
Contrairement aux idées reçues, les maladies non transmissibles comme le diabète ou l’hypertension ne sont pas une fatalité. Le Dr Nishant Nundlall plaide pour une prévention active, accessible à tous, et une médecine intégrée centrée sur le patient et son mode de vie.
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Les maladies non transmissibles (MNT) représentent 70 % des décès à Maurice. Comment en est-on arrivé là ? Le dépistage lancé à l’aéroport marque-t-il un tournant dans la stratégie de prévention des MNT ?
Nous en sommes arrivés là à cause d’un changement profond de mode de vie, avec la sédentarité et une alimentation ultra-transformée. Les MNT progressent souvent de manière silencieuse.
Le dépistage à l’aéroport est un signal fort, mais ce n’est qu’un point de départ. Ce qui compte, c’est la continuité : dépister, conseiller, accompagner, suivre. À travers notre programme gouvernemental, nous souhaitons ancrer une culture de prévention durable, notamment par des campagnes éducatives ciblant les jeunes générations.
Peut-on dire que l’alimentation moderne à Maurice est devenue un facteur de risque majeur ?
Absolument. Une alimentation trop riche en calories vides, en sucres ajoutés, en mauvaises graisses et en sel, mais pauvre en fibres et en micronutriments essentiels, est un accélérateur de diabète de type 2, d’hypertension, d’AVC, d’infarctus, et même de certains cancers. Ce virage alimentaire, importé et industrialisé, dénature notre cuisine traditionnelle mauricienne.
Lire une étiquette, c’est un acte de santé publique - encore faut-il qu’elle parle à tout le monde»
Le ministère de la Santé n’a eu de cesse de mener des campagnes de sensibilisation aux risques des maladies non transmissibles en encourageant une alimentation saine et équilibrée, ainsi que la pratique d’une activité physique régulière. Qu’est-ce qui n’a pas marché, selon vous ?
C’est une question essentielle. Les campagnes de sensibilisation jouent un rôle crucial, mais elles ne suffisent pas, à elles seules, à transformer les comportements. Manger sainement ou pratiquer une activité physique ne relève pas uniquement de la volonté individuelle. Ces comportements sont influencés par des réalités sociales, économiques et culturelles bien ancrées.
Prenons l’exemple de l’alimentation : si une personne a grandi dans un environnement où les aliments transformés sont omniprésents, où les produits frais sont plus chers ou difficilement accessibles, les messages de prévention perdent en efficacité. Il y a aussi le poids de la publicité, la facilité d’accès aux produits industriels, et parfois un manque de connaissances pratiques sur la cuisine saine.
Pour être efficaces, ces campagnes doivent être accompagnées de mesures concrètes : subventionner les produits sains, proposer des repas équilibrés dans les cantines scolaires, créer des espaces sécurisés pour l’activité physique. Le message doit être visible dans le quotidien des gens. En résumé, informer ne suffit pas : il faut aussi faciliter l’action.
Quels sont les « pièges » alimentaires courants à Maurice qu’il faudrait éviter au quotidien ? Faut-il revoir notre rapport au sucre, au sel et aux graisses ?
Les boissons sucrées, les snacks ultra-transformés, les fritures quotidiennes sont omniprésents. Il faut réapprendre à cuisiner maison, à lire les étiquettes, à déjouer le sucre caché et à équilibrer nos assiettes.
Il ne s’agit pas seulement de compter les calories, mais de valoriser les aliments dans leur ensemble, en tenant compte de notre culture. Nos recommandations doivent s’inspirer de notre patrimoine culinaire tout en s’alignant sur les données scientifiques.
Doit-on, selon vous, imposer des limites de sucre et de sel dans les produits industriels ?
Oui, c’est une mesure de santé publique, surtout pour protéger les plus vulnérables. Des pays comme le Mexique, l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni ont introduit des taxes sur les boissons sucrées, réduisant leur consommation jusqu’à 30 %. Ces politiques s’accompagnent souvent de campagnes de sensibilisation, de réinvestissement des revenus dans la santé, d’un étiquetage clair et de restrictions publicitaires.
À Maurice, nous devons renforcer notre taxe sur le sucre, revoir l’étiquetage, limiter la publicité ciblant les enfants et, surtout, faire de l’éducation nutritionnelle une priorité nationale.
