Patricia Adèle-Félicité se demande quel était l’objectif du rapport intérimaire du Plan Marshall contre la pauvreté rédigé par le PNUD, dont elle relève les limites. Elle s’exprime aussi sur ce qu’elle a pu constater durant ses années d’engagement sur le terrain.
Un rapport intérimaire du Plan Marshall contre la pauvreté est actuellement en circulation. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas étonnée par les observations des rédacteurs de ce document par rapport à la situation de la pauvreté à Maurice. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) vient officialiser en quelque sorte ce que nous, travailleurs sociaux, voyons sur le terrain. Ce n’est pas qu’un simple constat, la portée est très large. Je suis aussi étonnée de la place que tient la National Empowerment Foundation (NEF) dans ce document. Le rapport intérimaire parle de l’utilisation des meilleures pratiques pour les besoins de ce document. Ce qui n’est pas plus mal. Mais il y a une spécificité mauricienne qu’on ne peut occulter, de même que des bonnes pratiques qui existent déjà chez nous. Le rapport, qui en est encore au stade d’ébauche, ne parle que du projet du PNUD à Rivière-Noire. Mais avant le PNUD, il y avait déjà beaucoup d’autres ONG qui travaillaient sur le terrain et qui ont un impact.
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Vous semblez dire que le rapport pèche par la non-reconnaissance de l’engagement des autres ONG dans ce domaine...
Exactement.
Caritas île Maurice a-t-elle participé à cet exercice ?
Non. Nous n’avons pas été sollicités.
[blockquote]« Il existe des familles qui n’ont pas les besoins de base pour vivre décemment. »[/blockquote]
Comment l’expliquez-vous ?
Un communiqué avait été émis pour demander aux ONG intéressées de contribuer à cette enquête et de faire des propositions. Mais quand on s’en est rendu compte, c’était trop tard.
Pensez-vous que le rapport est incomplet sans l’apport de Caritas île Maurice et d’autres ONG ?
Ce que je dis, c’est que le rapport qui circule est une analyse et une évaluation du travail de la NEF. Je ne trouve pas suffisamment de remarques sur le travail de la société civile. C’est sûrement dû au fait que ce rapport a été commandité par le gouvernement. Est-ce que le mandat était de faire un état des lieux de ce qui se fait en général dans le combat contre la pauvreté ou était-ce limité au travail de la NEF ?
Ceci dit, on s’accorde à dire que la pauvreté gagne du terrain, que l’écart entre riches et pauvres s’accroît. Selon vous, pourquoi ?
Après 28 années de travail sur le terrain, je puis affirmer que les actions qui ont été menées jusqu’à maintenant ont été très ciblées. En même temps, on avait tiré la sonnette d’alarme quand le ministère de l’Intégration sociale avait été créé. En tant qu’ONG, nous n’avons pas de mandat pour nous occuper de tout le monde. Notre action est ciblée vers les plus pauvres. Nous n’avons pas de gros moyens mais nous faisons de notre mieux pour que les pauvres puissent intégrer le mainstream. Alors que le gouvernement, lui, a le devoir de s’occuper de tout le monde. C’est là que le ministère de tutelle est venu avec des critères pour avancer plus vite. Mais les paramètres étaient beaucoup trop restreints, ce qui fait que beaucoup se sont retrouvés en dehors et c’étaient des personnes au bord du gouffre. Les soutiens proposés n’étaient pas appropriées. Ce qui a permis à la brèche de s’élargir !
Pauvreté relative...
Pas si relative que cela. Il y a des familles qui n’ont pas les besoins de base, pas le strict minimum pour vivre décemment.
Pourtant le président de la NEF avait soutenu, dans une de ses interviews, que la pauvreté absolue n’existe pas à Maurice...
Quand j’ai lu sa déclaration, je me suis demandée s’il vit à Maurice et s’il lit les journaux. Venir dire que la pauvreté absolue n’existe pas est une insulte à toutes ces familles qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. La pauvreté absolue existe bel et bien à Maurice. C’est comme si ces personnes dans cette catégorie n’existent même plus pour l’état mauricien ! Ce n’est pas normal.
Est-ce que Caritas île Maurice a un ‘yard stick’ pour mesurer la pauvreté ?
La méthode est simple. Il suffit de voir si cette personne a accès à ses besoins vitaux. On applique l’échelle du sociologue Maslow, c’est-à-dire les nécessités de base, à savoir un logement, la nourriture, l’accès aux services de santé, à l’éducation. La question de savoir quelle est la qualité de ces nécessités vient après. La bottom line est d’établir si les droits et les besoins humains de cette personne sont respectés ou pas.
À l’heure où l’on se vante du développement économique et de l’avènement des smart cities, y a-t-il encore de nombreux Mauriciens qui vivent dans la précarité ?
Vous seriez étonnée. Il y a beaucoup de poches de pauvreté et d’extrême pauvreté à Maurice.
Quid d’une official poverty line pour définir la pauvreté ?
Justement, j’ai vu des interrogations à ce sujet dans le rapport intérimaire du PNUD. Je ne sais pas comment on est arrivé à limiter l’aide sociale à ceux qui ont des revenus mensuels ne dépassant pas Rs 6 200. Déjà, en 2012, le Household Budget Survey soulignait que pour vivre décemment, une personne, et non pas une famille, avait besoin de Rs 5 600. Je me demande comment on peut mettre un barème de Rs 6 200 pour une famille, qu’elle soit de quatre, cinq ou six personnes. Ce calcul n’est pas rationnel. Aujourd’hui les gens zwe laflit avec leurs factures ! Un mois on paie l’eau, le mois suivant l’électricité, et après ce sera le téléphone... On n’est pas sorti de l’auberge.
Est-ce une utopie de prétendre qu’on peut faire reculer la pauvreté à Maurice ?
Non. C’est une question de volonté, de stratégie et de planification. Il faut tout simplement ne pas essayer de réinventer la roue tous les deux à trois ans. Il faut s’assurer que le système éducatif freine les échecs scolaires, que chacun ait un toit et un salaire décent pour faire vivre sa famille.
Le mot de la fin ?
Il y a de très bonnes propositions dans ce plan qu’il faut partager et discuter. Ma question est : est-ce que ce livre de recettes va rester sur les étagères ou est-ce qu’on va trouver les ingrédients nécessaires pour éradiquer la pauvreté, ou est-ce que ce sera un énième rapport qui va dormir au fond d’un tiroir ?
28 ans dans le social
Âgée de 46 ans, Patricia Adèle-Félicité est mariée et mère d’un adolescent. Secrétaire générale de Caritas île Maurice depuis sept ans, elle est engagée au sein de l’organisation depuis 28 ans déjà. <Publicité
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