
Bien que conscient de l’impatience populaire, le ministre du Logement et des Terres, Shakeel Mohamed, souligne que la transformation du pays nécessite patience. Face à l’héritage de l’ancien gouvernement, il appelle à la compréhension. Parlant du fléau de la drogue, il plaide pour un débat public lucide, sans tabou ni posture politicienne.
Publicité
Votre intervention mardi à l’Assemblée nationale sur le National Agency for Drug Control Bill a été saluée pour sa clarté et sa fermeté. Qu’espérez-vous qu’elle change concrètement dans la manière dont Maurice aborde aujourd’hui la lutte contre la drogue ?
Depuis les années 70, Maurice mène une guerre sans fin contre la drogue. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : davantage de trafic, davantage de morts, davantage de souffrance. Le système de lutte en vigueur – à dominante policière – existe depuis des décennies. Des unités spéciales, des campagnes de sensibilisation et des saisies spectaculaires ont été mises en place.
Mais avons-nous réussi à freiner la prolifération ? Non. Parce que nous nous attaquons aux symptômes et non aux racines. Le trafic de drogue est un business extrêmement rentable. Là où il y aura de l’argent, il y aura toujours des réseaux pour contourner les lois, corrompre et infiltrer.
Le consommateur, lui, reste la cible facile. À Maurice, on continue de le criminaliser alors qu’il est souvent une victime, prisonnier de substances qui lui murmurent : « Tu ne peux pas vivre sans moi. »
Il faut oser le dire : la dépendance est d’abord une question de santé, et même de santé mentale. ‘It is a health issue and a mental health issue’. C’est un enjeu de soins, pas de prison. Je salue les travailleurs sociaux qui tiennent la ligne. Mais il est temps de changer de paradigme : en finir avec la stigmatisation des usagers et s’attaquer enfin aux vrais circuits de distribution.
On ne peut pas parler de lutte antidrogue sans briser ce pacte toxique entre pouvoir et criminalité. Tant qu’il existera, aucune agence, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourra vaincre ce fléau.»
Selon vous, quelle approche serait la plus juste et la plus efficace pour repenser notre rapport à la consommation de drogues ?
Mon opinion s’appuie sur quinze années de recherches et d’observation de terrain. Mais elle s’enracine aussi dans ma vie de citoyen et de père, conscient que personne n’est à l’abri. Il ne s’agit pas d’un regard conservateur. Bien au contraire. Je pars d’un principe simple : on ne résout pas une crise de 2025 avec des recettes de 1971. Le modèle actuel est obsolète.
Si l’on veut réellement affaiblir les réseaux, il faut assécher ce qui les alimente : le profit. Tant que le trafic restera lucratif, les trafiquants auront toujours un coup d’avance. Cette nouvelle agence doit adopter des méthodologies audacieuses, fondées sur l’expérience internationale. Dans certains pays, on propose, en sus de la méthadone, de l’héroïne médicalisée, administrée dans un cadre sécurisé. Résultat : moins de morts, moins de crimes et une meilleure insertion sociale. C’est à ce type de révolutions que Maurice doit aujourd’hui réfléchir.
Qu’est-ce qui, selon vous, a conduit Maurice à basculer aussi profondément dans cette spirale de consommation et de trafic ?
Ce qui a précipité Maurice dans cette spirale, c’est la politisation à outrance du dossier drogue et, plus grave encore, l’alliance tacite entre certains politiciens et trafiquants. Je suis avocat depuis 33 ans. Je ne suis ni naïf, ni sourd et encore moins aveugle. Quand, pendant des décennies, le trafic prospère sans que des têtes ne tombent, c’est manifestement que le système est complice.
L’argent de la drogue n’achète pas que le silence : il infiltre les institutions et corrompt les décideurs. Il anesthésie la justice. Pendant ce temps, ceux qui devraient nous protéger – une partie de la force policière, de l’appareil d’État – ferment les yeux, ou pire participent. On ne peut pas parler de lutte antidrogue sans briser ce pacte toxique entre pouvoir et criminalité. Tant qu’il existera, aucune agence, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourra vaincre ce fléau.
Soigner le pays pour mieux gérer les finances à long terme est essentiel.»
Faut-il se résoudre à l’idée que Maurice a, d’ores et déjà, perdu la guerre contre la drogue ou reste-t-il une brèche pour inverser le cours ?
‘We try to bite more than we can chew’ ! Maurice détient un triste record : premier pays d’Afrique en termes de consommation de drogue synthétique. Mais il faut en finir avec l’idée que les jeunes se tournent vers ces substances par goût du risque. Non : ils s’y rabattent faute de moyens.
Lorsque le gandia devient inabordable, la chimie de rue prend le relais – bon marché, accessible, mais infiniment plus destructrice. Ce constat impose un débat clair, honnête et lucide. Il ne s’agit pas d’émotion, mais de protection. Il faut du courage politique pour sortir des postures morales et regarder ce qui fonctionne ailleurs.
