Société

Les Mauriciens et l’État islamique

Le Défi Quotidien prend la liberté de reproduire un dossier paru dimanche dans l’hebdomadaire STAR, qui a pour but de faire réfléchir sur les risques d’endoctrinement des jeunes pour adhérer à l’Etat islamique en Irak et en Syrie (ISIS). L’ex-président de la République Cassam Uteem, l’universitaire Khalil Elahee et le travailleur social Imraan Dhanoo ont analysé les raisons de la séduction des jeunes pour l’ISIS, le rôle des religieux et des mosquées et les actions à prendre pour décourager l’adhésion à l’ISIS.

Pourquoi l’État islamique séduit les jeunes et les convertis ?

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CASSAM UTEEM: « Les victimes consentantes des manipulateurs de conscience »

  D’abord parce que les jeunes et les convertis sont ceux qui sont particulièrement ciblés par ce groupe hérétique qui se proclame l’Etat islamique. Ces jeunes et autres nouveaux venus à l’islam constituent son terreau pour assurer la mise en œuvre d’une idéologie qui dénature l’islam car, contrairement à celle-ci, elle prêche et sème la haine et la violence. En évoquant, surtout à travers les réseaux sociaux, et en s’appuyant sur des versets coraniques cités mal à propos et hors de leur contexte, les faits horribles et malheureusement réels qu’ont vécus les populations de certains États comme l’Afgha- nistan, l’Irak, la Libye ou encore la Syrie aux mains de certaines puissances étrangères à la région du Moyen Orient, qui n’ont pas hésité à tuer des centaines de milliers d’innocents hommes, femmes et enfants, ils jouent sur les sentiments de ces jeunes, tous influençables, immatures, peu ou pas encore formés pour comprendre l’essence de leur religion. Certains vivant même en marge des sociétés, en Europe comme dans les pays dits islamique du Moyen Orient, qui se laissent facilement endoctriner et deviennent ainsi les victimes consentantes des manipulateurs de conscience, prêts à embraser le monde, tuant à leur tour, hommes, femmes et enfants innocents.  

KHALIL ELAHEE: « Par l’émotion et pas la raison et encore moins la foi »

  D’abord, sauf pour les sunnites exclus du pouvoir en Irak et en Syrie, les autres qui adhèrent à cette organisation le découvrent surtout grâce à l’inter- net et les medias. Parmi, il y a des convertis ou des jeunes qui n’ont eu aucune éducation à l’islam au préalable. Ils viennent de milieux difficiles, mais pas toujours. À Maurice, il faut être prudent et ne pas dire que tout jeune internaute musulman est un sympathisant probable de Daesh. A l’heure des réseaux sociaux, il devient trop facile de coller une étiquette à autrui suite à un propos que ce dernier aurait « posté ». Auparavant, il fallait lire, étudier et comprendre les textes et les contextes afin de réfléchir et de s’exprimer correctement. Aujourd’hui, certains internautes brûlent ces étapes et s’aventurent à tout connaître et à donner une opinion en une fraction de seconde. C’est aussi l’émotion qui domine, pas la raison et encore moins la foi. Et l’interactivité des échanges encourage souvent l’agressivité au détriment du dialogue. Certains finissent par adopter des positions retranchées, l’ego et l’absence d’esprit critique piégeant souvent certains internautes.  

IMRAAN DHANOO: « Se joindre à l’État islamique pour aller combattre l’injustice »

  Pendant ce qui s’est passé en France lors des attaques contre le journal satirique Charlie Hebdo et au stade de France et au Bataclan, nous avons noté que les jeunes assaillants sont en fait des jeunes de banlieue qui ont une crise identitaire. Les jeunes sont séduits par ce que l’ISIS leur propose. Les techniques de communication de l’État islamique les séduisent. Ils communiquent par tweeter, youtube, facebook, et autres techniques modernes. D’autre part, il existe aussi une motivation d’ordre idéologique qui pousse les jeunes à adhérer à la cause de l’État islamique. Nous devons prendre en considération le milieu défavorisé des jeunes, les problèmes du chômage et la pauvreté. Leurs régions sont défavorisées et ils sont considérés des parias par la société. Les jeunes qui sont sur internet découvrent les injustices commises contre leurs frères et sœurs syriens. Pour eux, se joindre à l’État islamique, c’est aller combattre l’injustice et le capitalisme.  
   

Quelle est la part de responsabilité de nos mosquées et chefs religieux ?

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IMRAAN DHANOO: « Nos chefs religieux souffrent d’un déficit de communication »

  Pour combattre le problème de radicalisation, les hommes religieux ont un grand rôle à jouer. Ils sont les acteurs importants dans la société civile. Les hommes religieux sont considérés comme des modèles et ils doivent connaître leurs textes religieux et le contexte dans lequel nous vivons. Dans notre société multiraciale, les chefs religieux doivent mon- trer aux jeunes comment vivre en harmonie. On ne doit pas se voiler la face pour avancer que nos chefs religieux souffrent d’un déficit de communication et sont limités académiquement. Combien d’hommes religieux utilisent tweeter ou facebook pour communi- quer ? Un homme religieux doit être un sociologue, un psychologue et un anthropologue. Il doit comprendre la société pour communiquer avec les jeunes. Je suis d’avis que les hommes religieux doivent se regrouper pour discuter et trouver une solution après réflexion.  

CASSAM UTEEM: « Aucun imam n’encourage le meurtre des innocents »

  Je n’ai rencontré, à Maurice, aucun imam ou chef religieux qui encourage les musulmans, jeunes comme vieux, de se joindre au nom de l’islam, à un mouvement qui prêche tout ce que condamnent les textes sacrés de l’islam, notamment le meurtre des innocents. Toutefois, nous devons dorénavant dénoncer avec plus de vigueur certaines idéologies importées qui ont, ailleurs, donné naissance à des groupuscules comme Al Qaeda ou Daesh et mettre nos jeunes en garde contre toute forme de corruption du système de valeurs islamiques. La bonne éducation islamique s’apprend aussi et surtout à la maison. Les parents ont aujourd’hui, plus que par le passé, le devoir de veiller à la transmission des valeurs de l’islam à leurs enfants et empêcher que d’autres viennent les dénaturer.  

KHALIL ELAHEE: « Il faut insuffler aux jeunes un goût du savoir »

  Ils font ce qu’ils peuvent mais ils sont dépassés. Le système des madrassahs a fait son temps et n’a pas suffisamment évolué surtout face à la dichoto- mie éducation séculière/éducation religieuse. Les parents aussi ne savent pas trop comment donner à la maison une éducation religieuse à leurs enfants, voire une bonne éducation tout simple- ment. Les mosquées servent surtout comme lieux de prières, ou presque rien d’autre ne se passe. Il n’est donc pas étonnant que l’internet attire et dans certains cas fasse des dégâts. Tariq Ramadan exhorte ceux qui regardent ses vidéos sur internet à se tourner vers les livres pour une vraie compré- hension, pas uniquement se contenter de l’écouter. Il faut insuffler aux jeunes un goût du savoir et cela passe nécessairement par un retour à une lecture qui enrichit et épanouit les esprits. Et cela aidera à un éveil spirituel. Et dire que le premier mot révélé est « Iqra »!  
   

Que faut-il faire pour décourager l’adhésion à l’ISIS ?

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KHALIL ELAHEE: « Stigmatiser les musulmans ne fera qu’alimenter Daesh »

  Paradoxalement, tout en prônant un retour aux livres avec un esprit critique et une formation au sens spirituel des choses, il faudra aussi instituer une pédagogie de l’exemplarité. Cela veut dire qu’il faut multiplier dans le quotidien les exemples concrets ou nous vivons l’islam par nos paroles et nos actes. Il faut témoigner par notre vécu ce qu’est l’islam. Cela agira comme un antidote au poison qu’instillent certains islamophobes et à l’exemple anti-islamique de certains musulmans. Ce travail d’engagement personnel ou communautaire peut aussi se faire dans le cadre d’un vivre ensemble respectueux des valeurs que nous partageons avec nos compatriotes d’autres communautés. Et, finalement, le travail qui se fera à l’intérieur de la communauté pour une vraie éducation à l’islam ne sera que plus facile si tout le monde, y compris à l’extérieur de la communauté musulmane, agisse contre une culture grandissante d’islamophobie. C’est grave de voir l’alliance stratégique qui se fait entre les extrêmes. Daesh appelle à l’hijra vers la Syrie, les gens comme Donald Trump veulent empêcher l’entrée des musulmans aux USA. Le premier présente une distorsion de ce qu’est l’is- lam et ces derniers disent reconnaître le vrai islam. Au fait, nous n’avons pas tiré les leçons de la «war on terror» de Bush et consorts et aujourd’hui il y a le risque d’une autre surenchère sécuritaire. Stigmatiser les musulmans ne fera qu’alimenter Daesh. Est-ce cela que certains veulent finalement?  

IMRAAN DHANOO: « Il faut une formation des imams par des universitaires »

  Il faut pouvoir combattre la stratégie de Daesh et freiner son idéologie révolutionnaire. C’est aux hommes religieux de faire ce travail et faire comprendre aux jeunes que l’islam n’a jamais prôné la violence, ni ordonné la tuerie. Au niveau de l’éducation, il faut introduire des sujets comme Peace Studies. Il faut aussi mener un combat contre la pauvreté et contre l’injustice. J’insiste sur la formation des imams par des professeurs qualifiés en sociologie et en anthropologie. Ils doivent pouvoir venir expliquer aux jeunes les problèmes de société et les défis qui nous guettent. Nous vivons dans une société multiraciale, multiculturelle et multilinguistique. Chaque communauté a ses spécificités, mais partage les mêmes valeurs que sont l’amour et la paix. Nous sommes tous des enfants de l’Afrique, de l’Inde et de l’Eu- rope. Ce phénomène de Daesh viendra jeter des doutes dans notre société qui prône la paix et le respect mutuel. Il faut faire tout pour empêcher cette propagation.  

CASSAM UTEEM: « Créer encore plus d’échanges interreligieux »

  Eduquer et former nos jeunes et créer encore plus d’opportunités d’échanges interculturels et interreligieux, afin de mieux se connaître et mieux connaître, et donc mieux apprécier, son voisin de confession religieuse différente. À Maurice, nous avons appris à vivre ensemble, en bonne entente et en harmonie, à nous enrichir de nos différences et à nous respecter mutuellement et à respecter les cultes et les cultures de notre voisin. Nous continuerons, aujourd’hui comme demain, à suivre la même voie de la tolérance, du respect, de la compréhension mutuelle et de l’amour fraternel. Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on avec raison !
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