Interview

Krish Ponnusamy ancien Senior Executive dans la fonction publique : «Un bon service public se reconnaît à la qualité de ses fonctionnaires»

Plus que jamais, la fonction publique attire les jeunes en quête d’un emploi. Sans doute à cause des incertitudes et de la précarité qui planent sur certains emplois dans le privé, le fonctionnaire reste le salarié envié à cause de la sécurité de son poste et des avantages qui vont avec. Dans l’interview qui suit, Krish Ponnusamy, fort de ses 40 années comme fonctionnaire et ancien Senior Executive dans la fonction publique, en dit plus sur l’attrait qu’offre le travail dans ‘le gouvernement’.

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Pourquoi de nombreux Mauriciens lorgnent-ils encore un poste dans la fonction publique ?
Certainement en raison de ses nombreux avantages, d’abord en termes de sécurité d’emploi. Mes propres parents voulaient que j’intègre la fonction publique à cause de la sécurité qu’elle offre et pour la pension, à la fin du service. Ensuite, il y a eu une bonne évolution des choses depuis la mise sur pied de l’Official Terms and Conditions of service qui sont contenus dans la lettre de nomination de toute personne admise dans la fonction publique. Elle a trait aux salaires, aux augmentations régulières chaque année.

C’est une lettre complète, une pratique n’existe pas dans tous les autres secteurs d’activités. Il ne faut pas non plus oublier que les autres nominations sont le fait d’autres institutions, dont la Disciplined Forces Service Commission, la Local Government Services Commission ou  encore la Judicial and Legal Services Service. Il y a eu des avancées par rapport à l’époque coloniale, où les fonctionnaires travaillaient également le samedi. Ces avantages ont été obtenus grâce aux excellents rapports qui ont toujours prévalu entre la direction de la fonction publique et les syndicats des fonctionnaires. Ces négociations avaient abouti à un consensus sur le fait que le rendement du travail les samedis n’était pas tangible, les banques elles-mêmes avaient fini par supprimer le jour de travail.

Est-ce que les salaires influencent-ils également le choix porté sur la fonction publique ?
Oui, il y a la révision régulière et toujours progressive des salaires et des conditions de service. Auparavant, cette tache incombait au Commissaire aux salaires, mais aujourd’hui, il revient au Pay Research Bureau de l’accomplir. Normalement, ce bureau publie ce rapport tous les cinq ans, mais en ce moment, il y a des négociations pour raccourcir ce délai. Il faut aussi faire ressortir que les salaires sont versés ‘2 clear  days’ avant la fin du mois et si un de ces jours tombe durant le week-end, les salaires peuvent tomber quatre avant. Les sick leaves et les casual leaves accumulés sont aussi remboursés et, faisant suite à une recommandation du PRB, les overseas leaves ont été étendus à des catégories de salariés au bas de l’échelle. Cela traduit un grand esprit d’équité. C’est la raison pour laquelle on parle de famille lorsque l'on fait référence à la fonction publique.

Mais on parle aussi d’un corps statique, incapable de s’adapter aux attentes de la modernité ?
C’est inexact. Des fonctionnaires retournent régulièrement sur les bancs de l’université pour se remettre en question, certains partent dans des grandes écoles comme l’École Nationale d’Administration (ENA), en France. Ce qui est pris en compte lorsqu’ils postulent pour des postes supérieurs. Il faut aussi savoir que dès qu’il prend ses fonctions, un fonctionnaire est syndiqué automatiquement, ce qui n’est pas le cas dans le secteur privé. Pour mieux protéger leurs droits, le gouvernement a même créé un Public Service Appeal Tribunal, qui vient renforcer les commissions déjà existantes. On peut aussi ajouter l’existence de l’Equal Opportunity Commission, qui est une instance qui peut aussi être saisie.

Le fonctionnaire n’est pas payé pour servir un parti politique, ni pour avoir des états d’âme, mais pour servir le gouvernement.»

Est-ce que les syndicats de la fonction publique ont-ils une bonne oreille auprès du gouvernement ?
Oui, parce que les dirigeants syndicats sont des fonctionnaires expérimentés et il est dans l’intérêt du gouvernement de les écouter. En tout cas, lorsque j’étais à l’Hôtel du Gouvernement, je me faisais un devoir d’écouter leurs doléances.

Comment le gouvernement peut-il être aussi généreux avec les fonctionnaires ? Il n’y a pas très longtemps, on a vu un pays comme la Grèce en rupture de paiements…
Je ne crois pas qu’il s’agit de générosité, le gouvernement doit s’assurer d’avoir à sa disposition des fonctionnaires fiables qui soient au service du pays. Cela dit, il faut que l’économie, elle, fonctionne à plein régime pour assurer et pérenniser les services publics. Une économie malade, ou artificielle, ne pourra jamais le faire.  Un bon service public se reconnaît à la qualité de ses fonctionnaires. Il y a un prix à payer pour maintenir la qualité des services. Le directeur de l’Audit vise les comptes, comme c’est le cas dans les grands pays comme la France où il existe la Cour des comptes. Il faut aussi compter avec le Fonds monétaire international, qui scrute notre politique monétaire.

Est-ce un vestige de l’administration coloniale britannique ?
J’ai eu la chance de travailler avec les Anglais, j’ai vu leur manière de faire, caractérisée par une profonde rigueur, dont certains fonctionnaires se sont inspirés. Après l’indépendance, nous avons su reprendre le relais. Aujourd’hui, la question qui se pose, c’est la transmission de ces valeurs, qui risquent de se perdre, car nous avons une problématique de générations à tous les niveaux. Il faut étudier l’histoire de la fonction publique, à Maurice pour comprendre son cheminement et ce que nous avons accompli, pour ensuite se projeter dans le futur. Les cours, les stages de formation servent à cela.

N’est-ce pas là la fonction de nos institutions scolaires ?
C’est une question complexe, car les études littéraires de même que celles de langues s’appauvrissent. Certains fonctionnaires ont été éduqués dans cette tradition, or aujourd’hui, je m’aperçois que certains ne connaissent même pas l’histoire de Maurice, ni ne s’intéressent à l’actualité internationale. Cela s’applique à tout le monde, car on ne s’efforce pas à transmettre les valeurs.

Est-ce que le ministère fait-il assez pour la formation des fonctionnaires ?
Oui, des moyens énormes sont investis pour leur professionnalisation, notamment dans le service-clients, dans le collège qui sera bientôt transféré à Ébène.

Mais existent-t-il des moyens afin d’évaluer la qualité de leurs services ?
Oui, ils peuvent être jugés par leurs pairs, le public et les journalistes, il existe une véritable transparence pour ce faire. Mais c’est aussi au chef de personnel de le faire, s’il ne le fait pas, je me demande qui va le faire. Des réunions sont organisées pour examiner les attitudes, les comportements. Même au sein du Conseil des Ministres, on sait ce qui se passe, car ces derniers en font état.

Est-ce qu’un fonctionnaire peut-il entraver le projet de son ministre pour des divergences politiques ?
Un fonctionnaire n’est pas payé pour servir un parti politique, ni pour avoir des états d’âme, mais pour servir le gouvernement, mettre en œuvre sa politique. Cela figure dans son code de conduit. S’il s’en écarte, c’est qu’il se comporte mal et il se mettrait en danger.

 

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