Considéré comme un pilier majeur de notre développement économique, le secteur du BPO passe par une refonte nécessaire afin d’affronter la concurrence avec Madagascar et des pays de l’Afrique de l’Ouest. Face à cette « menace », Roshan Seetohul fait le point.
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À ce jour, comment se porte le secteur du BPO mauricien et comment a-t-il évolué depuis les premières années de son lancement ?
Le BPO se porte bien, mais aurait pu faire mieux si nos plans d’action et notre vision pour le secteur avaient pu se concrétiser en action concrète. Depuis plusieurs années, nous observons quand même une progression avec de nouveaux acteurs d’une part et, d’autre part, de grands donneurs d’ordres qui montrent un intérêt de développement de leurs activités sur Maurice. En dépit de l’instabilité de l’environnement économique sur l’échiquier mondial, en 2008 -2009, le secteur d’externalisation (BPO) avait quand même démontré sa robustesse et avait maintenu sa croissance et, en 2011, on avait eu une croissance de 12 % pour l’ensemble du secteur TIC. Cela indique aussi que le secteur est remarquablement dynamique et reste concurrentiel malgré sa complexité.
Quelles ont été les conditions qui ont favorisé son essor jusqu’à ce jour ?
Plusieurs facteurs contribuent à cet essor. Bien évidemment un intérêt « fiscal » pour les entreprises avec des privilèges en termes d’imposition. Un climat politique extrêmement calme et, certes, rassurant pour les investissements. Au-delà des aspects financiers, les ressources humaines qui ont su développer un niveau d’expertise ont permis de générer de la valeur. Et, puis, Maurice reste une destination prisée pour plusieurs raisons, mais il faut faire attention à un plafonnement quant à nos ressources humaines. Les conditions d’hier et d’aujourd’hui sont restées favorables jusqu’à maintenant et, afin de maintenir le cap, il faut évoluer, aussi, car le monde des affaires bouge vite et il faut systématiquement s’adapter, voire progresser.
Qui sont les principaux compétiteurs de Maurice ? Sont-ils en mesure de rivaliser avec nous ?
Historiquement dans le monde francophone, le Maghreb est la principale destination pour les BPO, avec le Maroc et la Tunisie. Et pour les marchés anglophones, il faut compter avec l’Inde et les Philippines. Depuis quelques années, l’Océan Indien, avec Maurice dans un premier lieu, et Madagascar sont devenus une destination incontournable pour les BPO avec une part de marché croissante. Une rivalité est en train de s’installer en Afrique de l’Ouest, avec le Cameroun, Sénégal et la Côte d’Ivoire, qui voient une rapide croissance avec l’arrivée d’acteurs majeurs de notre métier.
À côté de nous, Madagascar peut rapidement progresser dans les cinq prochaines années et nous surpasser, si nous ne mettons pas plus de rigueur et de perspicacité dans nos actions.
Quelles sont les aides de l’État dans ce secteur ?
À ce jour, les aides de l’État restent marginales. Pour une grande part, le dispositif repose sur des subventions allouées par le HRDC dans le cadre de prises en charge partielle de la formation professionnelle. On peine toujours à avoir un bassin avec des profils adéquats et c’est pourquoi on note depuis quelque temps un essoufflement du secteur. Une croissance de moins de 6 % pour l’année dernière démontre clairement que le secteur est en train de subir. Une croissance à deux chiffres sera longue à atteindre, voire quasiment impossible dans les années à venir.
Maurice devra légiférer en faveur d’une convention professionnalisant le secteur pour le voir se renforcer de façon pérenne.»
Sommes-nous toujours en mesure de maintenir nos avantages acquis ?
Oui, car à ce jour, Maurice garde sa place de leader sur le marché des BPO dans l’Océan Indien avec un potentiel en ressources humaines qui, aujourd’hui, a atteint un niveau d’expertise jugé comme une référence dans la relation client, mais il ne faut pas dormir sur nos lauriers, car la compétition qui nous guette sera rude, très rude même. Mais je reste optimiste pour ce secteur qui, quand même, s’il n’existait pas, il aurait fallu le chercher ou le créer, sinon où allaient atterrir ces quelque 12 000 à 13 000 personnes qui travaillent dans le BPO aujourd’hui. Les décideurs, à l’époque, avaient bien jugé et avaient pris la bonne et sage décision de croire dans ce secteur qui reste un secteur d’avenir.
