Quelles devraient être les priorités du budget du Premier ministre et ministre des Finances Pravind Jugnauth ce lundi 10 juin 2019 ? Les professionnels de divers secteurs de l’économie et de la société nous livrent leurs points de vue. Les priorités de chaque secteur, les erreurs à ne pas commettre et leur souhait personnel.
Textile - Beas Cheekhooree : Actuel membre du conseil de la MEXA
Les impératifs
Améliorer la connectivité. Le air fret comme moyen principal d’acheminement des produits exportés à partir de Maurice. Un levier efficace dans notre stratégie de différentiation contre les pays compétiteurs qui sont proches de nos marchés. Le circuit maritime avec un temps de transit insoutenable plombe nos exportations vers nos marchés principaux. Connectivité régionale accrue et disponible.
Il faut à tout prix attirer l’investissement dans le secteur manufacturier axé sur la technologie. Il faut absolument gagner en productivité et en capacité d’ajouter de la valeur autrement. Utilisation de la technologie pour mitiger l’effet du manque de main-d’œuvre.
Assurer une meilleure visibilité de Maurice comme partenaire efficace, avec un respect accru pour l’environnement, utilisations des moyens de production et des procédés écologiques. Encourager les bureaux d’achat et de design à s’implanter à Maurice. Donc, un branding intelligent de notre île.
Les erreurs à ne pas commettre
L’incohérence stratégique. Il faut continuer sur une stratégie manufacturière sectorielle et explosée – avec une ségrégation et des considérations différentes entre les grandes, moyennes et petites entreprises.
Insister sur les créneaux et produits qui requièrent une main-d’œuvre non disponible à Maurice – donc, se fier à la main- d’œuvre étrangère, avec tous les aléas que cela comporte.
Adopter une stratégie marketing nationale inadaptée à nos objectifs.
Souhaits
Une connectivité aérienne comme facilitateur et moteur d’exportation, disponible et compétitive. Réinvestissement dans le secteur manufacturier, mais dans des nouveaux domaines.
Tourisme - Jocelyn Kwok : Chief Executive Officer de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM)
Les impératifs
Relancer le secteur dit productif de biens et de services, en reconnaissant leurs difficultés du moment (charges salariales grimpant de manière déraisonnable, roupie peu stable et moins compétitive, menaces sur la compétitivité à l’international, manque aigu de main-d’œuvre, concurrence déloyale de l’informel…) et en adoptant des mesures fortes.
Arrêter le cercle vicieux autour du chômage des jeunes et des programmes forts coûteux visant à augmenter leur employabilité. Les résultats sont mitigés ; reconnaissons ce fait et avançons dans une meilleure direction. En réduisant les obstacles et intervenants institutionnels trop administratifs et en encourageant l’entrée des jeunes dans le monde de l’entreprise dès 15-16 ans.
Les obstacles à la croissance économique sont connus ; attaquons-les frontalement.
Les erreurs à ne pas commettre
Donner encore plus de moyens à des institutions publiques qui restent en deçà de leurs objectifs de résultats et qui ne sont pas des modèles de bonne gestion.
Imaginer encore des mesures pour les PME naissantes, alors que les efforts de nos autorités devraient être concentrés sur celles qui ont survécu leurs trois premières années. Ne pas discerner les vraies PME avec un vrai propriétaire et/ou un vrai gérant à plein temps des autres PME ‘sur papier’ qui n’existent que pour tirer avantage des bénéfices et autres avantages accordés chaque année.
Rester insensible aux représentations des vrais acteurs économiques. Ceux-ci connaissent leurs affaires et lorsqu’ils demandent certaines mesures, ils le font en toute connaissance de cause et en étant très au fait des risques qu’ils prendraient et des opportunités qui pourraient s’offrir à eux. L’État et ses agents ne peuvent prétendre en savoir plus.
Souhaits
Espérer un vrai coup de fouet à l’économie productive du pays et un allégement fortement indiqué des charges des employeurs (taxe professionnelle, CSR, taxe de l’environnement…), qui sont ensuite dirigées vers des administrations publiques trop lourdes ou peu performantes.
