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Megh Pillay : «MK peut mieux redécoller sans être liée à un partenaire stratégique»

Megh Pillay, ancien CEO d’Air Mauritius, partage sa vision pour la relance de cette compagnie. Selon lui, un redécollage réussi passe par une autonomie de gestion, une stratégie commerciale renforcée et un renouvellement de la flotte. Il ne dépend pas d’un partenaire stratégique. Il analyse les défis auxquels fait face la compagnie : les retards, l’image de marque altérée et la concurrence accrue. Mais pour lui, Air Mauritius a les atouts pour renforcer sa position de leader régional.

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Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a déclaré le 10 décembre, à l’Assemblée nationale, que « conformément à la Companies Act 2001, Air Mauritius est considérée comme insolvable ». Selon vous, quelle serait la meilleure feuille de route pour qu’Air Mauritius retrouve une santé financière et puisse consolider son rôle de leader régional dans l’industrie aérienne ?
Elle doit augmenter sa production et ses ventes afin de renflouer ses revenus, couvrir ses dépenses et renouveler sa flotte. En 2019, avant la pandémie de covid-19, Air Mauritius (MK) produisait 2 300 000 sièges et en vendait plus de 1 720 000. 

Par conséquent, elle doit rationaliser son réseau, adapter sa flotte de manière personnalisée, retrouver sa ponctualité. Elle doit restaurer son marketing et son service client d’antan, tout en s’adaptant à la dynamique de ses marchés. C’était ce qu’elle accomplissait efficacement lorsqu’elle était efficiente, profitable et surtout protégée des ingérences externes. La direction avait alors la confiance du pouvoir politique. En déployant la garantie souveraine comme levier, elle peut rétablir une base solide. Et elle peut se doter des moyens nécessaires pour assumer le rôle de leader régional, d’autant que les autres acteurs ne sont pas non plus en bonne forme.

L’image de marque de la compagnie a été très sévèrement affectée depuis environ un an et demi à cause de l’accumulation de retards et d’annulations de vols. Y a-t-il une solution rapide pour résoudre cela ?
Malheureusement, il n’existe pas de solution rapide pour remédier à cette situation. La détérioration de l’image de marque de la compagnie est le résultat d’une cascade de problèmes structurels et de gestion. La compagnie a été affaiblie plutôt que redressée, avec une flotte et un personnel dépourvus des éléments clés. Ce dernier n’a pas l’expérience et la mémoire institutionnelles nécessaires. Les partenariats productifs de longue date ont été abandonnés. Et le nouveau conseil d’administration ainsi que la direction sont composés des personnes qui ont contribué aux pertes initiales. Lakwizinn ne maîtrise pas les bases de la gestion aérienne. Sa gestion inefficace a conduit à une réduction arbitraire des moyens, à la location d’avions obsolètes et à un recrutement inadapté. Ces facteurs ont engendré des annulations et des retards répétés, rendant toute solution rapide quasi impossible. Il est essentiel d’honorer les engagements pris et de trouver des avions qui répondent aux besoins du réseau. Ce qui nécessite du temps et une gestion professionnelle.

Comment redorer le blason de la compagnie ?
Pour restaurer l’image de marque de la compagnie, il est nécessaire de mettre en place un plan stratégique à court et moyen terme dans un cadre de gouvernance sain. Il faut une politique d’accès aérien favorable et le soutien constant du gouvernement, accompagné de garanties souveraines, jusqu’à ce que MK puisse opérer de manière autonome. Il est crucial de recruter et de former du personnel qualifié dans le domaine de l’aviation, de rétablir des partenariats solides et de renouveler la flotte avec des avions modernes et fiables. La transparence dans la prise de décision et la communication honnête avec les parties prenantes et les clients sont également essentielles pour redorer le blason de la compagnie. En se concentrant sur ces aspects fondamentaux, MK pourra progressivement reconstruire sa réputation et assurer une amélioration durable de ses services.

Certains avancent qu’Air Mauritius a besoin d’un partenaire stratégique solide pour pouvoir redécoller. Partagez-vous ce point de vue ?
C’est la pire option pour le pays. Presque soixante ans après son indépendance, il existe toujours des nostalgiques de l’ère coloniale. L’aviation civile est un secteur stratégique, d’autant plus pour Maurice, qui est insulaire et dont l’économie dépend fortement du tourisme. Qu’est-ce qu’un partenaire peut apporter que MK ne peut pas obtenir d’elle-même ? Connaissances, savoir-faire, équipement, technologie, gestion opérationnelle ou commerciale ? Les accords bilatéraux sont conclus entre pays. Le pays est notre principal atout, attirant en permanence des voyageurs à la recherche d’évasion. Il dispose de l’infrastructure d’accueil et d’hospitalité, ainsi que d’une expérience extraordinaire, essentielle à l’exploitation du tourisme, qui représentait près de 20 % du PIB du pays en 2019. Les compagnies aériennes se disputent le transport de nos visiteurs issus de nos marchés traditionnels les plus lucratifs. MK transportait plus de la moitié de ce flux de 1,4 million de passagers avant la pandémie. La croissance naturelle de cette demande est estimée à 5 %. Un partenaire viendra volontiers pour bénéficier de cette opportunité créée par Maurice seul depuis plus de cinquante ans. Air Mauritius peut certainement mieux redécoller sans être liée à un partenaire.

L’expérience nous montre qu’un partenariat stratégique n’est pas toujours efficace. La vente de 40 % d’actions de Mauritius Telecom à France Telecom n’a, par exemple, pas eu les résultats escomptés. Tout comme le partenariat entre Air Seychelles et Etihad qui a été un fiasco...
L’histoire de l’aviation commerciale est jonchée d’échecs de partenariats stratégiques, dont ceux que vous citez et bien d’autres, surtout entre de grandes et petites compagnies comme Emirates et SriLankan. Le cas de Mauritius Telecom ne devrait jamais être réédité. Le ministère des Finances avait besoin de Rs 2 000 000 000 pour boucler son budget. Il mit 40 % de ses actions en dépôt auprès de Port Louis Fund et utilisa ces fonds. En obtenant plus de Rs 7 milliards, ils ne voulaient pas reculer. Pourtant, MT disposait alors de Rs 5,5 milliards de réserves en banque. Ainsi, France Telecom a récupéré presque Rs 3 milliards immédiatement. Depuis vingt-quatre ans, et de manière continue, France Telecom récolte 40 % des profits d’une des compagnies les plus profitables du pays. Elle paie de lourds frais aux expatriés qui contrôlent les finances et les opérations, ainsi qu'aux directeurs étrangers. Pourtant, MT était bien plus avancée que France Telecom dans le déploiement d’importantes innovations technologiques. Il y avait par exemple le réseau mobile GSM et  le backbone ATM 100 % fibré - les deux couvraient toute l’île - au moment de la vente en novembre 2000. Son PDG, Michel Bon, en fit la découverte en personne et le rendit public. Il était normal que le petit pays que nous étions ait franchi des étapes en déployant un réseau moderne et dernier cri, tandis que la France était bien trop grande pour migrer tout son ancien réseau.

À leur arrivée, les directeurs français estimaient que MT avait surinvesti en capacité. Ils étaient contre tout investissement additionnel dans le réseau. Ils estimaient que Telecom Tower devait être mise en vente et que les réserves devaient être distribuées comme dividendes aux actionnaires. Voilà un cas dans lequel on paiera des dividendes à perpétuité pour un modeste investissement étranger sous le nom prétentieux de partenaire stratégique.