Informer ne suffit pas : il faut aussi faciliter l’action»
Quels changements alimentaires simples mais efficaces pourraient réduire considérablement le risque de MNT ?
Des gestes simples, validés scientifiquement, peuvent profondément réduire le risque de maladies non transmissibles. Manger plus de légumes, de fibres, de légumineuses, réduire les produits ultra-transformés, cuisiner maison, limiter le sucre ajouté et boire plus d’eau sont des piliers efficaces contre le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires et même certains cancers.
Les preuves les plus solides montrent que les charcuteries, l’excès d’alcool, le surpoids et une consommation élevée de viande rouge augmentent nettement le risque de cancer colorectal, du sein, du foie ou encore de la bouche. À l’inverse, les fibres alimentaires et les céréales complètes offrent une protection réelle, notamment pour le côlon. Des données plus récentes, mais encore en cours d’évaluation, suggèrent aussi des effets protecteurs du lycopène (présent dans la tomate) et des isoflavones de soja, notamment contre les cancers du sein et de la prostate - surtout observés dans certaines populations asiatiques.
En tant que spécialiste en cardiométabolisme, je propose à mes patients des ajustements réalistes et personnalisés. Parfois, un petit changement ciblé dans l’assiette peut faire une vraie différence sur la santé – et c’est toujours là que commence la prévention durable.
Mais vous conviendrez que beaucoup diront que « legim kout ser », il en est de même pour les fruits. Comment concilier une bonne alimentation avec la cherté de ces aliments ?
C’est une préoccupation légitime. Oui, certains fruits et légumes peuvent coûter cher, surtout hors saison ou lorsqu’ils sont importés. Mais il existe des moyens concrets pour manger sainement sans se ruiner.
D’abord, consommer local et de saison est une solution simple et économique. Des produits comme le « giraumon », les « bred » ou la papaye verte sont nutritifs, abondants et abordables en saison. Ensuite, planifier ses repas permet d’optimiser les achats, d’éviter le gaspillage et de cuisiner de manière plus intelligente.
Les aliments de base comme les lentilles, pois, patate douce, manioc ou maïs sont riches en nutriments et très accessibles. Nos herbes locales - menthe, ti-piment, « bred » - sont de véritables alliées santé, souvent négligées.
Il faut aussi promouvoir les jardins communautaires. Des pays comme le Canada ont prouvé que ces espaces favorisent à la fois la sécurité alimentaire, la cohésion sociale et l’éducation nutritionnelle. Produire localement, en partageant les efforts et les récoltes, crée une dynamique positive dans les quartiers. Et cuisiner ensemble permet de mutualiser les coûts et les idées.
Enfin, des gestes simples comme la congélation des restes ou la préparation de repas à l’avance permettent de mieux gérer son budget tout en mangeant équilibré. En bref, avec un peu d’organisation et de solidarité, une alimentation saine peut être à la portée de tous.
De plus en plus de Mauriciens se tournent vers les réseaux sociaux pour des conseils santé. Quelle est la part de danger dans cette « médecine de TikTok » ?
Il y a du bon et du très risqué. Certaines vidéos vulgarisent bien la santé, mais d’autres véhiculent des mythes, voire des conseils dangereux (régimes extrêmes, cures détox, etc.). La santé ne peut se réduire à une vidéo de 15 secondes. Toute information doit être validée par un professionnel. J’invite toujours les gens à consulter un médecin, surtout lorsqu’il s’agit de maladies chroniques ou de prévention ciblée.
La prévention nutritionnelle doit-elle commencer dès la maternelle ? Que devrait-on enseigner exactement ?
Oui, et sans hésitation. L’éducation alimentaire dès le plus jeune âge est cruciale : origine des aliments, goût, équilibre. Mais cela passe aussi par les parents et les cuisiniers du foyer. À Maurice, nous observons déjà des cas de diabète de type 2 chez les adolescents. L’an dernier, 77 cas ont été détectés lors de dépistages scolaires. Cela devrait nous alerter.
