Avec l’abandon du projet Heritage City, le gouvernement donne un signal fort que ce sont uniquement les projets productifs qui vont primer, souligne Arvind Nilmadhub. L’économiste se prononce plus pour la décentralisation de Port-Louis plutôt que pour sa recentralisation.
Le projet de Heritage City a été abandonné. Une bonne ou une mauvaise nouvelle d’un point de vue économique ?
Heritage City, en lui-même, n’est pas un mauvais projet. Mais c’est la façon de procéder qui interpelle. La première question est : est-ce une priorité pour Maurice ? Il fallait bien savoir, dès le départ, quel sera le coût final, qui va investir, qui va acquérir ces appartements ou espaces bureaux ? Gérard Sanspeur a eu le courage de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Malheureusement, le gouvernement était indifférent à ce que disaient les gens, la société civile, les têtes pensantes du pays. Il faut saluer Pravind Jugnauth d’avoir finalement tranché. On ne peut venir impressionner la population avec des présentations, car le peuple a d’autres attentes. Une nouvelle ville administrative pour faire quoi ? Il faut plutôt décentraliser Port-Louis, et non pas recentraliser ailleurs. L’administration, aujourd’hui, ce n’est pas que des bâtiments et des tours d’ivoire, mais plutôt la technologie, l’Internet, les services en ligne.
Les Smart Cities ne seraient-ils pas des éléphants blancs ; des investissements non productifs qui pourraient sérieusement grever les finances publiques ?
Un projet de ville nouvelle ne peut être vu ou conçu en solo. Il faut le voir dans une perspective de développement national, avec en complément, la régénération urbaine et rurale. Maurice n’a pas vraiment besoin de Smart Cities, mais plutôt d’un rehaussement des villes et des villages. Voyons Ébène, c’est comme si nous avons créé un deuxième Port-Louis, avec les mêmes problèmes. Les Smart Cities ne peuvent être du copier-coller. Ce qui fonctionne ailleurs ne sera pas nécessairement un succès à Maurice. Croyez-vous que les étrangers vont venir acquérir des appartements dans nos Smart Cities ? Avez-vous vu comment nous sommes en train de donner des permis de construction pour des projets de villas de luxe en milieu agricole, sans routes ni drains ? Imaginons ce qui se passera demain : que du béton partout, accessible par des sentiers étroits, où deux véhicules ne peuvent pas se croiser ! Les pompiers eux-mêmes ne pourront y accéder facilement en cas de catastrophe. Commençons d’abord par y remédier à travers une meilleure planification.
Bien souvent, on reproche aux organismes gouvernementaux de faire preuve de laxisme, quand il s’agit de traiter les dossiers prioritaires susceptibles de générer de l’investissement. Le récent rapport sur le projet Heritage City ne conforte-t-il pas l’idée qu’il faudrait avancer avec prudence plutôt que de se lancer dans des projets risqués ?
D’abord, ce ne sont pas les autorités ayant approuvé le projet Heritage City qui ont produit le rapport. Avant d’approuver un tel projet, il y a divers comités qui siègent, où les techniciens et autres représentants des ministères, départements, entre autres, évaluent les projets et soumettent leurs recommandations. Si tout ce que dit le nouveau rapport est vrai, alors cela implique que tout ce beau monde n’a pas fait son travail correctement. Comment approuver un projet sans mesurer les implications techniques, sociales et économiques ? Le problème à Maurice, c’est qu’on n’implique pas les économistes dans les prises de décision.
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«Une véritable réforme du secteur public verra la perte des milliers d’emplois.»
Pravind Jugnauth s’attend à une croissance de 4,1 % en 2017. Un taux qui se rapproche de celui de MCB Focus qui table sur 4,2 % l’an prochain. Va-t-on finalement franchir la barre psychologique des 4 % ?
« What’s in a number ? » On peut facilement avoir un taux de croissance de 5 % ou plus, mais si cela ne fait qu’augmenter le fossé entre riches et pauvres, empirer la pollution et augmenter le nombre de victimes des accidents de la route, alors nous avons échoué. Il faut plutôt que la population dans son ensemble se retrouve dans le progrès économique. Le train de vie quotidien des Mauriciens doit s’améliorer. Il faut s’attaquer au problème du transport, car un travailleur ne peut pas perdre deux ou trois heures par jour sur la route. Pour revenir à la croissance, ce n’est pas nécessairement à travers des projets colossaux qu’on va l’accroître. Avec des petits ajustements innovants dans chaque secteur, on peut booster la production et la productivité, tout en créant des emplois. Nous ne vivons plus dans un contexte de ‘jobs for life’.
Doit-on craindre une hausse de l’inflation avec la hausse des prix de certains produits dans le sillage du Budget ?
L’inflation aurait dû déjà grimper avec une injection massive dans l’économie, mais elle n’a pas eu lieu. Depuis 2015, les pensionnaires touchent Rs 5 000 par mois. Il y a eu une compensation salariale et le paiement du PRB. Malgré ces énormes injections dans le circuit monétaire, l’inflation est en baisse.
Cela veut dire que cette augmentation de la masse monétaire a contribué à l’utilisation des ressources dans l’économie en général et que ces ressources n’étaient pas utilisées auparavant. Cependant, récemment, le ‘Repo rate’ a baissé et aussi dans le Budget, le ministre des Finances a annoncé diverses mesures pour booster l’économie et la demande. Dès que la reprise économique et la vitesse de circulation de masse monétaire augmentera, cela provoquera une augmentation de l’inflation.
Le Budget fait la part belle à la réforme du secteur public. La Fonction publique peut-elle aspirer à devenir plus efficiente alors qu’il y a des lobbies qui se sont toujours opposées à la réforme ?
Les réformes superficielles ne vont rien changer si on ne revoit pas la structure de la Fonction publique. Or, une véritable réforme verra la perte de milliers d’emplois. Je ne pense pas que le gouvernement osera cela. La bureaucratie crée ou préserve l’emploi. Les fonctionnaires ne pourront pas voir les choses d’un point de vue différent. Il est difficile de changer la façon de travailler dans le secteur public sans se mettre à dos les syndicats. Par exemple, on ne pourra pas avoir recours à la performance pour justifier les ‘perks’ offerts aux fonctionnaires. Il faut donc revaloriser l’emploi et les fonctionnaires tout en leur inculquant l’importance du « customer service ». C’est cela qui va booster l’efficience dans le secteur public.
Le Budget vient-il répondre aux attentes s’agissant de la lutte contre le chômage ?
Bien que le Budget contienne beaucoup de mesures intéressantes, je suis convaincu que le ministre des Finances aurait pu mieux faire et annoncer des mesures simples, mais créatrices d’emplois immédiats. De toute façon, la politique économique ne s’arrête pas au Budget. Le ministre peut toujours continuer à formuler d’autres mesures.
Les autorités veulent ramener le niveau de la dette publique à 53 % du PIB dans les années à venir en s’appuyant sur une stratégie de gestion saine des finances publiques. Ne risque-t-on pas de freiner les investissements publics en étant trop prudent ?
La gestion saine des finances publiques a toujours été une idéologie. Chaque année, le rapport de l’audit du gouvernement montre les lacunes en termes des projets sous-évalués et les dépenses inutiles. La dette en elle-même n’est pas mauvaise. Si on s’endette pour construire un nouveau Parlement au lieu de parcs industriels, là c’est un problème. Tant que les emprunts sont investis dans des projets productifs, la dette est justifiée. L’initiative du gouvernement est très bonne et avec l’abandon du projet Heritage City, il donne un signal fort que les projets productifs vont primer au contraire des projets non-productifs.
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