Depuis ces dernières années, la question de la formation est revenue au centre des défis de Maurice. Faut-il une formation plus pointue dans ce secteur ?
Je note avec regret qu’il n’existe toujours pas un organisme de professionnalisation spécifique pour le secteur des BPO. Cela reste un point de recul pour Maurice. Nos concurrents maghrébins, indiens, philippins l’ont, eux, compris et ont développé depuis ces dernières années des centres sectoriels de formation professionnelle qui sont inclus dans le parcours scolaire. Ici, le HSC Professionnel n’a pas encore pris son envol encore. Si l'on veut que le pays devienne un vrai Knowledge Hub, il faut qu’il y ait un système intégré. Il nous faudra miser sur une bonne formation, accéder aux formations efficaces pour notre marché du travail. Il ne faut pas former pour la galerie, mais il faut mettre sur pied des stages qui permettent aux individus de devenir rapidement employables. La formation ne doit pas être traitée comme un luxe ou une faveur. Elle devra être ancrée dans notre système, afin de bâtir une vraie culture de travail. Appliquer un code pour la bonne formation nous permettra justement de trouver une formation adéquate à nos besoins, d’identifier son efficacité en termes de retour à l’emploi. Enfin, on aura à ce moment-là une formation adaptée et en phase avec le marché du travail. Certes, il faudra miser sur des formations dites pointues, afin de pouvoir accéder à des opérations à hautes valeurs ajoutées.
Les salaires sont-ils attrayants dans ce secteur ?
Les salaires sont nettement supérieurs au salaire minimum mauricien. De surcroît, ce salaire est enrichi d’une part variable qui est bien souvent déplafonné et réalisé sur la télé-vente. Je pense, sincèrement, que de ce côté-là, de nombreux salariés sont rémunérés raisonnablement.
La grande majorité des entreprises dans ce secteur se situe à Ébène. Ne faudrait-il pas créer d’autres cyber-espaces dédiés, ailleurs, pour répondre à la demande d’emploi des jeunes ?
Effectivement, la grande majorité des acteurs du BPO à Maurice est localisée à Ébène. Les loyers y sont élevés et nous constatons également de plus en plus un engorgement des infrastructures routières croissantes. Il serait bon d’envisager une « délocalisation » sur d’autres régions, mais il faut être judicieux dans nos choix. Un autre pôle me semble suffisant, compte tenu de la grandeur de l’île.
Quelles sont les perspectives dans le BPO et les défis à surmonter afin que le secteur reste un pilier de notre économie ?
Il n’existe pas encore de convention professionnelle pour les BPO à Maurice. Malgré des perspectives pour les 10 prochaines années, Maurice devra légiférer en faveur d’une convention professionnalisant le secteur pour le voir se renforcer de façon pérenne. La position de Maurice, si elle veut consolider le développement de ce secteur, devra être centrée sur la promotion de l’image des BPO auprès des jeunes 20 à 25 ans, en leur offrant un parcours académique ciblé dans ce domaine.
Nous avons suffisamment de business, afin de développer davantage, mais nous n’arrivons pas à faire plus de volume par manque de personnel. Donc, pour qu’il y ait une bonne et meilleure croissance, il ne faut pas avoir peur de s’ouvrir et de faire appel aux compétences adéquates de l’étranger. En parallèle, toute en donnant priorité aux Mauriciens, il nous faudra aussi des ‘brains’ venant des autres pays. Les autorités devront sérieusement réfléchir à cette question, sinon on risque de perdre du business au profit des autres pays qui émergent non loin de nous. Nous n’avons, donc, pas le droit d’accuser du retard dans notre développement, sinon ce sera difficilement rattrapable.
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