Nous devons renforcer notre taxe sur le sucre, revoir l’étiquetage, limiter la publicité ciblant les enfants et, surtout, faire de l’éducation nutritionnelle une priorité nationale»
Même s’ils ont consommé des fruits et légumes lors de leur petite enfance, les habitudes alimentaires changent drastiquement à l’adolescence, avec un refus presque catégorique de ces aliments. Quels sont les risques à l’âge adulte de ce manque de vitamines que procurent les fruits et légumes ?
L’adolescence est une période charnière. C’est souvent là que se forgent les habitudes alimentaires… bonnes ou mauvaises. Lorsqu’on délaisse les fruits et légumes à cet âge, on s’expose à des carences importantes : vitamines A, C, K, folates, fibres… Ces nutriments sont essentiels au développement, à l’immunité, au bon fonctionnement métabolique.
Leur absence peut augmenter le risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et d’obésité. Mais ce n’est pas tout : une mauvaise alimentation influence aussi la santé mentale. Des études montrent qu’une consommation excessive de sucres et de graisses saturées nuit à la mémoire, à la concentration, et peut accentuer les troubles de l’humeur.
Mais il est possible d’inverser la tendance. Il faut parler aux adolescents dans leur langage : via les réseaux sociaux, avec des formats engageants, sans jugement. Organiser des ateliers dans les écoles, introduire des potagers scolaires, faire le lien entre alimentation, sport et bien-être : autant de pistes pour recréer une relation positive avec les aliments. L’enjeu est de semer des graines pour une santé durable.
Nous travaillons actuellement sur de nouveaux projets dédiés à la jeunesse, visant à promouvoir de meilleures habitudes de vie.
Les « riz-cari », « minn fri » ou « dholl puri » font partie de notre patrimoine culinaire. Peut-on concilier ces plats emblématiques avec une alimentation saine ?
Bien sûr ! Il ne s’agit pas de diaboliser nos plats, mais de les adapter : cuisson à l’huile végétale non réutilisée, accompagnements riches en fibres, contrôle des portions. L’équilibre vient aussi de l’activité physique. Manger un « dholl puri » maison, puis aller marcher ou faire du vélo, c’est une approche intégrée.
Notre alimentation repose souvent sur des portions généreuses. Doit-on aussi parler de culture de la « suralimentation » à Maurice ?
Oui, la culture de l’assiette bien remplie est ancrée. Mais manger plus ne veut pas dire manger mieux. Beaucoup mangent par habitude, par politesse ou par stress. La pleine conscience alimentaire est une habitude que je recommande à mes patients : manger lentement, reconnaître la satiété, écouter son corps.
Souvent, les consommateurs ne portent pas attention aux informations inscrites sur les étiquettes des produits de consommation. Comment encourager la population à mieux lire les étiquettes alimentaires ? Est-ce un outil de prévention ?
Absolument, c’est un outil de prévention efficace – à condition que les étiquettes soient simples, compréhensibles et visibles. Dans des pays comme le Chili ou le Pérou, des pictogrammes clairs, comme des pastilles noires signalant les excès de sucre, de sel ou de graisses, ont permis de changer les comportements. À Maurice, l’information doit être visuelle, locale, multilingue - et surtout, facile à comprendre en un coup d’œil. Lire une étiquette, c’est un acte de santé publique - encore faut-il qu’elle parle à tout le monde.
La prévention ne doit pas être un privilège, mais un droit accessible»
Certains pensent que le diabète, les maladies cardiovasculaires, voire les problèmes de tension artérielle sont « héréditaires » et qu’ils n’y peuvent rien. Que leur répondez-vous ?
L’hérédité n’est pas une fatalité, mais une prédisposition. Elle indique une vulnérabilité, pas une condamnation. En d’autres termes, vos gènes chargent le pistolet, mais c’est votre mode de vie qui appuie sur la gâchette. Avec une hygiène de vie adaptée – alimentation saine, activité physique régulière, bon sommeil, réduction du stress –, il est tout à fait possible de retarder, voire d’éviter l’apparition de nombreuses maladies chroniques.
Prenons un exemple concret : l’hypercholestérolémie familiale. C’est une condition héréditaire où les taux de cholestérol sont très élevés dès l’enfance, pouvant mener à des infarctus précoces, parfois avant 40 ans. Pourtant, un simple test sanguin et une imagerie non invasive permettent de la détecter à temps et d’agir efficacement pour éviter une issue dramatique.
