Les historiens ont du souci à se faire : les archives nationales ne contiennent pas les documents officiels qui pourraient préserver la « mémoire collective de la nation », comme le stipule le texte de loi. La faute aux institutions qui n’envoient pas les documents nécessaires aux archives, mais aussi à la direction de cette instance qui n’a jamais mis en place un protocole de rétention, de tri et d’indexation de documents. La mémoire collective de la nation tombe en ruines.
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Les archives mauriciennes n’existent pas. Un exemple illustre bien ce fait : pour les 50 ans d’indépendance, le ministère des Affaires étrangères demande à obtenir une copie du tout premier document officiel signé entre Maurice et la Chine en 1972. Sauf que les archives nationales n’en ont aucun leur possession. La raison : le ministère des Affaires étrangères n’en a jamais envoyé pour être archivée. Une anecdote qui est loin d’être une exception.
Une source de ce service explique que seuls les documents officiels datant des périodes française et anglaise sont bien conservés et organisés.
« À l’époque de l’administration coloniale, il y avait un véritable système de tri et de rangement, explique cette source, mais depuis l’indépendance, c’est un désordre indescriptible. » Un historien qui voudrait étudier l’histoire post-coloniale de Maurice aurait donc accès à très peu de documents officiels, et devrait se fier aux journaux.
Un ancien haut fonctionnaire raconte les difficultés rencontrées pour constituer le dossier de l’État sur l’affaire des Chagos devant le Tribunal international du droit de la mer. « Si vous cherchez un document sur un événement particulier, vous ne l’obtiendrez pas, regrette cette source. Pour les Chagos, ce sont dans les archives anglaises que nous avons pu obtenir tout ce qu’il nous fallait pour constituer notre dossier. »
Un constat de visu, dans les coulisses des archives, suffit à confirmer. Dans une petite salle, des boîtes de riz Basmati de la State Trading Corporation (STC) sont empilées les unes sur les autres jusqu’à hauteur de la taille. Ce qu’elles contiennent ? Sans doute des documents de la STC. Mais personne ne sait vraiment. Personne ne les a ouvertes depuis leur arrivée.
Mais il y a pire : dans d’autres salles, ce sont dans de grands sacs en raphia, destinés à contenir de la farine, que les documents officiels sont gardés. Certains sacs ont fait leur temps et commencent à tomber en miettes. Des morceaux de papier jaunis et abîmés dépassent l’ouverture. Ici encore, personne ne saurait dire quel en est le contenu exact. Il n’y a pas d’index.
Ce qui explique cet état des choses ? Selon notre source, c’est le non-respect des trois principes fondamentaux de l’archivage : « Il n’existe pas de retention schedule stipulant la durée de conservation des documents, il n’y a pas d’évaluation et de classification des rares documents qui sont envoyés. Et le Public Records Appraisal Committee ne se réunit que pour détruire des documents. » Alors que la National Archives Act de 1999 précise que ce comité aura aussi pour responsabilité de « control and appraise non-current records in every public body ».
Ce n’est pas la seule disposition de cette loi qui n’est pas respectée. Notre source explique que, parmi les multiples institutions qui sont tenues d’envoyer une copie de leurs documents officiels aux archives nationales, seuls les notaires, les collectivités locales, la Government Printing ainsi que les groupes de presse envoient régulièrement leurs documents. La MBC, la Cour suprême, l’État Civil, la police et la santé publique sont autant de services qui ne le font pas.
Ce n’est pas forcément la faute de ces départements et services, estiment nos interlocuteurs. « C’est au directeur des archives d’instaurer un protocole et de l’expliquer à ces institutions. » L’ancien haut fonctionnaire que nous avons contacté est aussi du même avis : « Durant toutes mes années dans la fonction publique, je n’ai jamais vu une requête des archives pour un document officiel. S’ils en faisaient la demande à travers le ministère concerné, tout le monde l’aurait respectée. »
Nous avons contacté la directrice par intérim des archives nationales, Hemlata Ramkalawan, il y deux semaines, pour ses commentaires sur le sujet. Malgré nos multiples relances, elle n’est jamais revenue vers nous.
Pourquoi les institutions boudent les archives
L’inspecteur Shiva Coothen, porte-parole de la police, explique que la force policière a ses propres archives et n’a recours aux archives nationales que pour la destruction de documents : « Nous avons notre propre façon d’archiver. Quand il faut voir quels documents sont obsolètes, par exemple ceux qui ont plus de 30 ans, alors seulement nous avons recours aux archives nationales. »
Des explications qui ressemblent beaucoup à la situation du judiciaire, dont les archives sont conservées à l’Astor Court. Ici encore, il est très difficile de se retrouver dans un système de classification douteux qui rend complexe toute tentative de retracer un dossier. Quant aux jugements d’intérêt public, aucun n’est jamais été envoyé aux archives nationales.
Mario Ayelou, responsable de la Civil Status Division du Bureau du Premier ministre, justifie également le fait que son département n’envoie pas une copie de l’index des naissances, des décès et des mariages. « According to Section 7 (h) of the same Act, the CSD must submit indices from the year 1999 to 2001 only », fait-il valoir dans un courriel, indiquant qu’après 2001, tout a été informatisé.
Un rapide coup d’oeil au texte de loi contredit toutefois ces dires : « One copy of any Civil status index regarding births, deaths and marriages, by the Registrar of Civil Status », peut-on lire dans la section 7 (h) du texte de loi, sans aucune indication d’une limite temporelle.
Les dispositions de la National Archives Act
Les pouvoirs du directeur
Le texte de loi de 1999 donne d’assez amples pouvoirs au directeur des archives nationales. La section 5, qui définit ses pouvoirs, stipule notamment qu’il peut « inspect regularly, within office hours, and after due notice has been given, public archives lying in repositories other than the Department ». Les pouvoirs du directeur des archives nationales s’étendent donc au-delà de son seul département.
Ce même paragraphe enjoint le directeur à préserver l’intégrité physique des documents et à les mettre à la disposition des chercheurs, ainsi qu’à composer un registre d’archives privées qui soient d’intérêt public. Il doit les classer selon les principes d’archivage.
Plus loin, dans la section 22, d’autres pouvoirs sont conférés au directeur des archives : notamment celui de demander à un officier responsable de lui remettre tout document de plus de 15 ans qui n’est plus utile, ou toute la documentation d’une commission d’enquête nommée par le président de la République ou un comité mis sur pied par un ministre qui a cessé d’exister.
Les archives peuvent aussi s’internationaliser : la section 9 permet au directeur d’acquérir toute carte ou tout plan concernant Maurice publié à l’étranger.
Les documents à archiver
L’article 7 stipule quels documents doivent être archivés. On retrouve, entre autres, les publications de la presse, les rapports annuels, les procès verbaux des collectivités locales, tout jugement d’intérêt public de la Cour suprême portant sur les propriétés, l’index de l’État Civil et tous les actes notariés de plus de 60 ans. Cet article précise aussi que le non-dépôt de ces documents constitue une infraction.
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