Écoutes téléphoniques, protection de la vie privée, la tempête Choomka qui souffle sur l’IBA, l’importance de la Freedom of Information Act... Tels sont les sujets qu’aborde l’avocat Ashok Radhakissoon, spécialiste des lois sur la communication, dans cet entretien.
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[blockquote]« Regardez la télé et écoutez les radios privées dans une même journée. Vous aurez l’impression d’être dans deux pays totalement différents ! »[/blockquote] Que vous inspire le débat actuel des écoutes téléphoniques ? Le Premier ministre s’est contenté de dire que le phone tapping- existait déjà auparavant. Mais pour les éccoutes téléphoniques, il faut toujours faire une demande auprès d’un juge en chambre et là encore, ce n’est pas valable pour toutes les affaires. Ce sont généralement les affaires de grande criminalité ou des cas qui présentent une menace pour la sécurité du pays qui sont concernés. La police doit faire valoir que sans ce recours, il n’y aura pas de preuves pour faire condamner les suspects. La police doit alors jurer un affidavit devant un juge en chambre. Les appels téléphoniques relèvent de la vie privée, qui est protégée par notre Constitution. Mais cela existe dans toutes les démocraties du monde. Vous n’avez qu’à penser au Watergate pour comprendre la portée de la chose. Il y a une croyance répandue que le National Security Service (NSS) abuse également en mettant sur écoute les membres de l’opposition et même des journalistes. Se peut-il que cette croyance soit fondée ? Je n’ai pas connaissance personnellement de tables d’écoute qui visent journalistes et adversaires politiques. Mais en réfléchissant un peu à ce qui s’est passé dans d’autres démocraties, on doit dire que cette possibilité existe grandement. Il ne faut pas banaliser ce scénario et croire que puisqu’on est en démocratie, cela ne peut se faire. Même si on n’a pas de preuves directes, la possibilité qu’on le fasse ici à Maurice existe. D’où la nécessité de garde-fous, comme le recours à un juge en chambre. Comment peut-on éviter les abus ? Sous la loi mauricienne, les tables d’écoute sont permises dans un contexte précis. Il faut que des conditions soient remplies et il y a des procédures à suivre. Si on ne suit pas les procédures, les preuves obtenues de la sorte ne seraient pas recevables en Cour. Hors du cadre légal, techniquement, c’est possible de mettre un téléphone sur écoute, pour être informé des manœuvres de ses adversaires politiques, par exemple. Dans sa question, Shakeel Mohamed fait référence à l’ICTA qui aurait recruté trois consultants en écoutes téléphoniques. Il mentionne aussi le fait que des officiers de la NSS ont rencontré des Israéliens à Copenhague. Cela vous inquiète-t-il ? Si ce qu’il dit est vrai, cela m’interpelle. Je crois que ce n’est pas bon pour la liberté et la démocratie. Si c’est vrai, pourquoi recruter des consultants en écoutes téléphoniques? On se dit « Attention à la liberté ! » Je dirais que si Shakeel Mohamed a des preuves de ce qu’il avance, qu’il les fournisse, dans l’intérêt public, qu’on puisse ouvrir une enquête. Tout ce que j’ai entendu, c’est que l’ICTA a recruté trois consultants sans appel d’offres et sans avertir le conseil d’administration, pour procéder à une restructuration. Durant votre passage à l’ICTA, avez-vous jamais eu des indications que les écoutes téléphoniques étaient choses courantes ? Durant mon mandat, je n’ai jamais eu de preuves concrètes et directes qu’il y a eu ce type de démarche. Tout le monde sait que techniquement, c’est faisable. Je note aussi qu’en réponse à Shakeel Mohamed qui demandait pourquoi il ne mettait pas fin à cette pratique, le Premier ministre a demandé pourquoi ils ne l’avaient pas fait eux. Il y a ici une affirmation que cela existe et qu’on n’a pas cessé de le faire. Donc, je présume que cela va se poursuivre quand c’est nécessaire. La question prend une portée internationale: Apple a défié le FBI qui voulait avoir accès à un iPhone et Whatsapp a pris la décision de crypter tous ses messages. Un opérateur à Maurice pourrait-il refuser l’accès à son système aux autorités ? Il faut prendre le problème en amont. Quand je m’inscris sur Facebook ou que j’utilise Whatsapp, il y a des conditions d’utilisation. Une de ces conditions, c’est que les données personnelles demeureront privées. Si une tierce personne a accès à ces données, cela représenterait un grand danger pour tous ceux qui utilisent ce réseau pour communiquer. Est-ce que les opérateurs peuvent refuser l’accès à leur base de données? Oui, ils le peuvent et ils le doivent. Sauf s’il y a un ordre de la Cour. Maurice gagne des places au classement de Reporters sans frontières mais est critiquée pour l’affaire Neerbun/Beeharry, réprimandés par le MBC pour avoir participé à un débat public. Comment avez-vous réagi à cette affaire ? Cela m’a fait beaucoup de peine d’apprendre comment une institution comme la MBC avait sanctionné deux journalistes qui ont fait part de leur opinion en public. On est en train de les punir pour avoir exercé leur droit à l’expression. Ce n’est pas un bon signe pour la démocratie. Le message qu’on retient, c’est que tout journaliste de la MBC qui exprime son opinion s’expose à des sanctions. Cela tue le principe de l’échange d’idées. C’est en porte-à-faux avec les principes même d’une démocratie vivante. Est-ce aussi en contradiction avec la promesse d’une Freedom of Information Act ? L’idée de la Freedom of Information Act est de donner libre accès à l’information. Ce n’est pas seulement le fait d’avoir l’information mais aussi de la partager librement. Tout le monde l’attend ! L’affaire de la MBC est une tache sur ce canevas de liberté que promet cette législation. J’espère que c’est tout simplement un écart. Nous demandons au gouvernement de venir de l’avant avec la Freedom of Information Act au plus vite. Il ne faut pas avoir peur de la transparence que promet laFreedom of Information Act et de l’avènement de la télé privée. À l’heure où les grands groupes de presse ont tous une Web TV et avec la démocratisation de l’accès à Internet, la télé privée est-elle toujours aussi importante ? Je ne crois pas que le taux de pénétration des ordinateurs dans les ménages soit aussi élevé que celui des postes de télé. La télévision a un accès encore plus important que les tablettes et les smartphones. Si on se satisfait de ce qui se fait sur les Web TV, c’est toute une partie de la population qui n’aura pas accès à un service d’information adéquat. La télévision privée demeure un impératif. Vous semblez convaincu que la MBC ne pourra jamais fournir ce service d’information adéquat... On connaît l’histoire de la MBC. À voir le contenu des informations, on ne peut pas penser que c’est cela qu’attend le public. Faites le test : regardez la télé et écoutez les radios privées dans une même journée. Vous aurez l’impression d’être dans deux pays totalement différents ! Les journalistes de la MBC n’ont pas assez de liberté pour aller vers l’information dont le public a besoin.
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