Chaque Budget comporte son lot de mesures fiscales qui font grincer des dents ou qui apportent un certain soulagement. Qu’est-ce qui est faisable dans la conjoncture actuelle ? Le ministre des Finances va-t-il prôner une certaine austérité pour équilibrer les comptes de l’État ?
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Coût de la vie cher
Révision attendue de ces taxes, contributions et droits d’accises
Les prix des carburants et des produits alimentaires montent en flèche en raison des conséquences de la pandémie de Covid-19 et la crise russo-ukrainienne. La révision de certains taxes, droits d’accises et contributions est un moyen de maîtriser la hausse des prix et de soulager la population mauricienne.
Droits d’accises sur le carburant
L’économiste Eric Ng est d’avis qu’il y a un besoin de réduire les droits d’accises (excise duty) sur le carburant. « Maurice ne fera que suivre l’exemple du gouvernement de l’Inde qui vient de réduire les droits d’accises sur le pétrole par Rs 8 le litre », fait-il ressortir. Et ce, avance-t-il, alors que tout comme le gouvernement mauricien, le gouvernement indien a des subventions sociales, des pensions et des investissements publics à financer.
L’économiste soutient qu’après quatre hausses successives de 10 % des prix des carburants, les recettes de la TVA générées par litre d’essence ont augmenté de Rs 3. « Je pense qu’on peut enlever Rs 3 des droits d’accises en les ramenant à Rs 9,20 par litre d’essence. Une telle mesure fiscale est tout à fait juste », propose-t-il.
Le président de la Petrol Retailers Association, Bhim Sunnassee, partage le même avis. « Avec la hausse des prix des carburants sur le marché mondial, l’État bénéficie déjà d’une hausse sur les recettes de la TVA. Ainsi, il peut se permettre de réduire les droits d’accises. Cette réduction va éventuellement ramener à la baisse le prix à la pompe », souligne-t-il.
L’observateur économique Imrith Ramtohul abonde dans le même sens. « Les droits d’accises sur le carburant sont trop élevés. Si le gouvernement mauricien suit le pas de l’Inde en réduisant les droits d’accises, les prix des carburants vont baisser considérablement », dit-il.
Contribution pour la vaccination
Eric Ng estime qu’on peut abolir la contribution de Rs 2 pour la vaccination sur les carburants. « Le gouvernement a suffisamment responsabilisé les Mauriciens sur l’importance de la vaccination contre la Covid-19 pour rendre le vaccin maintenant payant. D’ailleurs, il ne revient pas aux automobilistes de financer la santé des autres », avance-t-il.
Imrith Ramtohul acquiesce. « L’achat des vaccins n’est plus d’actualité comme c’était le cas en pleine pandémie. Par ailleurs, la majorité de la population est déjà vaccinée. Donc, l’État peut réduire la contribution, voire l’éliminer », argumente-t-il.
Pour sa part, l’expert-comptable Tahir Wahab indique que si les droits d’accises et la contribution de Rs 2 pour l’achat des vaccins sont éliminés, le prix de l’essence passera de Rs 74 à Rs 60. « Ce sera un grand soulagement pour les automobilistes. »
Contribution à la Road Development Authority
Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (APEC), rappelle que le « landed cost » CIF de carburant est de Rs 39,41 le litre d’essence et de Rs 40,88 de diesel. « Alors qu’on nous fait croire que les prix sont gonflés démesurément sur le marché mondial, ce sont les nombreuses taxations faussement baptisées ‘contributions’ qui gonflent les prix, sans compter la TVA qui s’applique comme une surtaxe avec Rs 9,66 sur chaque litre d’essence », déplore-t-il.
À son avis, il faut carrément éliminer les contributions à la RDA. « Cet organisme bénéficie déjà d’un gros budget de l’État pour les projets d’infrastructure », fait-il valoir.
Covid-19 Solidarity Fund
Après les conséquences de la pandémie, les activités dans quasiment tous les secteurs économiques retournent à la normale, observe Imrith Ramtohul. « Même dans le tourisme, les activités se portent bien. Ainsi, je ne vois pas la nécessité de contribuer au Covid-19 Solidarity Fund », lance-t-il.
Cette contribution est de Re 1. « Une réduction pourrait soulager la population d’une certaine mesure », insiste-t-il.
Avis partagé par Suttyhudeo Tengur. « Avec la reprise économique, il y a un besoin de revoir la contribution au Covid-19 Solidarity Fund », martèle-t-il.
