Nouveau coup dur pour Maurice. Après avoir évalué la note souveraine de Maurice, Moody’s a communiqué sa notation pour les trois plus grosses banques du pays. Si l’agence confirme la notation des dépôts à long terme de la MCB, la SBM et Absa Bank, elle a, toutefois, modifié la perspective de « stable » à « négative » pour deux de ces banques.
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30 janvier 2025
Moody’s fait connaître sa dernière évaluation sur la note souveraine de Maurice. Le pays maintient sa note de Baa3, mais sa perspective passe de stable à négative.
4 février 2025
Ce qui ne change pas
Les notations des dépôts à long terme de la Mauritius Commercial Bank, de la SBM Bank (Mauritius) Ltd et d’Absa Bank (Mauritius) Limited restent inchangées.
Ce qui change
L’agence de notation fait passer de « stable » à « négative » les notes de dépôt à long terme, d’émetteur et de premier rang non garanti Baa3 de la MCB, ainsi que les notes de dépôt à long terme Ba1 d’Absa Mauritius.
À retenir
La perspective des notes de dépôt à long terme et d’émetteur Ba1 de la SBM Bank reste stable.
La raison derrière cette décision
Ce changement survient après la décision de Moody’s de modifier la perspective de la note de Maurice de « stable » à « négative » le 30 janvier dernier.
Extraits du rapport
- « La confirmation des notations des trois banques mauriciennes reflète principalement la solidité de leur profil financier. Les trois banques conservent de fortes liquidités et de solides réserves de capital, tandis que la qualité de leurs actifs et leur rentabilité se sont renforcées. Leur solide assise financière leur permettra de résister à tout affaiblissement potentiel de l’environnement opérationnel qui pourrait être causé par les initiatives d’assainissement budgétaire du gouvernement, qui comprendront probablement des mesures d’augmentation des recettes et de réduction des dépenses. »
- « Les perspectives négatives des notations de la MCB et d’Absa Mauritius sont conformes à la perspective ‘négative’ du pays, qui indique à leur tour un affaiblissement potentiel de la capacité du gouvernement à soutenir ces banques en cas de besoin. »
Ces facteurs susceptibles d’entraîner une révision…
…à la hausse des notations
Toute pression à la hausse sur les notations des banques mauriciennes est limitée, compte tenu des pressions exercées sur l’environnement opérationnel et des perspectives négatives du gouvernement, souligne Moody’s.
…à la baisse des notations
Les notations de la MCB et d’Absa Mauritius pourraient être revues à la baisse en cas d’abaissement de la note souveraine. « D’autres pressions à la baisse sur les notations de toutes les banques se matérialiseront si l’environnement opérationnel se détériore davantage et/ou si leurs indicateurs financiers s’affaiblissent de manière significative », ajoute Moody’s.
Le saviez-vous ?
- La MCB est la plus grande banque du pays avec 49 % des dépôts des clients du Segment A, c’est-à-dire provenant d’individus et d’entreprises à Maurice.
- La SBM Bank a une part de marché d’environ 21 % du Segment A. Autre fait, le gouvernement a une participation de 30 % dans la banque (à la fois directement et indirectement).
- Absa Mauritius a une part de marché d’environ 7 % du Segment A.
RÉACTIONS
Daniel Essoo, CEO de la Mauritius Bankers Association : «Le secteur bancaire demeure stable et bien capitalisé»
« Dans son dernier rapport pour Maurice, en date du 30 janvier 2025, Moody’s a maintenu la note Baa3, et le statut d’Investment grade du pays, tout en changeant la perspective pour Maurice, qui est passée de stable à négative. Il est courant qu’à la suite de la révision de la notation d’un pays, Moody’s ajuste en conséquence la notation ou la perspective d’institutions financières », commente Daniel Essoo, CEO de la Mauritius Bankers Association.
S’agissant du dernier rapport sur certaines banques, il est important de noter que les trois banques commerciales ont retenu leur notation et dans un cas, leur perspective, souligne Daniel Essoo. « Le secteur bancaire demeure stable, bien capitalisé, avec de solides perspectives de croissance », fait-il, toutefois, ressortir.
Georges Chung, économiste : «C’est une sanction !»
Pour Georges Chung, les notations perspectives négatives envers deux de nos banques sont une « sanction par rapport à leur portefeuille de clients et de leur niveau de gestion des clients douteux ». Le défi est « encore plus sérieux », car elles vont devoir emprunter à un taux d’intérêt plus élevé, ajoute l’économiste.
« Il est tout à fait normal que Moody’s évalue la santé financière des banques, car elles ont une place prépondérante dans l’économie du pays. Et puis, la santé des banques influe beaucoup sur la santé d’un pays et peut avoir des répercussions graves dans l’économie. Cela dit, dans le secteur économique, il y a des entreprises qui font bien et d’autres moins bien. Le défi pour ces banques qui font l’objet d’une perspective négative réside dans un meilleur contrôle de leur portefeuille de clients et surtout de minimiser les clients douteux », souligne Georges Chung.
De manière général, poursuit-il, c’est surtout le portefeuille de clients douteux qui plombe la profitabilité des banques. « Si d’aventure, cette perspective se concrétise dans la prochaine évaluation, la sanction sera sévère et les conséquences très graves », prévient-il.
Georges Chung revient aussi sur l’évaluation de Moody’s sur la note souveraine de Maurice. « C’est un gros avertissement auquel, il faut, à mon avis, donner beaucoup d’efforts. La Banque de Maurice a déjà donné le ton en rehaussant le Key Rate de 50 points de base, ce qui rendra la consommation et l’emprunt plus difficile. Maintenant, il faudra accélérer la mise en chantier des projets économiques afin d’accélérer la croissance économique. C’est la conjugaison de la croissance économique et la réduction de la consommation et des dettes qui va améliorer les perspectives de la notation future de Moody’s », explique-t-il.
