Chaque samedi, l’équipe de l’émission « Au cœur de l’info » décortique l’actualité de la semaine. Les divers invités apportent, au micro de Nawaz Noorbux et Jugdish Joypaul, un nouvel éclairage aux débats en cours. Nous en reproduisons les extraits saillants.
[blockquote]Ajay Daby: «Cela pourrait créer d’autres problèmes»[/blockquote]
Vous êtes contre l’introduction de la langue créole dans les institutions comme le Parlement et la Justice. Expliquez-vous.
D’abord, qu’on ne me prenne pas pour un irréductible. Je suis seulement contre tout ce qui remet en question le bon fonctionnement des institutions. On règle un problème en trouvant des solutions et non en créant d’autres problèmes. Je pense qu’il faut faire la différence entre vulgariser et rendre vulgaires les institutions. Je crains fort qu’avec l’introduction de la langue créole au Parlement, on assiste à un enchaînement de dérapages verbaux. Je ne crois pas qu’il faille léguer un tel héritage à nos enfants.
Associer la langue créole à la vulgarité, ne pensez-vous pas que c’est très réducteur ?
Toutes les langues contiennent une part de vulgarité et il y a des risques de dérapages dans l’utilisation de l’argot. Malgré qu’on parle le cockney à Londres, on utilise un anglais bien poli lors des débats au Parlement. Je suis certes flexible, mais je ne trouve aucune raison de remettre en question les procédures parlementaires. Au contraire, nous devons améliorer le niveau au Parlement. Il faut qu’il y ait un certain décorum.
On ne remet pas en question l’utilisation des langues anglaise et française, mais on veut y ajouter le kreol...
Comme je l’ai dit, Maurice est un petit pays multiracial où les langues ancestrales sont bien vivantes. Je crains fort que si l’on introduit le kreol au Parlement, les autres communautés demandent que leurs langues respectives y soient également représentées. Nous risquons de nous retrouver dans un débat sans fin.
Toujours est-il que la langue créole est parlée par la grosse majorité des Mauriciens. Ne pensez-vous pas que son utilisation va permettre à nos concitoyens de mieux comprendre ce qui se passe au Parlement, surtout qu’on compte retransmettre en direct les travaux parlementaires ?
Voyez-vous, si le kreol est introduit au Parlement, cela posera d’autres problèmes d’ordre pratique. Je pense aux comptes-rendus (Hansard) des travaux parlementaires qui devront être traduits du kreol à l’anglais. Et ce ne sera pas un travail facile. Plusieurs ambassades utilisent ces documents pour rédiger leurs rapports sur les débats parlementaires afin de les envoyer dans leurs pays respectifs.
Ne pensez-vous pas que l’introduction d’une troisième langue au Parlement sera bénéfique à la population ?
Tout cela devra faire l’objet d’une étude et toute décision devra être prise dans l’intérêt de la population. Je ne suis pas contre l’utilisation de la langue créole, mais je reste persuadé qu’il faut utiliser les langues qui sont des outils de développement au sein de nos institutions.
Ne pensez-vous pas qu’avec l’introduction du kreol, certains députés seront plus à l’aise pour poser des questions parlementaires et intervenir lors des débats ?
Pensez-vous vraiment qu’ils pourront mieux poser leurs questions en créole ? Non, je ne le crois pas.
[blockquote]Dev Virahsawmy: «Il faut avant tout une bonne maîtrise»[/blockquote]
Quelles sont les implications derrière l’utilisation de la langue créole au Parlement et dans d’autres institutions ?
La langue créole est suffisamment développée pour être utilisée de pair avec l’anglais au Parlement, en Cour suprême etc. Toutefois, je ne crois pas que les députés sont prêts pour l’utiliser au Parlement.
Pour pouvoir manier une langue, quatre compétences sont nécessaires. Outre l’écriture, il faut maîtriser l’écoute, le parler et la lecture. Je vous fais remarquer que même ceux qui sont pour l’introduction du kreol au Parlement ne maîtrisent pas parfaitement son aspect oral. Ils font un mélange de français et de kreol. Bien souvent, ils écoutent mal. Pire, ils ne savent pas lire et écrire correctement le kreol standard.
Il est essentiel de s’assurer au préalable que tous les parlementaires maîtrisent la graphie du kreol morisyen, car après leurs interventions, ils sont appelés à corriger leurs textes avant qu’ils ne soient publiés dans le Hansard. Cela dit, pour résoudre ce problème, il faut que le kreol devienne le médium d’enseignement. Cela va permettre à tous les Mauriciens de savoir comment lire et écrire le kreol.
À Maurice, nous avons la chance d’avoir comme langue nationale le kreol et comme langue officielle l’anglais. À travers le livre que je vais publier prochainement, Bilingual Literacy, je démontre qu’à travers la langue créole, il est facile d’apprendre l’anglais, car il y a de grandes similitudes dans leurs grammaires respectives.
Ne mettons pas la charrue devant les bœufs. Maîtrisons bien le kreol avant de l’introduire dans les institutions. Entre-temps, on peut traduire les textes de loi. Valeur du jour, toutes nos lois sont rédigées en anglais.
Certaines personnes craignent qu’avec l’introduction de la langue créole, on pourrait avoir plus de dérapages au Parlement.
Toutes les langues ont leurs versions raffinées et vulgaires. Les gens vulgaires vont utiliser un langage vulgaire et les gens raffinés utiliseront un langage raffiné. Ce qui me fait peur, c’est qu’on utilise un kreol approximatif au Parlement et, de ce fait, on sème la confusion au sein de la population. Dans toutes les démocraties, il y a des dérapages. Il ne faut pas utiliser cela comme une excuse pour ne pas avancer en tant que nation. Nous sommes certes un pays indépendant depuis 47 ans, mais nous ne sommes pas encore devenus une nation.
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