Droits de douane sur les produits alimentaires importés
Il n’y a pas de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les denrées de base qui sont produites localement. « Quant aux produits alimentaires importés, on peut toujours enlever les droits de douane », recommande Eric Ng.
Pour sa part, l’expert-comptable Tahir Wahab affirme qu’« en réduisant les droits de douane sur certains produits alimentaires importés, les prix seront plus abordables pour les consommateurs ». Qui plus est, ajoute-t-il, cette réduction ne doit pas se limiter aux produits alimentaires mais s’appliquer à d’autres produits de première nécessité.
Suttyhudeo Tengur estime, lui, que tous les produits alimentaires doivent être « zero rated ». « Pendant des campagnes promotionnelles, il y a des différences jusqu’à Rs 200 entre les prix normaux et promotionnels sur certains produits dans des grandes surfaces », fait-il remarquer.
Selon lui, les autorités devront mener une enquête sérieuse sur les prix qu’offrent les grossistes-importateurs aux surfaces commerciales et aussi revoir les prix au détail.
Taxe sur les revenus
Tahir Wahab pense que la réduction du taux de la taxe sur le revenu (Income Tax) apportera une bouffée d’air frais aux salariés de la classe moyenne et redynamisera éventuellement la consommation. Actuellement, dit-il, le taux de taxe sur le revenu est de 10 % pour ceux touchant entre Rs 25 000 et Rs 50 000.
Cette catégorie concerne principalement les familles de la classe moyenne qui, selon l’expert-comptable, sont également affectées par la flambée des prix. « Si le taux de la taxe est réduit de
5 %, cela permettra à ces familles de souffler », avance-t-il.
Ces mesures fiscales fortement redoutées
La reprise économique reste terne. Ainsi, pour équilibrer les comptes de l’État, le ministre des Finances pourrait revoir certaines taxes. Ce qui pénaliserait autant les consommateurs que les entreprises.
Une hausse du Solidarity Levy
Bernard Yen, actuaire et directeur général d’Aon Solutions, indique qu’il y a une crainte que le Solidarity Levy soit potentiellement augmenté. « Ce serait une mauvaise chose si c’est le cas car cela va décourager les investisseurs étrangers. Quand on n’avait pas le Solidarity Levy, on pouvait se vanter qu’on avait une ‘low tax jurisdiction’. Aujourd’hui on attire plus difficilement les compétences étrangères, y compris mauriciennes », fait-il ressortir.
Ce n’est pas John Chung, Managing Partner chez KPMG, qui dira le contraire. « Toute augmentation de taxe n’est pas la bienvenue. Une hausse du Solidarity Levy découragera les gens qui travaillent dur », souligne-t-il.
Prashant Calcutteea, Senior Partner chez RSM Mauritius, est du même avis.
« Le niveau de taxe individuelle est plus élevé que 15 % si l’on ajoute le Solidarity Levy, la Contribution Sociale Généralisée », soutient-il. De plus, poursuit-il, le pays n’est plus aussi attractif fiscalement parlant par rapport à ses compétiteurs qui ont le même business model.
« Si nous souhaitons attirer les professionnels de haut niveau et les investisseurs, la question d’augmenter les taxes ne se pose pas. Bien au contraire, il faut revoir les taxes à la baisse, quoique la conjoncture actuelle ne nous le permet pas », ajoute Prashant Calcutteea.
Rehausser la TVA
C’est une des mesures qui est la plus redoutée à l’approche de tout Budget : une augmentation de la TVA, qui est une des plus importantes sources de revenus de l’État.
« Chaque 1 % d’augmentation de la TVA ramène plus de revenus à l’État. Cependant, la conséquence c’est qu’une telle mesure risque de réduire la consommation et les importations », fait ressortir Bernard Yen.
Prashant Calcutteea fait valoir, au passage, que le gouvernement a renforcé sa caisse sur la TVA car les produits importés coûtent plus cher en raison du fret et de la dépréciation de la roupie. « Il reçoit plus de revenus sans avoir même eu à augmenter la TVA », souligne-t-il.
Ces autres taxes qui suscitent des appréhensions
- L’imposition d’une taxe sur les grosses fortunes. Ceux qui perçoivent plus d’argent paient déjà plus de taxes par le biais du Solidarity Levy, soutient John Chung. Il sera idéalement plus facile de taxer les grosses fortunes par une taxe immobilière que de taxer les revenus, soutient Bernard Yen.
- Qu’il y ait des taxes additionnelles sur certains produits types comme les boissons alcoolisées, les cigarettes, entre autres.
- Introduction de nouvelles taxes comme la taxe immobilière.
