Interview

Amar Deerpalsing président de la Fédération des Petites et Moyennes Entreprises : «Nous avons choisi de laisser nos portes grandes ouvertes aux produits importés»

Amar Deerpalsing Amar Deerpalsing

Le président de la Fédération des Petites et Moyennes Entreprises critique l’absence de soutien concret du gouvernement au secteur des PME mauriciennes, en faisant aussi valoir que l’influence des lobbies locaux fait obstacle à la création d'entreprises de transformation.

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Que peut-on espérer pour les petites et moyennes entreprises avec un taux de croissance de 4 % par Statistics Mauritius ?
Pas grand chose, ce chiffre n’indique aucunement une croissance réelle et durable, car il va à nouveau descendre lorsque s’achèveront les projets publics d’infrastructures, qui sont tous financés par les fonds publics. Dans leur distribution, ces projets sont concentrés et non structurés pour durer. Les revenus de Larsen & Toubro, la compagnie qui a obtenu le marché du Metro Express, ne rentreront pas dans l’économie de Maurice. C’est un projet qui n’est pas soutenable, car il ne crée pas d’emplois durables dans la construction. Les PME ne se retrouvent pas dans les différents projets infrastructurels que sont les autoponts ou le Metro Express. Ce sont les ‘contracteurs’ étrangers qui vont emporter le gros morceau.

Pourtant, lorsque l'on écoute les discours, tout semble indiquer que le gouvernement a de réelles ambitions pour les PME…
Oui, dans le papier Vision 2030 on avait annoncé ce qu’il fallait faire pour relancer l’économie avec les acteurs concernés. À ce moment-là, le secteur manufacturier était à une croissance de 16 % et le nouveau gouvernement promettait une croissance à 25 %. En attendant, le chiffre est tombé à 12-13 %. Les exportations régressent et les pertes d’emploi dans le secteur manufacturier se confirment. Un des plus grands patrons dans ce secteur est venu dire que Maurice n’est plus compétitif. Nous savons aussi et par ailleurs que les gros groupes ont mis le grappin sur la grande distribution. À l’exception du secteur agricole et celui des services, il n’y a pas beaucoup d’opportunités qui restent aux PME, d’autant que le tourisme, qui est le secteur qui contribue le plus à la croissance, est touché par la pratique du ‘all-inclusive’.

Pourquoi le secteur manufacturier n’est-il plus soutenable à Maurice ?
Parce que nous l’avons trop stigmatisé, il a subi trop d’oppression des gouvernants. Au lieu d’être encouragés, les fabricants croulent sous les tracasseries administratives, sans oublier qu’ils travaillent sans aucun filet de protection ni d’accords préférentiels. Du coup, je ne m’étonne pas que certains opérateurs préfèrent aller là où existent des conditions favorables au maintien de leurs activités. Notre économie est tournée vers l’importation et notre consommation est composée de plus de 83 % de produits importés. Cette situation n’est pas acceptable, puisqu’elle tend à devenir insoutenable.

Mais, nous pouvons aussi compter sur les produits ‘Made in Moris’ pour réduire le taux des importations…
Le ‘Made in Moris’ est davantage un label qui authentifie les produits mauriciens et il y a un coût à cela, mais qui n’est pas à portée des PME. Puis, il faut aussi parler du comportement des consommateurs mauriciens qui ne privilégient pas les produits locaux.

Pourquoi ?
Parce que nous ne nous considérons pas suffisamment Mauriciens ou pour des raisons de coûts. Les Mauriciens ont tendance à regarder à leurs poches, c’est un geste égoïste.

Mais n’est-ce pas aussi en raison de leur pouvoir d’achat ?
Je pense que c’est une explication.

