Le pays pourrait faire face à une nouvelle hausse du VIH. Le point avec des travailleurs sociaux en marge de la Journée de lutte contre le sida qui est observée le 1er décembre.
« La lutte contre le VIH semble au point mort », lâche tout de go Kunal Naik, chargé de plaidoyer au Collectif urgence toxida (CUT). Pour cause, depuis la suspension du traitement de substitution à la méthadone à l’intention des nouveaux patients, le gouvernement semble attendre l’évaluation de l’Onusida avant l’introduction du nouveau traitement à la naltrexone et subroxone. L’arrêt de ce programme de réduction des risques (RdR) avait provoqué une levée de boucliers chez les organisations non gouvernementales qui encadrent et accompagnent les toxicomanes et personnes vivant avec le VIH/sida (PVVIH).
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Hausse des injecteurs de drogues
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Le nombre de cas de VIH étant plus élevé chez les usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI), le programme RdR mis en place avait permis une nette diminution de nouvelles contaminations parmi cette population à risque.
« Les décisions prises en haut lieu au sujet de ces programmes (pour lesquels Maurice était pourtant cité en exemple en Afrique) ont influé sur le nombre d’injecteurs de drogues à Maurice. Cela a causé une augmentation du nombre de personnes qui s’injectent des drogues, cette augmentation a été notée sur le
terrain », explique Nudhar Bundhoo, chargée de plaidoyer chez Pils. De 550 clients en moyenne l’an dernier, l’ONG CUT reçoit 900 à 950 clients cette année, confirme Kunal Naik. Cela, avec l’éventualité qu’ils s’échangent des seringues souillées et provoquent de nouvelles contaminations au VIH. Les chiffres pourraient alors de nouveau grimper. « Nous avons averti le gouvernement de cette éventualité, dès l’annonce de l’arrêt du programme de méthadone pour les nouveaux patients, » martèle-t-il.
« Par contre, la cinquantaine de bénéficiaires qu’accueillait Lakaz A se sont dispersés dans la nature » déplore Ragini Runghen coordinatrice au sein de cet ONG qui émane du Groupe A de Cassis. « Faute d’intégrer le programme de substitution, ils se sont découragés et n’ont pu se contenter du counselling qu’on leur proposait », dit-elle. « Il faut trouver une solution au plus vite, afin qu’on atteigne le niveau zéro infection », ajoute Marlène Ladine, directrice du centre Chrysalide.
Faits et chiffres
- 34 millions de personnes sont décédées du VIH dans le monde depuis la découverte de la maladie.
- Environ 36,9 millions de personnes vivaient avec le VIH en 2014. Deux millions concernaient de nouvelles infections.
- L’Afrique subsaharienne, dont fait partie Maurice, est la région la plus touchée par cette maladie avec 25,8 PVVIH. Le plus grand nombre de nouvelles infections se trouvent dans cette région, soit près de 70 %.
- Il n’y a aucun remède contre le VIH à ce jour, mais des traitements antirétroviraux (ARV) ont démontré leur efficacité et permettent aux patients d’être productifs et en bonne santé.
- Seuls 51 % des personnes infectées connaissent leur statut. Environ 150 millions d’enfants et d’adultes dans 129 pays à faibles ou revenus intermédiaires ont bénéficié des services de dépistage du VIH l’an dernier.
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Zéro infection
La crainte d’une nouvelle explosion du VIH à Maurice est palpable. Les derniers relevés témoignent de cette hausse. De 31 cas de nouvelles contaminations en octobre 2014, le chiffre est passé à 30 en septembre 2015, après avoir connu le niveau le plus bas de 14 cas rapportés en mars 2015. Face à une situation qui risque de nouveau d’être chaotique, les travailleurs sociaux réclament des mesures immédiates afin que Maurice puisse s’aligner sur la démarche de zéro infection que prônent l’Onusida et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis plusieurs années. Nos interlocuteurs préconisent aussi la mise en place d’un programme de RdR avec le soutien et le suivi nécessaires. « Le suivi psychosocial était une étape essentielle dans la bonne marche du programme de méthadone, mais elle a été négligée. Les ONG ne sont pas là pour faire le travail de l’État, mais pour veiller à ce que l’État travaille dans le sens de la population et soutenir ses actions » souligne Nudhar Bundhoo. « Les programmes de prévention devraient commencer depuis l’école », renchérit Ragini Runghen qui a du mal à comprendre pourquoi les travailleurs sociaux ne peuvent avoir accès à tous les collèges pour des campagnes sensibilisation. « L’information et la formation continue à l’intention des bénéficiaires, des membres de leur famille, des proches et des volontaires devraient s’accentuer », avance pour sa part Marlène Ladine.6 284 séropositifs officiellement
Les chiffres cumulatifs du VIH/sida à Maurice indiquent que le nombre total de cas rapportés depuis 1987 à septembre 2015 était de 6 284. En tenant compte du nombre de cas rapportés chez les étrangers (241 à septembre dernier) le nombre total était de 6 525. « Environ 3000 personnes vivraient avec le VIH sans le savoir », soutient Nudhar Bundhoo. Ils contaminent probablement d’autres personnes en ne prenant pas les précautions de mise, simplement parce qu’elles ne se sentent pas concernées ou pensent que le VIH ne peut pas les toucher.Forte prévalence chez les injecteurs de drogue