À Genève, par exemple, les autorités ont encadré la consommation d’héroïne pharmaceutique dans des centres spécialisés. Résultat : baisse des overdoses, recul de la criminalité et meilleure insertion des usagers. Une approche fondée sur la santé publique et non sur la peur. C’est ce type d’intelligence que Maurice doit aujourd’hui mobiliser pour sauver sa jeunesse.
Vous avez dénoncé une décennie de silence et d’inaction face aux ravages de la drogue. Selon vous, qu’est-ce qui a empêché jusqu’ici une réforme structurelle du dispositif national ?
Le vrai problème, aujourd’hui, se reflète dans cette phrase qu’on entend dans la rue : « Aryo, get sa do. Gouvernnman pe donn ladrog. » Une accusation brutale mais révélatrice d’un désespoir collectif. Ceux qui vivent cette réalité savent que le cœur du problème, c’est la profitabilité. Tant que la drogue rapportera, elle circulera.
Le reste, c’est du bavardage. Il faut un débat national, franc et sans langue de bois. La montée en flèche des drogues synthétiques est une réponse à une offre illégale accessible, façonnée par les réseaux sociaux et la technologie. Ce qui est nocif ici peut être copié ailleurs en quelques clics.
Mais la réponse ne peut pas être la censure ou le contrôle. Ce n’est pas en bloquant les réseaux sociaux qu’on sauvera nos jeunes. Ce qu’il faut, c’est un changement de mentalité : considérer les consommateurs non comme des délinquants, mais comme des patients. Et construire une politique de santé, pas une politique de peur.
Le pays panse ses plaies, mais il souffre et saigne de partout. Il est impératif de trouver des solutions durables.»
Face à ceux qui affirment que dépénaliser le cannabis ouvrirait la voie à des drogues plus dures, que leur répondez-vous ?
C’est une idée reçue qui ne tient pas face aux faits. Prétendre que la dépénalisation du cannabis conduit inévitablement à l’héroïne revient à dire qu’une bière mène forcément à la vodka. Cette logique d’escalade est simpliste et sert souvent à enterrer le débat.
Ce que je demande, ce n’est pas une apologie de la consommation, mais un débat élargi, adulte et rationnel. De nombreux pays ont dépénalisé le cannabis sans pour autant voir exploser l’usage de drogues dures. Au contraire, cela permet de mieux encadrer, de désengorger les tribunaux et surtout de concentrer les ressources sur les véritables enjeux : la prévention, le soin et le démantèlement des réseaux. Le tabou ne sauvera personne. C’est en regardant la réalité en face qu’on pourra protéger les plus vulnérables.
Quel modèle de lutte contre la drogue Maurice devrait-elle adopter pour sortir de l’impasse ?
La création de l’Agence constitue un premier pas. Encore faut-il qu’elle propose une orientation claire. On ne peut plus se contenter d’agir à l’aveugle. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un débat éclairé, impliquant tous les acteurs – des forces de l’ordre aux soignants, en passant par les usagers eux-mêmes.
Je respecte profondément le travail de la police. Ils font de leur mieux, mais les trafiquants ont toujours une longueur d’avance. Ils déjouent la surveillance, achètent des alliés et finissent par rendre leur produit indétectable. Tant qu’il y aura du profit, il y aura du trafic.
Et puis, il y a le scandale du traitement. La manière dont on distribue la méthadone à Maurice est indigne. C’est brutal, sans respect pour la dignité du malade. Il est temps de sortir de cette logique punitive pour adopter une vraie politique de santé publique. Le respect est le point de départ.
Ce que je demande, ce n’est pas une apologie de la consommation de la drogue, mais un débat élargi, adulte et rationnel. De nombreux pays ont dépénalisé le cannabis sans pour autant voir exploser l’usage de drogues dures.»
Pensez-vous que le regard porté par l’État et la société sur les consommateurs de drogues à Maurice est encore trop répressif, voire stigmatisant ?
Oui. Tout commence par la manière dont la méthadone est distribuée. Il y a un manque de respect et de compréhension envers ceux qui sont victimes des trafiquants. Je ne prétends pas détenir la solution finale, mais il est crucial d’avoir un débat serein, loin des passions. Trouver une solution n’est pas compliqué en soi, mais cela exige d’impliquer tout le monde. Il faut écouter chaque voix et prendre en compte toutes leurs perspectives.
Pourquoi insistez-vous autant sur l’importance d’un débat national sur la question de la drogue à Maurice ?
Nul ne détient le monopole de la vérité. Un débat national est essentiel pour éclairer la population sur l’état réel de la situation. Il faut que la société comprenne que les consommateurs de drogues ne sont pas des criminels, mais des victimes. Si nous voulons avancer, il ne faut surtout pas politiser ce débat ; il doit être mené dans un esprit de collaboration et de responsabilité collective.