Santé - Dr Bhooshun Ramtohul : Président de l’association des chefs de service
Les impératifs
Plus d’argent au secteur de la santé pour un meilleur service. Donner plus de moyens pour ne plus pratiquer la médecine comme on le fait aujourd’hui.
Il faut viser la médecine de pointe et les dernières technologies.
La création de centres spécialisés pour les différentes pathologies. Par exemple, pour l’orthopédie.
Les erreurs à ne pas commettre
Le manque de communication entre ceux au bas de l’échelle et ceux en haut dans la réalisation de projets.
On fait des propositions qui finalement ne profitent pas à qui de droit.
Mauvaise coordination entre les différents acteurs concernés.
Ivor Tan Yan : Président de 100 % Citoyens
Les impératifs
Arrêter le gaspillage. Le rapport de l’audit est assez clair quant au gaspillage au niveau du gouvernement. Il est important de renforcer le bureau de l’audit avec du personnel additionnel pour qu’il y ait un rapport non chaque année, mais chaque trois mois. C’est envisageable. Au moins Rs 10 milliards pourront être économisées.
Il y a 26 ministères. Il est tout à fait possible de regrouper plusieurs d’entre eux. Par exemple, le ministère de la Sécurité sociale, celui de l’Intégration sociale et le ministère des Terres et du Logement. Ils offrent des services pour la même population. Ils sont appelés à travailler ensemble. Les regrouper sous la même ombrelle donnerait de meilleurs résultats.
Les erreurs à ne pas commettre
Continuer à mettre la croissance et le PIB comme principe directeur du budget. Ce n’est plus un secret que le bien-être des citoyens ne repose plus sur la croissance. Il faut cesser avec des budgets purement comptables et favoriser un budget par rapport aux besoins des citoyens.
Investir dans des projets qui ne vont pas bénéficier à tous les citoyens. Par exemple, plus de Rs 18 milliards ont été investies dans le Metro Express. Sauf que ce projet améliorera la vie de ceux qui voyageront de Rose-Hill à Port-Louis, mais alourdira la dette publique.
Ne pas considérer la construction de logements sociaux comme une priorité.
Favoriser les grosses entreprises et les gros investisseurs qui, une fois qu’ils ont bénéficié des facilités offertes, n’hésitent pas à mettre la clé sous le paillasson, provoquant en conséquence des licenciements. Aussi, favoriser des consortiums avec des avantages démesurés. Et ne pas penser aux PME, qui emploient la moitié des salariés. Ce serait une erreur de négliger les PME qui sont le cœur de notre économie.
Souhaits
Que le gouvernement investit sérieusement dans la formation continue, en commençant par redynamiser le HRDC. Il faut que ceux formés soient à la hauteur de ce que réclame le marché du travail. Il faut adopter cette culture de learning society.
Investir dans les personnes, car c’est cela notre plus grande richesse. Il faut commencer dès le pré-primaire.
Épauler les élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Certes, il y a le extended stream, il faut désormais des enseignants spécialisés.
Social - Edley Maurer : ONG Saphire
Les impératifs
Le prochain Budget doit mettre l’accent sur le social, le pays ne pouvant avancer économiquement s’il n’y a pas d’investissement dans les ressources humaines, surtout pour ceux qui éprouvent beaucoup de difficulté pour subsister. L’accent doit être mis sur la situation des enfants qui n’arrivent pas à s’adapter au système éducatif actuel. La plupart de ces enfants abandonnent alors leur scolarité. Je salue cependant les bonnes intentions du ministère de l’Éducation avec le Nine-Year Schooling.
Les enfants des rues sont les plus vulnérables, ce sont nos enfants qui deviennent les adultes de demain. Si nous voulons une meilleure société, nous avons besoin de plus de motivation pour la prise en charge des enfants. Les organisations non-gouvernementales doivent également avoir accès à une formation moderne pour mieux opérer.
Les erreurs à ne pas commettre
Les ONG dépendent entièrement de la National CSR Foundation qui, je dois le reconnaître, fait bien son travail. Cependant, quand les ONG présentent leurs projets, elles n’obtiennent que la moitié du financement. Le gouvernement ne doit pas penser que cela est suffisant, car beaucoup d’ONG n’arrivent pas à mener à terme leurs projets. Autre aspect à considérer : si les compagnies sont victimes d’une baisse considérable de leurs profits, est-ce que la NCSR obtiendra les fonds nécessaires pour opérer ?