Ils ont dit
John Chung, Managing Partner chez KPMG
« Chacun a ses propres objectifs. Pour l’État, c’est de retrouver les fonds nécessaires pour mener à bien les projets. Ce qui passe impérativement par plus d’entrée de taxes. A l’autre extrémité, il y a les contribuables qui veulent payer le moins de taxes possibles. Il y a un équilibre à atteindre. Mais il faudra être réaliste. Personne ne sera jamais satisfait car l’État voudra percevoir plus de recettes fiscales et le contribuable voudra économiser le plus. »
Bernard Yen, actuaire et directeur général d’Aon Solutions
« La Contribution Sociale Généralisée demeure un problème. C’est une taxe sur l’emploi qui ne motive pas les entreprises à embaucher car le salarié tout comme l’employeur devront payer cette taxe additionnelle. Il faudrait songer à l’enlever. »
Fiscalité : ce que proposent des économistes
Quelle politique fiscale le ministre des Finances adoptera-t-il dans le Budget 2022-23 ? Trois économistes évoquent la marge de manoeuvre de Renganaden Padayachy et font des propositions en termes de taxes et impôts.
Dr Takesh Luckho, économiste : «Une nouvelle taxe passera mal»
« La taxation reste l’outil principal du gouvernement pour renflouer les caisses. Les différentes taxes apportent à l’État environ Rs 100 milliards annuellement, dont Rs 25 milliards en termes de taxe directe (sur le revenu) et Rs 50 milliards en termes de taxe indirecte (la VAT). Nous avons déjà une panoplie de taxes dans l’arsenal fiscal du gouvernement. À cela, il fait ajouter la Contribution Sociale Généralisée qui est considérée comme une taxe additionnelle sur le revenu. Au vu de la conjoncture économique actuelle, une nouvelle taxe passera très mal, autant auprès des particuliers que des entreprises. Au contraire, la population attend plutôt un coup de pouce des autorités, dont une baisse des taxes et contributions sur le carburant. »
Manisha Dookhony, économiste : «La TVA sera un des focus de la stratégie fiscale»
« L’État va sans doute viser les composants qui pourraient rapporter de l’argent. Le composant principal de notre ‘Gross Domestic Product’ est la consommation. La TVA sera un des focus de la stratégie fiscale. La TVA rapporte une très grande quantité d’argent à l’État. Le deuxième élément sera de s’assurer que les paris recommencent. Avec les courses qui ne se sont pas déroulées normalement ces deux dernières années, l’État a dû avoir un très grand manque à gagner au niveau des taxes sur le betting. La relance devrait réduire le manque à gagner pour la fiscalité. Mais de l’autre côté, il y a aussi des gains de TVA grace à l’inflation et la dépréciation de la roupie. »
Bhavish Jugurnath, économiste : «Important d’aider ceux qui touchent entre Rs 18 000 et Rs 35 000 par mois»
« Les politiques fiscales qui stimulent la croissance économique resteront essentielles pour permettre à l’île Maurice de relever les défis auxquels elle est confrontée au-delà de la crise de la Covid-19. L’évolution du paysage économique (ralentissement marqué de la productivité, numérisation accrue, pertinence croissante des actifs incorporels et prix élevés du pétrole) crée des défis mais aussi des opportunités pour améliorer la conception fiscale afin de soutenir une croissance inclusive et durable. Le système fiscal peut stimuler l’investissement dans la recherche et le développement et les activités connexes grâce à des politiques fiscales bien conçues, en particulier celles ciblant les entreprises jeunes, petites et à faible productivité. La diminution de l’impôt sur le revenu pour les personnes à revenu moyen est importante. Avec l’augmentation de l’inflation de la consommation de plus de 20 %, il est important d’aider le groupe de familles gagnant entre Rs 18 000 et Rs 35 000 par mois par le biais d’une imposition plus faible. Il est très important d’éviter une crise sociale grâce à un impôt sur le revenu progressif.
De surcroît, la politique fiscale a un rôle important à jouer dans le renforcement de l’équité par le biais de politiques visant à gérer la répartition des revenus et de la richesse. Avec l’augmentation des besoins de recettes publiques et des inégalités depuis le début de la pandémie, les gouvernements ont commencé à se tourner vers des sources de recettes fiscales nouvelles ou sous-utilisées qui pourraient être compatibles avec les objectifs de réduction des inégalités. Dans ce contexte, les impôts sur les revenus du capital des particuliers et sur la propriété devront probablement jouer un rôle plus important à l’avenir. »
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