Il existe aussi des formes héréditaires de diabète, comme le diabète monogénique (MODY), ou même le diabète de type 1, où la génétique joue un rôle. Aujourd’hui, grâce à la recherche, on peut identifier les anticorps précocement et, dans certains cas, prescrire de nouveaux traitements préventifs pour retarder l’apparition de la maladie.
Cependant, dans la majorité des cas, on parle de risque polygénique, c’est-à-dire de plusieurs gènes qui interagissent avec votre environnement : alimentation, sédentarité, sommeil, stress, exposition aux toxines, etc. C’est là que la prévention joue un rôle clé. En identifiant l’insulino-résistance de manière précoce – grâce à des examens ciblés –, on peut prescrire des changements de mode de vie et même, si nécessaire, des médicaments pour éviter l’évolution vers un diabète.
C’est exactement ce que je propose à mes patients : une prise en charge personnalisée, basée sur la science, adaptée à leur réalité. Parce qu’agir tôt, c’est souvent éviter l’irréversible.
Les patients atteints de MNT savent-ils réellement quoi manger au quotidien ? Sont-ils suffisamment guidés pour adapter leur alimentation de façon pratique et durable ?
Pas toujours. L’information générale est utile, mais insuffisante. Il faut du concret : quoi acheter, comment cuisiner, comment gérer un budget limité. C’est pourquoi j’élabore avec mes patients des plans pratiques : menus types, listes de courses, astuces simples, et surtout réalistes.
Existe-t-il des dispositifs concrets pour les aider au quotidien, par exemple dans les centres de santé ou les hôpitaux ?
Oui, plusieurs initiatives ont été mises en place, mais il reste encore du chemin à parcourir pour assurer une prise en charge complète, continue et accessible. L’idéal serait un accompagnement pluridisciplinaire associant médecins, diététiciens, psychologues, éducateurs en santé et professionnels de l’activité physique.
Nous avons déjà introduit certains services intégrés, tels que des consultations spécialisées en diabète, des programmes de sevrage tabagique et des prescriptions d’activité physique encadrée. Ce sont des premières étapes importantes.
Mais nous devons aller plus loin, vers une vraie médecine cardio-métabolique intégrée. C’est une approche novatrice qui relie la nutrition, le métabolisme, l’imagerie cardiovasculaire, le sommeil, la psychologie et la prévention. Elle ne traite pas uniquement les symptômes, mais s’attaque aux causes profondes des maladies chroniques : excès de poids, stress, mauvaise alimentation, sédentarité. Elle permet d’intervenir plus tôt, de personnaliser les soins, et surtout de remettre le patient au cœur du système.
Comment faire en sorte que la prévention ne reste pas un luxe ou une théorie, mais devienne une réalité accessible à tous ?
En sortant des hôpitaux. Il faut aller vers les gens : foires, écoles, marchés, centres communautaires, lieux de travail et espaces publics, avec des cliniques mobiles. Proposer des bilans gratuits, des animations pédagogiques, des services traduits dans les langues de vie, telles que le créole et le bhojpuri. La prévention ne doit pas être un privilège, mais un droit accessible.
Bio express
Officer-in-Charge à la Health Promotion and Research Unit, le Dr Nishant Nundlall a été formé en Australie. Il est un médecin spécialiste à l’intersection de plusieurs disciplines clés de la santé moderne.
Endocrinologue avec une surspécialisation dans la prise en charge de l’obésité, il est également cardiologue, expert en imagerie cardiaque avancée (échocardiographie, scanner cardiaque et IRM). Sa formation inclut des compétences approfondies en cardio-métabolisme, englobant la nutrition, l’exercice thérapeutique et la médecine du sommeil.
Le Dr Nundlall dirige actuellement un service d’imagerie cardiaque avancée au sein du National Cancer Centre, dédié à la cardio-oncologie, à la coronarographie par scanner (CT) et à l’imagerie par IRM de la thalassémie. Ancien consultant en Australie, il est aujourd’hui consultant honoraire en cardiologie à l’hôpital Nepean de Sydney, où il contribue activement à plusieurs projets de recherche.

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