Souhaits
Que la justice sociale prédomine dans le cadre de ce Budget. Il faut des mesures sociales qui prennent vraiment en considération les problèmes de notre société. Il faut prendre un bon chemin, pour que l’égalité des chances existe pour tout citoyen.
Hemant Sonoo : Président du comité du Syndicat des sucres
Les impératifs
Promouvoir la production en offrant des incentives aux planteurs.
Valoriser les produits dérivés de la canne.
Réduction du prix des fertilisants grâce à l’achat groupé à travers la STC.
La création d’un planter’s support desk dans chaque usine.
Les erreurs à ne pas commettre
Abandonner la terre.
Venir avec des solutions piece-meal.
Souhaits
Soutien du gouvernement pour la vente des produits locaux.
Des facilités de stockage.
Pramode Jaddoo : Économiste
Les impératifs
Depuis qu’il est au pouvoir, ce gouvernement présente des budgets rationnels. Il y a des projets à compléter. Il est important de continuer sur cette lancée.
Le salaire minimum est le minimum vital pour une vie décente. Le gouvernement est condamné à augmenter la pension de la vieillesse. Mais a-t-on les moyens ?
La création d’emplois. 25 % des jeunes qui sont qualifiés ne trouvent pas du travail à cause du mismatch. Le Youth Employment Programme est à revoir.
Résorber l’endettement public, qui est de plus de 65 % du PIB. C’est énorme. Sans parler du déficit commercial. À ce niveau, il y a plusieurs défis à relever.
Les erreurs à ne pas commettre
Mélanger les enjeux économique et politique. Le gouvernement ne doit pas se laisser influencer par la joute électorale et présenter un budget « chocolat ». Il y aura un prix à payer pour les quelques mesures populaires annoncées et qui auront un coût élevé. Ces mesures sont des fois injustifiées, mais électoralement viables.
Annoncer des projets en fanfare, mais qui tardent à démarrer, comme l’économie bleue.
S’endetter davantage, car ce n’est pas une solution, mais un engagement.
Le manque de planification pour les projets.
Souhaits
Un budget rationnel, de continuité et du sérieux, avec un accent particulier sur la modernisation et l’innovation. On a du retard à rattraper, si on veut faire face aux défis du futur.
PME - Jean-Max Appanah : Expert-comptable, co-fondateur de Smart Moves for Entrepreneurs
Les impératifs
Une des priorités serait la réduction de la Corporation Tax pour les PME opérant sur le marché domestique. Il faudrait le ramener de 15 % à 3 %, comme c’est le cas pour les PME engagées dans l’export. La plupart des PME desservent principalement le marché local. Il n’y a aucune mesure pour encourager les entrepreneurs qui sont dans le secteur des services. L’accent n’est mis que sur les PME de production. C’est une erreur. Au niveau des banques, nous l’observons avec regret : l’entrepreneur doit se tourner vers les banques traditionnelles. Les banques dites PME ne prêtent pas forcement aux PME. Elles font plus facilement confiance aux entreprises plus mûres et stables.
Les erreurs à ne pas commettre
Vu le timing, nous savons que les futures échéances électorales auront une influence sur le budget qui sera présenté. Il ne faudra pas négliger les entrepreneurs pour autant. Où sont les autres mesures promises dans le SME 10 Year Masterplan ? On attend toujours que le SME Mauritius joue son rôle de catalyseur pour le secteur.
Quand on parle de financement, combien de fonds vont réellement aux TPE et PME ? Prenons le SME Equity Funds : sur les Rs 500 millions disponibles pour les SMEEF, seulement Rs 250 millions ont été utilisées.
Souhaits
Nous réclamons toujours la même chose : une vraie stratégie nationale et cohérente pour que les TPE et PME jouent enfin un vrai rôle dans l’économie. Qui est aujourd’hui à l’écoute des entrepreneurs ? Qui mise aujourd’hui sur l’expérience et le savoir des entrepreneurs ? Nous, les entrepreneurs, devront être parties prenantes dans l’élaboration des mesures pour le secteur.
Construction - Booshan Ramloll : Entrepreneur
Les impératifs
Il faut augmenter le Capital Budget avec encore plus de projets pour que le secteur continue à progresser. Il faut également enlever les taxes sur les produits résidentiels, ce qui pourra booster le secteur de 35 %. Il y a un grand besoin en main- d’œuvre. Cependant, avec un manque conséquent de personnel qualifié, il faut ouvrir l’accès à la main-d’œuvre étrangère.
Les erreurs à ne pas commettre
Il ne faut pas mettre des taxes sur les matériaux de construction, ni sur les véhicules utilitaires. Sans oublier de continuer à faire que les entreprises puissent avoir accès aux finances. Il ne faut pas tuer le secteur en augmentant les intérêts sur les prêts bancaires, ni en restreingnant la main- d’œuvre étrangère.
Souhaits
Un taux d’intérêt préférentiel aux start-ups, ceux qui, pour la première fois, vont construire une maison : exemple un couple qui vient de se marier et veut avoir sa propre maison.
Secteur Financier : Bernard Yen : Directeur général d’Aon Hewitt Ltd
Les impératifs
Il faut encourager le développement continu du secteur au niveau régional et international, mais pas que. Il faut également reconnaître que ce développement peut et doit être accéléré par une plus grande ouverture aux professionnels étrangers et aux Mauriciens de la diaspora.
Autre priorité : travailler sur l’image de Maurice en tant que centre financier et rehausser la qualité des instances régulatrices à mieux comprendre et gérer les risques sans freiner le développement. Sans oublier de continuer à travailler sur une fiscalité attractive et juste au niveau international.
Les erreurs à ne pas commettre
Il ne faut absolument pas endetter le pays ou les générations futures avec des décisions populistes et irresponsables (par exemple, augmenter la pension de vieillesse encore et encore, sans tenir compte des effets à long terme). Il ne faut pas augmenter l’ingérence de l’État dans des domaines qui sont mieux gérés par le secteur privé dans toute sa diversité. Il ne faut également pas développer une dépendance malsaine sur l’État providence.
Souhaits
Mon souhait est de voir plus d’humilité, de clairvoyance et d’honnêteté de la part de nos dirigeants et politiciens, pour que le pays sorte vraiment gagnant à long terme. Mais aussi plus d’intelligence et de pouvoir pour la société civile et la population en général à faire les bons choix, surtout à l’approche des prochaines élections générales.
Éducation - Faizal Jeerooburkhan : Membre de Think Mauritius
Les impératifs
Le système éducatif actuel a fait son temps et demande à être remanié dans son intégralité, pour répondre efficacement aux nouvelles exigences sociales, économiques, environnementales et mondiales. Il faut identifier les faiblesses et les nombreuses sources de gaspillage de fonds publics dans le système.
Il faut impérative-ment revoir l’éducation préscolaire, le socle de notre système éducatif, qui représente seulement 1,5 % du budget global de l’éducation.
Il faut une politique fiscale pour décourager les leçons particulières inutiles, qui portent préjudice à notre système éducatif dans son ensemble.
Les erreurs à ne pas commettre
Il ne faut pas dormir sur ses lauriers et se dire « noumem meyer ». Il s’agit de ne pas se renfermer dans une tour d’ivoire et faire la sourde oreille aux cris du cœur de la population, de ne pas investir aveuglement dans un système favorisant le savoir au détriment du savoir-faire et du savoir-vivre. Ne pas banaliser la recherche, qui est pourtant primordiale, pour revoir l’efficacité de notre système éducatif. Ne pas laisser pourrir la situation dans les écoles en termes d’indiscipline, de violence, d’absentéisme, de drogue synthétique, de leçons particulières et surtout ne pas se réjouir qu’on dépense Rs 18 milliards sans évaluer la pertinence de ces dépenses.
Souhaits
Il faut un budget qui justifie le montant alloué au système éducatif afin de réduire les gaspillages et de corriger les nombreuses faiblesses. Il s’agit aussi de permettre à nos enfants de vivre leur enfance paisiblement et sans stress, ainsi que de préparer nos jeunes à faire face à la mondialisation, au protectionnisme, aux défis de la technologie de l’information et de la communication, au changement climatique, à la future « bataille de cerveaux » entre les pays pour leur survie économique.
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