La curiosité de la jeunesse et l’attrait pour les substances sont des phénomènes complexes qui méritent une réponse bien plus nuancée que la simple répression. On ne peut pas balayer ces jeunes d’un revers de main. Ce ne sont pas des ennemis à éliminer, mais des vies à sauver. Les vrais coupables, ce sont ceux qui exploitent cette souffrance pour faire du profit. C’est de cette compréhension, et non de la peur ou de la stigmatisation, que viendra la solution.
Six mois après la prise de pouvoir, quel bilan dressez-vous du gouvernement du Changement ? Est-il réellement parvenu à incarner une rupture avec l’ancien système ?
Tout reste à reconstruire dans le pays. La population cherche des solutions et je comprends son impatience. Le gouvernement MSM a mis à mal les fondations du pays à tous les niveaux, engendrant une détérioration profonde, comme un cancer, pendant près de 10 ans. Maurice panse ses plaies, mais le pays souffre et saigne de partout. Il est désormais impératif de trouver des solutions concrètes et durables.
Le nettoyage de l’île-aux-Bénitiers, par exemple, suscite la polémique. Il faut toutefois rappeler qu’ils ont opéré pendant au moins 20 ans sans véritable contrôle. Cette négligence, associée à l’insouciance de différents gouvernements, a permis une dégradation de notre environnement et de notre économie. L’heure est venue de remettre le pays sur pied. Mais cela nécessite une vision claire et une volonté politique forte pour effacer les erreurs du passé et reconstruire.
Après l’île-aux-Bénitiers, quand le gouvernement compte-t-il s’attaquer au nettoyage des autres îlots ?
Dimanche, en compagnie du Deputy Prime Minister Paul Bérenger, nous avons visité l’île-aux-Bénitiers, un premier pas vers la régénération des îles. Ce nettoyage servira de modèle pour les autres îlots. L’île-aux-Fourneaux, tout aussi négligée, doit aussi être prise en charge en urgence.
D’ici la fin du mandat, l’objectif est clair : chaque îlot devra être débarrassé de ses déchets et réhabilité. Il est impératif de restaurer notre environnement et de remettre en valeur ces trésors naturels, symboles d’une volonté politique de long terme.
Le plus grand progrès réalisé est la reconquête de la liberté, un bien inestimable.»
Le gouvernement est-il véritablement prêt pour les élections municipales à venir ou les préparatifs laissent-ils encore à désirer ?
La seule chose qui m’attriste est l’absence de candidature du MSM. Se présenter en indépendant est une déception. Dommage que Pravind Jugnauth n’ait pas choisi de se présenter ; la présence du MSM aurait apporté une autre dimension aux scrutins…
L’espoir d’un score parfait de 120-0 aux prochaines élections est-il réaliste ou s’agit-il d’une utopie politique ?
Je suis très confiant quant à une victoire de 120-0. Mais pour moi, la véritable victoire réside dans la capacité à identifier les problèmes du pays et à y apporter des solutions concrètes. Nous faisons face à des défis majeurs, notamment la crise de la drogue et la situation économique alarmante.
Il ne s’agit pas seulement de gagner des sièges, mais de rétablir l’ordre et de réparer les injustices qui ont gangrené notre société. Il y a eu des vols et des complicités. Il est essentiel d’agir pour restaurer la confiance et garantir un avenir meilleur pour la population.
N’est-ce pas un peu présomptueux de viser une victoire éclatante de 120-0, alors que l’inflation et la grogne populaire semblent remettre en question la gestion du gouvernement ?
Nous sommes ici pour travailler et apporter des solutions concrètes. Nous connaissons l’impatience et la souffrance du peuple. Nous restons humbles face à cette réalité. Chacun a son opinion et je respecte cela. Comme tout citoyen, j’aurais aimé que le prix de l’essence baisse. Mon salaire est fixe, mais mes dépenses ne cessent d’augmenter.
Cependant, soigner le pays pour mieux gérer les finances à long terme est essentiel. Je partage l’impatience du peuple et il est normal d’attendre des résultats. Mais le changement prend du temps et certains profils de la population ont des attentes irréalistes. Le plus grand progrès réalisé est la reconquête de la liberté, un bien inestimable.
La majorité de la population comprend qu’un changement durable ne se fait pas en un clin d’œil. Prenons un exemple simple : les fonctionnaires, comme les policiers, doivent réapprendre à travailler avec cette nouvelle liberté. Il est crucial de leur faire comprendre qu’ils sont des maillons essentiels de ce système. L’objectif est de restaurer la confiance, d’offrir un espace de travail libre et de redonner aux citoyens la certitude qu’ils peuvent compter sur leurs institutions.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !