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La Week-end Court siégeant jusqu’à fort tard dans l’affaire Pravind Jugnauth Me Dev Ramano parle d’une «justice éclair»

Me Dev Ramano soutient que c’est du jamais-vu ».

La polémique a pris de l'ampleur après que la Weekend Court a siégé durant la nuit du dimanche 16 février 2025 jusqu'aux petites heures du lundi 17 février 2025. Cette situation a ravivé les débats sur l'existence d'une justice à deux vitesses. Nombreux sont ceux qui dénoncent un traitement de faveur accordé à certaines personnalités, au détriment du principe d'égalité devant la loi. Dans ce contexte, quelles sont les failles du système judiciaire qui permettent de telles disparités ? Quelles réformes seraient nécessaires pour garantir plus de transparence et d’équité ? Éléments de réponse avec Me Dev Ramano.

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« Du jamais-vu ! » s’exclame Me Dev Ramano en pointant du doigt le traitement différencié entre un citoyen lambda et une haute personnalité. « L’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, a été arrêté le 16 février 2025 vers 2 heures du matin. Il a été placé en détention provisoire avant de comparaître devant la Weekend Court vers 11 heures le même jour. La police a d'abord objecté à sa libération sous caution, ce qui a conduit à deux heures de débats. Ensuite, la Weekend Court a mis cinq heures avant de statuer. Le représentant du Directeur des poursuites publiques (DPP) a ensuite demandé du temps pour décider s'il allait s'opposer ou non à la remise en liberté. Finalement, ne s’y opposant pas, la Weekend Court a libéré Pravind Jugnauth sous caution vers 23 h 45 », explique l’homme de loi, ajoutant que pour « un citoyen lambda, un tel traitement aurait été impensable ». 

Poursuivant son récit, Me Dev Ramano dira : « Pour un citoyen ordinaire, si la poursuite objecte à sa remise en liberté sous caution, il est immédiatement conduit en cellule policière. Sa demande serait alors examinée dans un délai d’au moins une semaine. Le jour des débats, la Cour pourrait encore renvoyer les plaidoiries, prolongeant ainsi la détention provisoire. La décision finale serait rendue ultérieurement, maintenant l’individu en détention jusqu’à ce moment-là », explique l’homme de loi. 

« Si la Cour accorde finalement la liberté sous caution malgré l’objection de la poursuite, le citoyen est encore une fois reconduit en cellule policière, car le dossier est automatiquement déposé en appel devant la Cour suprême. Là encore, l’individu demeure en détention en attendant la décision de cette instance supérieure. Et même si la Cour suprême finit par autoriser la libération sous caution, un autre obstacle se dresse : si la caisse n’est pas ouverte pour le paiement de la caution, le citoyen est renvoyé en cellule jusqu’à ce que le paiement soit possible. »

Me Ramano résume ainsi le calvaire du citoyen lambda, pris dans un labyrinthe judiciaire où chaque étape retarde sa libération.

Réalité injuste

Pour l’avocat, Pravind Jugnauth a bénéficié d’une justice rapide, ce qu’il qualifie de « jamais-vu ». Toutefois, il souligne que ce n’est pas illégal, mais qu’il faut distinguer entre ce qui est légal et ce qui est moralement acceptable. « La réalité injuste de notre société de classes se reflète malheureusement dans la justice offerte », affirme-t-il.

Il souligne que, selon le principe fondamental de la justice : « chaque personne est égale devant la loi ». Mais il s’interroge : est-ce vraiment la réalité ? La perception du public, dit-il, est qu’il existe une justice « de deux poids, deux mesures ». Il met en avant que l’ancien Premier ministre a bénéficié d'une « justice à une vitesse éclair », et que cette injustice, palpable aux yeux des citoyens, suscite leur colère, car ils ne reçoivent pas le même traitement. Pour lui, le cas de Pravind Jugnauth crée un précédent. D’autres, précise-t-il, ont vu leur demande de liberté sous caution rejetée et ont été maintenus en détention provisoire pendant plusieurs mois. Il évoque, entre autres, les cas de Bruneau Laurette, d’Ivan Bibi, de Me Akil Bissessur et sa compagne, Doomila Moheeputh, entre autres.