Il est avéré à Maurice que de tous les cas de VIH/sida rapportés depuis 1987, 67,9 % des transmissions étaient dues à l’injection de drogues par voie intraveineuse. En 2000, seuls 2 % des nouveaux cas étaient rapportés chez les injecteurs de drogues. Ce chiffe a grimpé à 7 % en 2001, pour passer à 92 % en 2005. Les chiffres ont par la suite baissé à 47,2 % en 2012 pour atteindre 31,1 % en 2014, alors que les chiffres étaient de 38,1 % en 2013. Les relevés de cette année indiquent que le nombre est de 34,5 %, selon les statistiques dont dispose Pils.Témoignage: « Le VIH est une maladie comme une autre »
C’est les larmes aux yeux que Nageem, 42 ans, nous raconte son calvaire. Il a été diagnostiqué séropositif en 2005. Pour avoir osé révéler son statut sérologique, il a perdu femme et enfants et nombre de ses proches se sont détournés de lui. « À cette époque, avoir le sida équivalait à mourir incessamment ». Aujourd’hui, avec tous les traitements disponibles, c’est plus le regard de la société qui tue. Il déplore qu’en dépit de toutes les campagnes menées, la stigmatisation et la discrimination envers les PVVIH restent tenaces. Bouleversé par l’annonce de sa séropositivité, il a choisi d’en parler à son épouse au lieu de, comme tant d’autres, taire ce secret pour ne pas devoir subir le rejet de la société. « Zot pa dire zot madam nanien pou pa perdi li. Kan zot fer sa zot kontaminn li », déplore-t-il. Aidé de Pils, Nageem suit régulièrement son traitement afin de survivre en ce bas monde. Pour se racheter du mal qu’il a pu causer autour de lui, il s’occupe de son vieux père en espérant obtenir la clémence de son créateur. « C’est une prière pour moi que de m’occuper de mon père », dit-il. Désormais volontaire auprès de l’ONG qui le soutient, Nageem évoque son expérience autour de lui, afin que d’autres ne se laissent pas piégés par la toxicomanie qui lui a fait connaître une vie de chien. Pour lui, la société ne devrait pas considérer le VIH comme une malédiction. « C’est une maladie comme une autre. Elle ne tue plus comme auparavant, si l’on suit son traitement convenablement. » Il exhorte enfin la société de ne pas porter de jugement sur les PVVIH.Nicolas Ritter, directeur de Pils: « J’ai des inquiétudes »
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Le ministère de la Santé préside désormais le National Aids Committee, cela a-t-il changé quelque chose dans la lutte contre le VIH/sida ?
Oui. Auparavant, cette instance était présidée par le Premier ministre. Elle était composée de ministres et membres de la société civile, dans le cadre d’une approche multisectorielle pour l’implémentation d’une réponse multisectorielle au problème. Depuis quelques mois, on nous a annoncé une nouvelle façon de faire les choses, en l’occurrence un NAC où il n’y a pas d’autres ministres que celui de la Santé.
Les meilleures pratiques internationales veulent qu’il y ait un organisme de coordination national qui assure, en toute sérénité et efficacité, une coordination entre différents ministères puisque le VIH concerne la Santé, l’Éducation, la Sécurité sociale, l’Intérieur par rapport à la prison, celui de la Jeunesse, des Finances et du Tourisme…
On sent que vous n’êtes pas trop satisfait de cette approche…
Elle est diamétralement opposée à la façon dont nous avons opéré depuis 2001/2002. Nous n’avons pas assez de recul pour évaluer l’impact de cette décision éminemment politique. Dans un an, on pourra effectuer une évaluation de ce que cela a donné. Peut-être que ce sera une bonne chose, mais j’en doute. J’ai même des inquiétudes. Je ne demande qu’à être contredit sur cette question. Qu’on me prouve que le ministère de la Santé est capable d’assurer une coordination nationale de tous ces enjeux, de façon efficace. Pour l’instant, je suis sceptique.
La lutte contre le VIH ne serait-elle pas une priorité pour le présent gouvernement ?
Non, parce que le VIH n’est pas qu’une question de santé comme je viens de vous le dire, compte tenu de ce désengagement du bureau du Premier ministre, en terme de coordination de la réponse nationale au VIH. Cela ne semble plus un enjeu prioritaire.
Quelle est la situation du VIH à Maurice ?
Nous avons diminué de moitié le nombre de nouvelles contaminations, contrairement aux années de braise où il n’existait pas de programme de réduction des risques. On avait en moyenne une cinquantaine de nouveaux cas par mois, aujourd’hui nous tournons autour de 20-25. Ce sont toujours des cas de trop, quand on considère que Maurice pourrait être l’un des premiers pays à éliminer toute transmission du VIH.
Que préconisez-vous pour améliorer la situation ?
On doit améliorer notre offre de dépistage et les outils à notre disposition pour éviter les contaminations. Il faut mener une prévention combinée, avec l’utilisation du préservatif et la mise sous traitement, car c’est aussi bon et même mieux que le préservatif pour éliminer les risques de transmission.
On commence à peine à appliquer les vieilles recommandations de l’OMS qui datent de trois ans. Il s’agit de proposer un traitement immédiatement si la personne est positive, peu importe le niveau d’immunité. Sur le long terme, on a moins de risque de développer des infections opportunistes. On sait aujourd’hui qu’une personne bien traitée, qui suit son traitement comme il le faut ne dispose pas de la quantité de virus nécessaire pour le transmettre à une autre personne, même si elle n’utilise pas le préservatif. C’est une véritable révolution.
L’OMS préconise également l’utilisation de la prophylaxie pré-exposition (PReP), des traitements anti séropositifs pour ceux qui n’ont pas le sida, mais qui ont des pratiques à risques régulières et qui n’arrivent pas ou ne peuvent pas se protéger. La France, qui est très prudente sur la question de traitements, vient d’autoriser l’usage du Truvada, un médicament utilisé aux États-Unis depuis trois ans.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !