Interview

Zaid Ameer, directeur de la DIVA : «Le budget doit aussi répondre au challenge du développement inclusif et continu»

Zaid Ameer

Le président de la Dealers in Imported Vehicles Association (DIVA) souffle le chaud et le froid lorsqu’il en vient à ses attentes du Budget 2018-2019. Zaid Ameer convient que le gouvernement « a une véritable volonté mais tarde sur certains de ses gros projets ».

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Quelles sont les propositions que votre association a soumises dans le cadre du Budget 2018-2019 ?
D’abord, nous demandons la mise en œuvre d’une décision du conseil des ministres prise le 24 juin 2016, qui stipule que seulement les importateurs enregistrés seront autorisés à importer des véhicules de seconde-main. Ensuite, nous demandons le retrait de l’intitulé First Registration in Mauritius, car il n’est plus possible qu’une personne, surtout de la classe moyenne, qui achète une voiture neuve d’une marque réputée s’acquitte des mêmes frais d’enregistrement que pour un véhicule semblable vieux de plus de quatre ans. Nous avons également demandé la réduction du duty à 20 % sur tous les véhicules hybrides, afin d’économiser des devises étrangères sur l’importation des produits pétroliers et pour protéger notre environnement. Nous demandons aussi au gouvernement d’encourager l’importation parallèle de véhicules trade mark, afin de mettre fin à ce qui ressemble à une situation de monopole en ce moment.

Au-delà de ce qui touche à votre secteur, quelles doivent être les priorités de ce Budget 2018-2019 ?
Pour moi, il ne fait aucun doute qu’il faut investir dans la formation continue. Dans de nombreux secteurs, dont le textile-habillement et les PME, nous faisons face à une concurrence féroce qui ne rend pas nos produits compétitifs. Face à cette situation, notre seul atout repose sur l’innovation, mais pour y arriver, il faut gagner la bataille de la formation. Nous sommes arrivés à une étape où il faut investir de manière pointue dans la formation de nos ressources humaines. Nous l’avons fait dans les années suivant l’Indépendance et cela a permis à notre pays de passer un premier stade de décollage économique mais, aujourd’hui, les défis sont surtout d’ordre technologique, fondés sur l’économie numérique et aggravés par la perte de nos filets de protection dans le secteur sucrier, la hausse du coût du baril, le Brexit, la concurrence dans le textile, pour ne citer que les plus importants.

Nous avons également demandé la réduction du duty à 20 % sur tous les véhicules hybrides»

Certains économistes font ressortir que le gouvernement de l’'Alliance Lepep' a perdu beaucoup de temps, surtout dans les années suivant sa victoire…
C’est vrai. Aujourd’hui, ce gouvernement doit impérativement renouer avec le goodwill factor pour le développement. Je pense qu’il a une volonté, mais sur certains de ses gros projets, il est en retard. Je cite quelques-uns : la phase II du Ring-Road qui a stoppé à Tranquebar, puis le rond-point Dowlut, dont on entend parler depuis trois ans, les ‘bypass’ promis à Port-Louis, destinés à rendre le trafic plus fluide, l’aménagement tant attendu de la gare Victoria et le réalignement de Port-Louis avec des espaces-piétons, sans oublier le parking au Champ-de-Mars. Il s’est passé trois années de discours, avec pour résultat une léthargie dans la mise en œuvre des projets.

Est-ce que les PME peuvent-elles devenir un pilier de notre économie ?
Il n’y a pas eu beaucoup de plans concrets pour relancer ce secteur. Je me demande si le gouvernement peut exempter les compagnies locales, afin de les consolider et pour encourager les gens à consommer mauricien. Il est impensable qu’un produit local comme la savonnette se vende plus cher que le même produit importé.

Face à cette problématique, certains industriels font valoir que les coûts de production à Maurice n’aident pas à la compétitivité de nos produits. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’à l’origine de cette situation, il manque d’études de marché sur la viabilité de nombreux produits locaux. Est-ce qu’on connaît le nombre de produits alimentaires étrangers qui pénètrent sur notre marché ? Nos produits sont viables, mais les techniciens dans nos institutions ne connaissent pas la réalité du marché. Il faut aussi évaluer l’incidence des taxes sur les coûts des matières premières qui entrent dans la fabrication de certains produits et quelles sont les facilités d’exportation offertes à nos producteurs ?