Que peuvent faire les autorités pour favoriser la consommation des produits locaux ?
Il est important de proposer une politique industrielle qui favorise, en amont, la production locale. Je vois le gouvernement être plus concerné à passer des accords à l’étranger permettant des produits étrangers de pénétrer notre territoire en vertu de l’AGOA, de la SADC ou du COMESA. Or, à Maurice nous ne sommes pas en mesure d’exporter vers ces mêmes pays. Nous avons délibérément choisi de laisser nos portes grandes ouvertes aux produits importés : n’importe qui peut importer n’importe quoi et à tout moment. Il n’y a même pas besoin de respecter les normes, sauf pour quelques produits, et encore faut-il qu’il y ait un problème comme cela a été le cas avec des ventilateurs défectueux. Or, le producteur mauricien doit lui se soumettre à toutes les normes imposées par certaines dispositions et qui, à l’arrivée, font que les prix à la vente ne sont pas compétitifs. Nous ne sommes même pas capables de vendre le moindre ‘samoussa’ de poisson en Europe, car la législation impose une traçabilité du poisson, les conditions de transformation, le laboratoire de certification normé par l’Union européenne. Nous ne sommes pas capables de répondre à ces exigences. Nous sommes entourés d’eau de mer et l'on importe des bâtonnets de poisson.

Certains entrepreneurs avancent que notre main-d’œuvre est devenue trop chère. Est-ce le cas ?
C’est un facteur, mais pas le seul. Je vous donne un exemple : lorsque le coût du baril avait baissé sur le marché mondial, la baisse n’avait été répercutée à Maurice, donc la facture de l’électricité était restée la même. Or, l’État aurait dû proposer un ‘package of incentive’ pour établir un 'level playing field' qui aurait rendu les produits mauriciens aussi compétitifs que les produits importés.

Pour de nombreux experts en marketing et entreprenariat, notre prochaine phase de développement doit s’appuyer sur la formation. Votre avis ?
Je note plutôt que notre adaptation industrielle est restée basique depuis ces dernières années et il y a constamment des révisions salariales qui impactent négativement les industries. Or, à l’étranger, on peut remarquer que les industries s’adaptent aux aspirations et à de meilleures rémunérations pour leurs salariés. Ce n’est possible que ces derniers acquièrent les compétences plus rémunératrices. À Singapour, le gouvernement ne s’engage pas dans le textile, mais dans les industries du software et de l’électronique, entre autres, qui exigent un savoir-faire plus pointu, recherché et rémunérateur.

Peut-on le faire à Maurice, où Singapour est régulièrement pris comme exemple ?
Si un salarié aspire à une meilleure rémunération, il devra être normalement mieux formé pour effectuer un travail plus  pointu. Or, à Maurice, tel n’est pas le cas. Aujourd’hui, on assiste à l’effritement de notre base industrielle, qui ne s’est pas adaptée aux mutations internationales. Et on n’est pas en mesure de rattraper notre retard. Nous ne sommes même pas capables de transformer les pommes de terre en frites et les frigorifier. Parce que nous n’en avons pas la technologie et le savoir-faire.

Qui en porte la responsabilité de cette situation ?
C’est un choix du gouvernement, qui a cédé devant des lobbies. Il se peut aussi que celui qui importe les frites, par exemple, n’est pas intéressé à les fabriquer à Maurice. Je pose une question : parmi tous les meubles vendus à Maurice, combien sont fabriqués à Maurice ? Au supermarché, jetez un coup d’œil aux bacs réfrigérants remplis de produits importés  et les rayons des produits frais locaux et vous verrez une différence de volume. Je n’invente rien : c’est visuel et palpable.

Est-ce que les foires servent-elles à quelque chose ?
Elles ne servent qu’à offrir une visibilité internationale à nos produits dans des espaces professionnels et dédiés à des produits ciblés.

Est-ce que le salaire minimum pèse-t-il dans les finances de l’entreprise ?
Seulement des PME et les employés, qui eux aussi doivent payer leurs bonnes ou jardiniers, selon la nouvelle loi sur le salaire minimal. Il faut savoir que le taux de change en dollar, pour la population et les entreprises, est déterminé par les cours du marché, sauf pour les gros exportateurs qui bénéficient d’un taux spécial et c’est toute la population qui doit contribuer pour les compenser. Je ne parle même pas des sacrifices auxquels le gouvernement a forcé la population à consentir pour les smart cities, qui sont exemptées de la Land Conversion Tax, de la Land Transfer Tax et une exemption fiscale sur 25 ans.  Posons les questions suivantes : quels sont les emplois disponibles dans ces résidences de luxe et qui sont les compagnies qui les ont construites ?

Est-ce  à dire que nous allons droit dans le mur ?
Je ne peux que parler pour moi. En dépit de ma formation comme arpenteur et de mon épouse, qui est expert-comptable, nous avions choisi de créer notre entreprise, nous ne voyons pas nos deux enfants suivre nos pas.

 

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