Ces dernières années, le marché du mobilier connaît une régression sans précédent qui, selon de nombreux opérateurs, a empiré en 2017. Les raisons avancées sont diverses : un marché monopolistique, l’érosion du pouvoir d’achat, la présence de meubles importés et l’endettement des ménages.
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Rien ne va plus dans le commerce des meubles. Lits, armoires, et autres ameublements de salle à manger se vendent au compte-gouttes. Chez Bison Enterprise, société engagée dans la fabrication du mobilier de bureau et située à Vacoas, le directeur exclut l’idée d’un marché qui serait devenu « saturé ».
« Il y a encore de grosses commandes, mais elles atterrissent chez les grosses boîtes qui sous-traitent entre elles. Dans le passé, j’obtenais une partie de cette sous-traitance », explique-t-il. À cette situation, poursuit-il, s’ajoute la difficulté d’obtenir des prêts bancaires, car les garanties exigées sont hors de portée. « Les banques ne veulent prendre aucun risque, contrairement aux discours des autorités selon lesquelles elles auraient assoupli leur politique de prêt ».
Quelques années de cela, les opérateurs, dans le milieu du mobilier, avaient pointé du doigt la politique du gouvernement qui avait ouvert les vannes aux meubles importés et revendus durant les foires de fin d’année. C’était un peu l’arbre qui cachait la forêt. Car, si les autorités ont fini par interdire l’organisation de ces foires durant cette période, les mêmes meubles ont réapparu, mais dans les magasins. « On peut voir régulièrement des rabais sur ces meubles, tout le long de l’année. Ils sont toujours chers, mais cette fois, ils sont bien visibles », précise-t-il. À qui la faute ? Toujours aux autorités, dont la politique d’ouverture à l’importation pénalise les opérateurs locaux et met sérieusement en péril le secteur du mobilier local.
Pourtant, nuance le directeur de Bison Enterprise, les opportunités dans le secteur public ne manquent pas, avec notamment, la nécessité de rénover le matériel bureautique ou encore celui des salles de classes dans les écoles et collèges d’État. « Il manque une volonté d’identifier une alternative à cette situation qui favorise les grosses boîtes », explique-t-il, en précisant qu’en l’absence de contrats, ce sont d’autres sous-traitants, avec lesquels il travaille, qui se retrouvent paralysés.
La clef sous le paillasson
À Beau-Bassin, le directeur de Rouben Ébéniste explique que les affaires ne vont guère mieux. En 2017, Veerasamy Kistnen a, à maintes reprises, songé mettre la clef sous le paillasson, mais à chaque fois il a eu le cœur gros en songeant à ses 37 années passées à monter cette entreprise, devenue son « bébé ». Cette longue carrière, à son compte, ne l’a toutefois pas enrichi. « Tous les bénéfices ont servi à financer les études supérieures de mes enfants et j’en suis encore à rembourser des dettes », dit-il.
Depuis ces dernières années, la situation s’est détériorée, d’abord à cause du coût du bois, mais ensuite en raison de la situation économique de Maurice, caractérisée par l’endettement des ménages, la stagnation de la croissance, avec pour résultat que les Mauriciens établissent des priorités dans leurs dépenses. « Ils pensent que la situation économique ira de mal en pis, aussi veillent-ils à dépenser utile, en achetant ce qui leur est prioritaire. C’est pourquoi les meubles n’entrent pas dans leur liste », fait observer Veerasamy Kistnen.
À ce souci, vient se greffer la question de succession à la direction de son entreprise. Un véritable casse-tête, car ses enfants, actuellement étudiants, sont absents de l’équation. Du coup, il a pensé confier la direction de l’ébénisterie à ses employés, des professionnels formés chez lui. Toutefois, cette perspective bute encore sur l’absence de commandes suffisantes, indispensables pour pérenniser l’entreprise. Cette idée semble séduisante, cependant, elle ne fait que renvoyer une échéance qui s’imposera un jour ou l’autre : la nécessité de rajeunir la main-d’œuvre.
Réticence des jeunes
« Les jeunes ne sont pas intéressés à faire carrière dans un secteur où les opportunités de croissance sont quasi absentes. Comment pourront-ils fonder une famille avec des revenus en dents de scie ? » s’interroge Veerasamy Kistnen, qui fait valoir que son parcours, commencé en 1980, n’a pas fait de lui « un homme fortuné ». Dans ces conditions, enchaîne-t-il, il est aisé de comprendre la réticence des jeunes à s’investir dans un secteur où l’apprentissage commence souvent dès l’adolescence.
La porte ouverte aux meubles importés, une pratique qui n’existait pas lorsqu’il avait lancé son entreprise, n’est pas pour aider à la croissance du secteur. Après Bali et l’Indonésie, gros fabricants de meubles de luxe, la Chine s’est jointe à ce marché, mais en offrant des produits de qualité douteuse, selon les opérateurs interrogés. « Les meubles de la Chine paraissent attrayants, de même que les prix, mais une fois démontés, on découvre des défauts de fabrication et des matériaux de mauvaise qualité. On ne peut pas les réparer », fait ressortir Veerasamy Kistnen.
Espaces-placards
Contre mauvaise fortune, Saminaden Armoogum, directeur d’Ébénisterie d’Art Ltée à Quartier-Militaire fait, lui, bon cœur. Face à la stagnation que connaît le secteur, il a choisi de mettre le paquet sur les commandes individuelles, malgré le fait qu’il reconnaît que le marché n’offre plus les mêmes perspectives qu’avant. « Les jeunes couples ont encore besoin d’un lit, d’une table et de quatre chaises », dit-il en souriant, en tenant compte du fait que, peut-être dans un avenir pas si lointain, les nouvelles résidences accommoderont des espaces-placards, lesquels remplaceront les traditionnelles armoires. Pourtant, spécialisé dans du mobilier haut de gamme, fabriqué grâce à des équipements high-tech valant une petite fortune, Saminaden Armoogum a choisi de diversifier son offre afin de ratisser large. « Je peux rendre les prix accessibles sans que la qualité en pâtisse, parce que j’ai les équipements pour cela. Mais le bois reste cher, il faut alors trouver l’équilibre sans écorcher la clientèle ».
Aux antipodes des petites ébénisteries, Domah Commercial Centre s’est créé un marché niche avec les appartements, mais également grâce à une production de masse qui vise essentiellement la clientèle populaire. Ce qui fait dire à son directeur, que l’année 2018 promet d’être meilleure que celle qui tire à sa fin. La bonne santé financière de Domah Commercial Centre contraste singulièrement avec le sombre tableau qu’offre le secteur des petits opérateurs, ces derniers n’entrevoyant aucune reprise à l’avenir, les gros opérateurs, affirment-ils, emportant toujours les grosses parts du marché.
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