Je ne vois pas de réelle stratégie dans ce sens. Par ailleurs, si on n’innove pas, on ne pourra pas exporter, pourtant il existe un marché pour certains de nos produits à l’étranger. Je l’ai constaté à Tokyo où je viens de séjourner, mais il n’y a aucune étude de marché au Japon. Nous avons deux vols vers Dubai par jour, qu’exportons-nous vers cette ville ? J’ai beaucoup de respect pour nos entrepreneurs, mais force est de constater que beaucoup d’entre eux ne possèdent pas la connaissance du marché. À Maurice, aujourd’hui, nous ne sommes même pas capables de fabriquer des biscuits.

Nous demandons aussi au gouvernement d’encourager l’importation parallèle de véhicules ‘trade mark’»

De nombreux Mauriciens brillent par leurs parcours professionnels à l’étranger, mais à Maurice, ils ne semblent pas encouragés, comment l’expliquer ?
Il nous faut des individus qui possèdent une vue d’ensemble de leur métier. Les diplômes doivent être complétés par l’expérience empirique. Nous avons ces professionnels pluridisciplinaires, mais les institutions ne font pas appel à eux. Notre pays préfère recruter des étrangers qui, souvent, ne connaissent pas le contexte mauricien. Dans le secteur des PME, il manque des études de terrain. Prenons le cas de la confection des achards où il faut des pots. Est-ce que l’État ne devrait-il pas expliquer aux PME engagées dans cette activité comment on obtient ces pots ? À Maurice, il n’existe que deux entreprises engagées dans l’alimentation en boîte, ce qui est une véritable situation de monopole.

Pourtant, l’alimentation est sans doute le secteur le plus viable dans un pays en développement, où les foyers ont souvent recours à l’alimentation en boîte en raison des heures tardives auxquelles les parents rentrent chez eux après le travail. Il y a là de véritables perspectives de création d’entreprises, il faut tout simplement faire preuve d’innovation. J’observe que l’État n’a toujours pas aidé au développement du secteur de la transformation agro-alimentaire. En temps normal, nos champs regorgent de légumes, dont la tomate, jusqu’à saturation, il faut tout juste apprendre à les transformer, en formant notre ressource humaine. En termes d’autosuffisance, nous pourrions atteindre 10 % de nos besoins en légumes.

Il faut valoriser le travail agricole de même que l’élevage. C’est une bonne chose que d’offrir la facilité hors-taxe pour l’achat d’un 4X4, mais il fait aussi donner aux agriculteurs la même facilité pour une voiture, comme on le fait pour les hauts fonctionnaires. Il faut aussi revoir la politique des garanties pour les prêts afin de faciliter l’accès à la terre.

Dans les prochains dix ans, quel sera le plus grand défi auquel Maurice sera-t-il confronté ?
À mon avis, il nous faudra rechercher le juste équilibre entre le développement, l’écologie et les valeurs sociales. Le développement ne doit pas engendrer les fléaux sociaux, l’exclusion dans l’éducation, le droit au bien-être, à un logement décent, de problèmes familiaux. J’ai lu ce qui était arrivé à une femme qui avait pourtant bénéficié d’un ‘Protection Order’.

Cela signifie que ce type de protection ne garantit plus aucune sécurité, il faut donc revoir la législation. Aujourd’hui, il suffit d’observer ce qui se passe dans certaines de nos gares pour avoir une idée du profil du délinquant de demain. Ce n’est pas une fatalité, c’est une société qui montre des signes de rupture et de dérive. C’est aujourd’hui qu’il faut prendre des actions. Si certains jeunes ne réussissent pas dans la voie académique, il faut leur offrir des formations pointues dans les métiers qui sont même demandées dans certains pays industrialisés.

Ce que je veux, finalement, c’est que le Budget n’est pas une fin en soi, il doit aussi répondre au challenge du développement inclusif et continu.

 

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