L’impact du Coronavirus sur économie nationale est à l’agenda. L’exercice, à ce stade, est difficile pour plusieurs raisons, dont l’incertitude. Mais tout le monde s’accorde à dire que la situation économique dans laquelle se trouve le pays est très grave et qu’elle pourrait devenir « catastrophique ». La crise économique est mondiale et sans précédent, et notre économie, de par sa structure ouverte, est complètement dépendante de l’extérieur, tant pour les importations que pour les exportations.
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Cette crise vient impacter notre économie déjà confrontée à de sérieux problèmes conjoncturels et structurels. Le PIB connaissait une croissance de 3,6 % et la projection était de 3,9 % pour 2020. L’endettement était de 65 % du PIB, les prévisions de croissance pour les principaux piliers faibles, et de sérieuses inquiétudes concernaient le BPO. Le taux de chômage est de 6,5 %, avec un taux plus important chez les jeunes et les femmes. Parent pauvre de la politique économique, le secteur des PME (40 % du PIB), qui emploie 300 000 personnes, est confronté à de sérieux problèmes. Avec les autres entreprises, il commence à souffrir dangereusement, malgré le plan d’urgence d’une allocation de Rs 5 100 à ceux touchés pour parer au plus pressé. à cela, il faut ajouter une partie de la population qui vit dans la précarité et la pauvreté.
Un plan d’accompagnement d’envergue
Disons-le d’emblée : une « catastrophe économique » toucherait une grande partie de la population mauricienne, dont les classes moyennes. Selon des observateurs et analystes, il y aurait entre 50 000 et 100 000 personnes qui risquent de perdre leur emploi dans les mois à venir. Si le pays ne se dote pas d’un plan d’accompagnement approprié, il ira vers une très grave crise sociale. Les Mauriciens, aujourd’hui traumatisés individuellement et collectivement par l’épidémie et le confinement, doivent en être conscients pour se préparer à une longue et difficile traversée du désert. La dimension psychologique dans la gestion de crise a été négligée jusqu’ici. Seul un plan d’accompagnent à la hauteur de l’enjeu et une solidarité concrète sans faille va nous permettre de tenir le coup pendant au moins les deux prochaines années.
Le confinement coûterait Rs 1 milliard par jour. Sur 40 jours, le montant total serait de Rs 40 milliards. L’impact se poursuivra après le confinement jusqu’à la fin de l’année 2020, pour être réaliste, dépendant bien sûr de la « reprise » chez nos partenaires économiques. « L’impact du Covid-19 sur l’emploi est profond, d’une grande portée et sans équivalent », alertait, le 6 avril, l’Organisation internationale du travail (OIT). Sur une population active de 3,3 milliards de personnes, plus de quatre sur cinq (80 %) sont affectées par la fermeture totale ou partielle des lieux de travail. La croissance mondiale est revue à la baisse : de 2,9 % à 1,5 %. Les régions où se trouvent nos partenaires économiques sont menacées par une récession. C’est pour dire que notre reprise - ou plutôt notre redémarrage - est très problématique.
Pour éviter, sinon limiter, la casse sociale dans tous les secteurs de l’économie qui ne seront pas touchés avec la même intensité, et prévenir une grave crise sociale, il faudrait un ambitieux plan d’accompagnement au-delà du stimulus package déjà annoncé. Le montant nécessaire à la mise en œuvre de ce plan d’accompagnement est estimé à Rs 75 milliards environ. La responsabilité de l’État est engagée pour trouver cette somme et dégager au plus vite ce plan, en consultation avec un éventail représentatif des parties prenantes. Les caisses étant vides, même s’il existe une couverture des importations, il lui faudra recourir à un emprunt auprès d’agences telles que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Notre endettement passerait alors à 90 % du PIB. Avons-nous le choix pour faire autrement ? Il semblerait que non. D’autres pays le font actuellement avec un soutien massif de l’ordre de 15 % et 20 % de leur PIB.
La solidarité des banques, des conglomérats et des actionnaires
Ce plan d’accompagnement, dont les modalités demandent une sérieuse et minutieuse préparation, doit être régi par le principe de solidarité concrète, pour éviter que le fardeau de cette transition ne soit pas porté par les plus fragiles - les pauvres et les précaires - et ne vienne accentuer les inégalités sociales déjà criantes. Il faudra aussi tenir compte du ressenti et du vécu de déclassement chez une bonne partie de la classe moyenne. Le défi est énorme. Nous allons assister à la poursuite de la dépréciation de la roupie. Une roupie faible joue en faveur de l’exportation, mais fait augmenter le coût de la vie. Il y aura la nécessité de revenir avec le contrôle des prix sur un certain nombre de produits à être identifiés.
Dans la présente crise, le secteur bancaire est appelé à jouer un rôle clef, en jouant à fond la carte de la solidarité dans ses rapports avec ses clients pour les soutenir, afin d’éviter des dépôts de bilan. Il en va de même des conglomérats dans leurs rapports avec les petites et moyennes entreprises qui dépendent d’eux. Le scénario que la crise peut venir au final consolider les plus solides, résultant par là même en une plus grande concentration économique et des richesses encore, n’est pas à écarter. Quels sont les garde-fous à imaginer pour prévenir cela ? Une sérieuse réflexion s’impose.
Cohérence, transparence et exemplarité
Le plan de transition pour sauver le pays doit être global, cohérent et reposer sur un état des lieux solide et intégrer l’exercice budgétaire à venir. Les mesures prises à ce jour auraient dû être plus réfléchies, tant dans la mise en place que dans la mise en œuvre. Nous pensons notamment à la composition du comité pour piloter le Covid Solidarity Fund, de même que la taxe de Rs 4 par litre d’essence. Le budget 2020-2021 devra être un budget stratégique, en rupture avec le discours programme et sa rhétorique, ainsi qu’avec l’idéologie économique qui le sous-tend. Le bon sens et une vision exigent un profond rethinking pour revoir les orientations de politique économique et les choix, afin de jeter les bases d’une nouvelle architecture de notre modèle de développement. De véritables consultations pré-budgétaires seraient d’un précieux apport moyennant qu’on ne brush pas aside les propositions sérieuses, responsables et valables qui seront soumises.
Il y a des conditions socio-politiques à réunir en vue d’une mobilisation le plus large possible dans cette difficile et délicate période de transition dans laquelle nous entrons. Toutes les intelligences et bonnes volontés du pays doivent être mise à contribution. Ce qui implique de ne pas tenir un discours et une posture clivants envers les forces syndicales, politiques et la société civile. L’heure est au rassemblement. Il ne se fera pas par décret, mais dans une pratique concrète. Il faut, à commencer, faire preuve d’exemplarité. Pour l’État de même que les grandes entreprises, c’est le moment de couper dans le gras dans leur fonctionnement. Ceci afin d’être crédibles et audibles face aux salariés et à la population pour les efforts et sacrifices qui leur seront demandés.
Le coronavirus vient frapper une société mauricienne avec ses contradictions diverses, ses fragilités et ses déficits, mais aussi ses qualités. Dans le prochain volet consacré au plan de reconstruction nationale, nous analyserons les pistes qui permettraient de dégager une plateforme minimaliste pour relever ce défi national. L’enjeu est simple tout en étant grave : la survie de notre pays.
Malenn Oodiah
11 avril 2020
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