Quels ajustements Air Mauritius devrait-elle envisager pour mieux répondre aux défis actuels du secteur aérien, notamment la concurrence accrue et l’évolution des attentes des voyageurs ?
Air Mauritius est une entreprise commerciale et sa gestion ne relève pas de la science des fusées. Elle produit et vend des sièges d’avion ainsi que de l’espace fret entre des destinations où elle est autorisée. Son succès dépend de la qualité de ses sièges, de la fiabilité et de la ponctualité de ses opérations, du service offert. L’efficacité de sa flotte et de son personnel navigant est sa force. Ses revenus, provenant principalement de la vente de billets et du transport de marchandises, doivent excéder ses coûts d’exploitation et le financement de sa flotte. Opérant dans un marché concurrentiel, il est impératif pour Air Mauritius d’être efficace à tous les niveaux. 

Contrairement à d’autres porte-drapeaux de renom comme Ethiopian Airlines, Singapore Airlines, Emirates ou Turkish Airlines, Air Mauritius ne bénéficie pas toujours d’une autonomie complète en matière de gestion commerciale. Indépendamment de la fréquence des changements dans le paysage politique, Ethiopian Airlines, par exemple, est restée autonome depuis sa création en décembre 1945. Aujourd’hui, elle est la quatrième compagnie aérienne au monde en termes de nombre de pays desservis. Et elle exploite une flotte croissante et renouvelée de 158 avions. Elle est fièrement gérée par des Éthiopiens et reste toujours profitable. 

En conclusion, Air Mauritius n’a pas besoin d’un grand frère ; elle peut se gérer seule comme une entreprise bien établie. Il suffit de lui accorder l’autonomie nécessaire à la gestion d’une entreprise commerciale.

Pensez-vous qu’un éventuel retour en bourse d’Air Mauritius peut être bénéfique pour sa relance, et quels sont les éléments clés pour en assurer le succès ?
Les observateurs avertis sont unanimes à reconnaître que MK doit être recapitalisée. L’État peut le faire seul ou avec des partenaires financiers qui se retireront du capital dès l’atteinte d’une plus-value. Les partenaires stratégiques financiers au sein du capital ne posent pas les mêmes problématiques que des opérateurs aériens concurrents. Cependant, aucun investisseur n’investira son capital aussi longtemps qu’il persiste la perception que l’entreprise commerciale sera gérée par l’État ou, comme ces huit dernières années, par Lakwizinn. Ces partenaires veilleront au sein du conseil d’administration à ce que la compagnie soit gérée strictement sur une base commerciale. Plus de 12 000 investisseurs privés et institutionnels, gérant des fonds d’investissement ou des fonds de pension et non représentés au conseil d’administration, l’ont appris à leurs dépens. Entre-temps, il est dans l’intérêt de l’État de soutenir MK même si elle affiche des pertes. Au-delà de son rôle stratégique de connectivité, MK influence le coût d’accès au pays, car les concurrents alignent leurs tarifs sur ceux de MK. Sa contribution économique est énorme et les retombées de ses opérations apportent bien plus de valeur à l’écosystème que les pertes qu’elle affiche. Sans MK, Maurice ne récolterait que des miettes du tourisme. Les billets d’avion et l’hébergement, qui sont les deux principaux postes de dépense de chaque touriste, se paient à l’étranger.

Pour les billets vendus par MK, les recettes sont rapatriées à Maurice en devises fortes et comptabilisées comme exportations. On ne sait pas exactement ce qu’il en est des recettes liées à l’hébergement. En revanche, les recettes des billets vendus par d’autres compagnies comme Emirates, Turkish Airlines, Air France ou British Airways vont directement dans les caisses de Dubaï, de la Turquie, de la France ou du Royaume-Uni. Certes, elles attireront de nombreux touristes, mais elles dicteront leurs tarifs et empocheront les recettes. Toute la filière constituant la chaîne de valeur du tourisme, qui dépendra uniquement d’elles, en souffrira. Ces opérateurs aériens ne nous feront aucun cadeau sans Air Mauritius. Avec le retour de la confiance du marché, des partenaires, du personnel, de la santé financière et de la rentabilité, un retour en Bourse sera certainement envisageable et souhaitable.

Comment Air Mauritius peut-elle tirer parti des leçons de la pandémie pour bâtir une structure plus résiliente et mieux préparée aux crises futures ?
Fin 2019, MK était déjà insolvable. L’apparition de la covid-19 en février 2020 a été utilisée comme prétexte pour justifier sa mise sous administration volontaire en avril 2020. MK en est sortie en octobre 2021, juste après la réouverture des frontières en septembre 2021. D’autres compagnies, comme Singapore Airlines (SQ), dont les revenus dépendaient également exclusivement du trafic international, se sont lourdement endettées pour maintenir leur flotte et leur personnel, prévoyant une reprise avec l’arrivée des vaccins. Dorénavant, SQ investit et opère sur le réseau domestique en Inde. Pour la deuxième année consécutive, en 2023-2024, SQ a enregistré des profits records et a versé à ses employées des bonus équivalents à huit mois de salaire. Sous l’administration de Sattar Hajee Abdoola, MK s’est débarrassée de la moitié de sa flotte à bas prix. Et elle a mis fin à l’emploi de la plupart de ses effectifs les plus compétents et expérimentés, suivant les directives de Lakwizinn. Il s’agissait clairement d’une approche visant davantage la liquidation hâtive plutôt qu’une stratégie de redressement réfléchie. Et MK en subit désormais les conséquences. Aujourd’hui, MK est considérée comme insolvable après une injection de Rs 13 milliards (Rs 9,5  milliards pour les créanciers et Rs 2,5  milliards pour les dépenses pendant l’administration), ce qui ne laisse aucun fonds de roulement pour MK, et des tarifs deux fois plus élevés qu’avant la covid-19. La leçon à retenir est l’expérience de SQ.

Est-ce que le gouvernement devrait se désengager et permettre à Air Mauritius d’être gérée sur des bases purement commerciales ? Quels seraient les principaux changements à apporter pour que cette transition soit un succès ?
Non et oui ! L’État devrait s’engager financièrement pour soutenir Air Mauritius, définir les grandes lignes de son orientation, approuver sa stratégie et exiger des comptes en tant qu’actionnaire. Cependant, il serait dans l’intérêt du pays, d’Air Mauritius et de l’industrie du tourisme que le présent et les futurs gouvernements se désengagent de la gestion des affaires courantes de l’entreprise. Ils doivent suivre l’exemple des pays qui exploitent avec succès des lignes aériennes nationales.

Quid d’Airport Holdings Ltd (AHL) qui est le propriétaire à 100 % d’Air Mauritius  ? C'est une structure mise sur pied il y a trois ans et qui appartient à 51 % au gouvernement et à 49 % à la Mauritius Investment Corporation (MIC), entité de la Banque de Maurice.

Maurice n’a pas la culture d’affaires ni le modèle de gouvernance publique de Singapour. AHL et MIC n’ont rien en commun avec Temasek, le fonds souverain de l’État de Singapour, qui détient moins de 25 % du capital de Singapore Airlines, coté en bourse. Il était clair que AHL avait été créé initialement pour masquer les pertes massives de MK sous la gestion de Lakwizinn. Il y avait un plan de capture étatique par Lakwizinn de tout l’écosystème. Car des investissements massifs dans les infrastructures aéroportuaires qui allaient créer des opportunités d’affaires étaient prévus.

À première vue, il serait plus sage de démanteler AHL et de rationaliser l’orientation de ses principales filiales en regroupant des activités complémentaires. Comme par le passé, un cluster comprenant MK, MHL, AML, Mauritius Duty Free Paradise et Ground Handling serait plus efficace que les 22 filiales isolées. Cependant, tout démembrement nécessitera, au préalable, un exercice de due diligence.

 

 

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