Rudy Tannoo, directeur de R.K. Paradise : « Un pays moderne ne peut avoir le Métro et continuer à payer des salaires dérisoires » 

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Directeur d’une entreprise engagée dans l’artisanat, Rudy Tannoo fait valoir que le développement des PME doit passer par des phases de formation adaptées aux mutations constantes du marché. Sur la question du salaire minimum, il explique que l’absence d’une campagne d’explications a fait naître des difficultés de paiement chez certaines PME, mais reste convaincu que la révision à la hausse des salaires était devenue indispensable.

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Quelle est votre analyse du secteur mauricien des PME. Est-il en voie de devenir un pôle économique comme le souhaite l’actuel gouvernement ?
Il faut, d’abord, comprendre que les PME sont un secteur multisectoriel. Les problèmes auxquels, elles sont confrontées à Maurice sont d’ordre international. En ce moment, il existe, d’une part, un flou concernant l’avenir des PME à Maurice, en raison de la situation politico-économique. Mais, d’autre part, il existe, aussi, des facteurs endogènes, propres à la fonction interne même de ces petites entreprises.

Nombre d’entre elles ne sont pas en mesure d’anticiper les problèmes auxquels elles devront faire face, notamment les réalités monétaires, dont les politiques salariales et leur impact sur leurs entreprises, les diverses factures liées aux frais fixes, le taux de change, qui influe sur le coût des matières premières.

Puis, il faut être honnête que certaines ne sont pas dirigées par de véritables entrepreneurs qui, eux, restent concentrés sur les réalités de leurs business, ses contraintes et ses challenges, mais qui ne perdent jamais espoir. C’est un métier qui exige une véritable planification avec une vision entrepreneuriale. Mais pour y arriver, la formation est le maître-mot, aussitôt qu'on a lancé son entreprise.

Est-ce que les petits entrepreneurs sont-ils formés ?
Tous ne sont intéressés par les stages de formation, pourtant gratuits. C’est ce que je déplore fortement. Le Human Ressource Development Council (HRDC), à la demande des PME, avait mis sur pied un concept très pointu permettant d’identifier les lacunes propres à chaque PME.

La formation s’intitulait ‘Training Needs Analysis’ était axée sur le ‘Supply driven’. Puis, un rapport intitulé ‘Reskilling Of SMEs’ a été produit, contenant des recommandations destinées aux centres de formation. Mais, à ce jour, je ne sais pas si ces recommandations ont été mises en œuvre. Mais en ce qui concerne l’artisanat, il y a eu des stages de formation avec la collaboration du MiTD,  qui avait désigné des formateurs en design, entre autres, pour initier les entrepreneurs au ‘labelling’ et ‘packaging’.

C’était un stage très louable, et surtout gratuit, mais très peu d’entrepreneurs y étaient intéressés.  Il faut que certains directeurs des PME, formés à la vieille école, acceptent l’idée qu’ils ne peuvent pas tout faire : ils doivent confier certaines responsabilités, dont la comptabilité, la distribution, le management, à des professionnels, ils doivent rester concentrés sur leur cœur de métier, en y essayant d’innover et de diversifier leurs produits.

Peut-être pensent-ils que le facteur majeur reste l’accès au financement pour lancer et accompagner un business ?
Bien-entendu, l’argent est un facteur-clé dans toute entreprise, mais il n’en est le principal moteur. Si la personne qui souhaite lancer une entreprise a réalisé un ‘business plan’ professionnel et une étude de marché, avec tous les détails sur son produit, sa viabilité, aucune ne lui refusera un prêt sur présentation d’un dossier bien ficelé avec des garanties solides.

Cela dit, il faut aussi compter sur certains banquiers qui croient en de tels projets et qui ne tiennent pas compte des procédures concernant la politique de prêts de leurs établissements. Je connais un cas où un banquier s’en est tenu à une telle procédure pour un prêt demandé par un entrepreneur qui en avait besoin en deux jours, il a dû chercher le prêt, obtenu en deux jours, dans une autre banque.  Dans certaines banques, la lourdeur bureaucratique reste une véritable entrave à la demande de prêts des PME.

Dans l’artisanat, un secteur que vous connaissez très bien, des entrepreneurs évoquent la concurrence déloyale des produits chinois. Pourquoi l’État n’intervient-il pas ?
Je connais bien cette situation, mais force est de reconnaître que le gouvernement n’utilise pas une dérogation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui offre aux petits états insulaires la possibilité de protéger leurs biens culturels, comme le fait La Réunion, qui impose une taxe de 15 %, appelée l’Octroi de mer, sur les produits étrangers, afin de protéger ses entrepreneurs. Il suffirait au gouvernement d’en faire de même ou d’accorder un subside aux PME engagées dans la fabrication des produits artisanaux classés en vertu de la protection de la propriété intellectuelle.

Est-ce que les PME peuvent-elles viser le marché africain, qui semble devenir l’eldorado de toutes les entreprises mondiales ?
Oui, mais à une seule condition : elles doivent se mettre aux normes internationales. Elles doivent, d’abord, passer le test du marché local, notamment, à travers les supermarchés pour la validation de leurs produits. Ensuite, c’est aux autorités locales de certifier ces produits avant de leur délivrer des permis d’exportations.

Mais, comme je vous l’ai dit au départ, la clé du problème reste une formation inclusive, qui doit, aussi, viser le marché régional. À ce titre, La Réunion peut être un tremplin pour exporter en France. Mais, à y regarder de près aux centaines de permis d’opération qui ont été livrées par l’ex-SMEDA, je ne vois pas beaucoup de PME en capacité de prétendre au marché régional, qui est très normée.

Un certain nombre de PME est dans l’incapacité de payer le salaire minimum, cela était-il prévisible ?
J’ai une analyse plutôt nuancée face cette problématique : d’abord le gouvernement en est le responsable, car il n’y a pas eu de véritables campagnes de sensibilisation avant de présenter la loi en faveur de ce salaire, ensuite, je pense que parmi les PME en difficulté de paiements, certaines ne sont pas des ‘genuine cases’. Avant l’introduction de la TVA, dans le passé, il y avait une campagne de sensibilisation, ce qui explique que la loi était passée en douceur.

Là, j’ai l’impression que certaines PME seront contraintes de supprimer un ou deux postes,  si l’État ne leur vient pas en aide. Cela signifierait qu’il devra utiliser les fonds publics pour les accompagner. Mais, on sait que ce type de soutien ne peut pas durer éternellement.

Malgré cette problématique, il était important de rehausser les salaires dans un pays qui va se doter d’un système de transport moderne. Un pays moderne ne peut avoir le Métro et continuer à payer des salaires dérisoires.

 

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