riz blanc, le pain blanc, les faratas et les « minn bwi » sont des aliments de base, mais souvent consommés en grande quantité. Ces glucides raffinés font grimper rapidement la glycémie et sont pauvres en fibres.

Les Mauriciens mangent beaucoup de riz ou de roti, accompagnés d’un peu de viande et de très peu de légumes. Une petite salade ou quelques rondelles de concombre ne suffisent pas à couvrir les besoins quotidiens en fibres et en nutriments, selon le médecin.

Il observe une dépendance excessive aux produits carnés et un manque de légumineuses (comme les lentilles, les haricots rouges ou les pois), ce qui entraîne une consommation trop élevée de graisses saturées.

Les Mauriciens consomment également trop de snacks. Ces snacks frits de rue sont savoureux, mais faciles à surconsommer, surtout l’après-midi avec une tasse de thé (gâteaux piments, bhajias, samoussas), et ils sont très caloriques.

Consommation élevée de sel

Elle est courante dans des plats comme le briyani, le rougail, les achards, et les snacks tels que les gâteaux piments et les samoussas, qui ont une teneur élevée en sodium.

Utilisation excessive d’huile

De nombreux plats sont frits ou contiennent une grande quantité d’huile – même ceux préparés à la maison. La culture de la street food, très indulgente, renforce cette habitude.

Boissons sucrées

Alouda, « lamouss », jus de fruits et boissons gazeuses sont très riches en sucre. Ces boissons sont souvent perçues comme rafraîchissantes, mais leur teneur en sucre est très élevée. Beaucoup boivent du thé ou du café avec deux cuillères de sucre ou plus, souvent avec du lait entier.

Bonnes habitudes alimentaires : les 7 clés du Dr Ramracheya 

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Le Dr Iswaraj Ramracheya, consultant diabétologue, endocrinologue et médecin interniste.

Pour instaurer de bonnes habitudes alimentaires à l’échelle nationale à Maurice, une stratégie multifactorielle impliquant le gouvernement, les professionnels de santé, les établissements scolaires et l’engagement communautaire est essentielle, plaide le Dr Ramracheya. Il propose quelques mesures concrètes :

Campagnes de sensibilisation : Lancer des campagnes nationales pour éduquer la population sur les bienfaits d’une alimentation équilibrée et les risques associés aux mauvaises habitudes alimentaires.
Éducation nutritionnelle dans les écoles : Intégrer l’éducation à la nutrition dans les programmes scolaires pour sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge.

Soutien à l’agriculture locale et amélioration de l’accessibilité alimentaire : Promouvoir la consommation de fruits et légumes locaux en soutenant les agriculteurs et en améliorant l’accès à des produits frais à des prix abordables.

Réglementation des pratiques de l’industrie alimentaire : Mettre en place des réglementations limitant la publicité des aliments malsains, en particulier ceux destinés aux enfants. Encourager les fabricants à réduire les teneurs en sucre, en sel et en graisses nocives.

Amélioration des repas scolaires : Mettre en œuvre des politiques visant à améliorer la qualité nutritionnelle des repas servis dans les écoles.

Programmes et ateliers communautaires : Organiser des activités communautaires telles que des cours de cuisine, des ateliers nutritionnels et des séances d’activité physique. Faire participer des chefs et nutritionnistes locaux peut inspirer de meilleures pratiques alimentaires.

Implication des professionnels de santé : Former les professionnels de santé pour qu’ils puissent conseiller les patients sur la nutrition lors des consultations de routine. Offrir des ateliers ou des séminaires peut les aider à promouvoir de meilleures habitudes alimentaires.

En mettant en œuvre ces stratégies, Maurice pourrait créer un environnement propice à l’adoption de comportements alimentaires sains, réduisant ainsi la prévalence des maladies liées à l’alimentation et améliorant la santé publique, selon le Dr Ramracheya.

 

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