Abolition de l’accusation provisoire 

Par ailleurs, Me Dev Ramano est revenu sur la décision de la Weekend Court, qui a évoqué des « strong evidence » et accordé la liberté sous caution à Pravind Jugnauth. Il précise qu’une accusation provisoire repose uniquement sur une « reasonable suspicion ». À ce stade, explique-t-il, le terme « strong evidence » doit être interprété dans le cadre de cette suspicion raisonnable. Ensuite, lorsqu’un procès formel est engagé, il doit y avoir un « reasonable prospect of prosecution ». Enfin, lors du jugement de la culpabilité ou de l'innocence de la personne, la décision doit se fonder sur le principe du « beyond reasonable doubt ».

D'autre part, Me Dev Ramano a critiqué le concept de l'« accusation provisoire », qu'il qualifie de « cancer et d’archaïque », un principe hérité de la période coloniale. Il rappelle qu’en Angleterre, ce concept a été aboli il y a 40 ans et remplacé par la Police and Criminal Evidence Act (PACE). L’ironie, selon lui, réside dans le fait que ce principe a été introduit par les Anglais à la suite des événements dramatiques qui ont marqué le paysage social des années 80, notamment les émeutes de Brixton dans le sud de Londres en 1981. À cette époque, la légitimité de la police était remise en question, tout comme la manière de mener les enquêtes, la corruption au sein des forces de l’ordre, ainsi que le traitement des personnes arrêtées et les erreurs judiciaires.

A la suite d’une commission d’enquête menée par Lord Scarman, la Police and Criminal Evidence Act de 1984 a vu le jour.

Quelles réformes apporter pour éviter une « justice à deux vitesses » ?

Selon Me Dev Ramano, il est crucial d’introduire le PACE afin d’éviter les « miscarriages of justice ». Il rappelle que l’objectif du PACE en Angleterre était de centraliser le pouvoir de la police sous un « code of practice » unique et de trouver un équilibre, avec prudence, entre les droits des individus et le pouvoir de la police. Le projet de loi PACE à Maurice est prêt depuis longtemps, mais les différentes autorités en place ont tergiversé. Il est grand temps de « set our foot down » et de l’implémenter afin de répondre à l’objectif qu’il sous-tend.

Il précise aussi qu’avant d’arrêter une personne, une enquête approfondie doit être menée par la police pour justifier cette arrestation. Car, souligne-t-il, nombreux sont ceux qui ont souffert d’injustices. Il évoque les préjudices auxquels une personne est confrontée lorsqu’elle est arrêtée : la perte de son emploi, de sa réputation et de sa dignité. Et bien souvent, après un an ou plus, l’accusation provisoire retenue contre elle est abandonnée faute de preuves. Mais cette personne se retrouve dans l’impossibilité de réparer les séquelles de son calvaire. 

La Bail Act

D’autre part, Me Dev Ramano est revenu sur la Bail Act de 1999, qui stipule que « chaque personne a le droit d’être libérée si son procès n’est pas jugé dans un délai raisonnable ». Cependant, il précise que bien que l’octroi de la caution soit un droit fondamental, ce n’est pas un droit « absolu ». En effet, la section 4 de cette législation permet à la cour de refuser la libération sous caution, en fonction des circonstances. Il a fait référence au cas de Noordally v DPP (1986), qui précise : « Si une personne n’est pas libérée dans un délai raisonnable, elle doit être libérée inconditionnellement ou sous des conditions raisonnables ». Il a également évoqué l’adage : « La liberté est la norme, la détention est l'exception ».


 

 

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