En guise de conclusion, il indique : « C’est comme dans le cas d’un ménage qui est très endetté et qui a donc une mauvaise réputation. Le défi constituerait à emprunter moins et à améliorer les revenus de la famille. Il en va de même pour la macroéconomie. Le comité de la politique monétaire a ouvert le feu et il faut travailler davantage ».
Tahir Wahab, observateur économique : «Il faudra réduire nos dettes, stimuler la croissance et renforcer le secteur financier»
La perspective négative de la note souveraine de Maurice a eu un rôle significatif dans la décision de Moody’s de revoir les notations de deux grandes banques du pays, explique Tahir Wahab. Il faut savoir, poursuit l’observateur économique, que la note souveraine d’un pays est un indicateur clé de la santé financière du pays et de ses perspectives.
« Notre note souveraine est étroitement liée à celle des banques mauriciennes parce que la capacité du pays à soutenir ses institutions bancaires en période de crise dépend directement de sa propre solidité financière. Maurice a vu ses perspectives évoluer de « stable » à « négative », selon Moody’s. L’agence a identifié un risque accru que, si le pays voit sa note dégradée à l’avenir, cela impacte les banques mauriciennes. Cette note indique aussi une possible faiblesse dans les finances publiques. C’est de là qu’on doit s’attaquer en premier », souligne-t-il.
Pour l’observateur économique, le plus important maintenant c’est de faire en sorte que la stabilité financière de Maurice s’améliore. Comment procéder ? Tahir Wahab suggère trois moyens. Premièrement, le pays devra réduire sa dette publique. « C’est primordial ! » insiste-t-il. Deuxièmement, il faudra stimuler la croissance à travers des innovations, des technologies et en termes d’énergies renouvelables.
Troisièmement, il faudra renforcer la stabilité du secteur financier, comme améliorer la bonne gouvernance. « La bonne gouvernance bancaire passe par la gestion des prêts non performants, la gestion des risques et de la liquidité. Cela permettra d’améliorer la résilience du pays face aux crises économiques », soutient-il.
Les risques sont réels. « Si le gouvernement ne réduit pas la dette publique et ne stimule pas la croissance, cela pourrait avoir des conséquences lorsque Moody’s procédera à une nouvelle réévaluation », avance Tahir Wahab.
Pour lui, la responsabilité d’améliorer notre note souveraine vis-à-vis de Moody’s repose principalement sur le gouvernement. « Cependant, cela passera aussi par le renforcement de notre secteur bancaire via la gestion des risques et de la liquidité incluant les prêts non performants. Les banques doivent également augmenter leur ratio de capital pour faire face aux chocs économiques, surtout dans cette période incertaine à travers le monde », ajoute l’observateur économique.
Rundheersing Bheenick, ancien Gouverneur de la Banque de Maurice : «C’est une suite logique… il n’y a pas de quoi en faire tout un plat»
Rundheersing Bheenick, ancien Gouverneur de la Banque de Maurice, est catégorique : « Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. » Il ajoute : « C’est la suite logique du Rating Action de Moody’s sur le Sovereign Risk de Maurice qui l’a classé quelques jours de cela ‘Baa3 with a negative outlook’. C’était un changement énorme par rapport avec la position que Moody’s avait maintenue durant la fin de règne du régime Jugnauth. Vous vous souviendrez qu’il conservait le Baa3 avec un ‘stable outlook’, alors que tout le monde autour de nous parlait de comptes nationaux truqués et autres dettes non reconnues dans le secteur public. C’est bien que Moody’s ait reconnu que tout ne tournait pas rond dans les comptes publics ou dans les comptes nationaux affichés par l’État mauricien. Et cela ni sur le plan du déficit budgétaire ni le dans le déficit de la balance des paiements. »
Or, fait-il ressortir, un ‘private issuer’ mauricien ne peut en aucun cas jouir d’un « higher rating » que son souverain. « Alors quand l’État est déjà avec un rating de Baa3 SANS le ‘stable outlook’, c’est normal que le ‘private issuer’ tel que la MCB qui avait le même rating de Baa3 avec ‘stable outlook’ subisse elle aussi un ‘derating’/’negative outlook’. C’est cela qui a été fait », fait-il ressortir.
Quant aux deux autres « issuers » mauriciens, la SBM Bank a toujours un « stable outlook » et Absa Bank a subi un rating de « negative outlook » (NdlR : les deux banques ont un rating de Ba1 avec Moody’s). Par contre, souligne Rundheersing Bheenick, il faut se rendre à l’évidence que le Baa3 avec un « negative outlook », c’est le dernier rang dans le « investment grade » tel que défini par Moody’s.
« Plus bas que cela ce n’est plus le ‘investment grade’, on est dans le ‘speculative grade’ », a-t-il conclu.
Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’Anneau : «Nous devons maintenir, voire relever notre notation dans les 12 à 18 prochains mois»
Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’Anneau, n’est pas surpris par l’évaluation de Moody’s sur les banques. « Lorsque la note d’un pays est dégradée, les banques et toutes les entreprises qui lui sont liées subissent généralement une dévalorisation automatique », explique-t-il.
Il précise que plus les risques augmentent dans le pays, plus les banques exposées, notamment par leurs dépôts, prêts au gouvernement et aux institutions parapubliques, ainsi que par leurs investissements, peuvent voir leur note dégradée. Toutefois, cette dégradation n’est pas automatique et dépend de plusieurs facteurs. « C’est tout à fait possible ! » avance-t-il.
Pour Amit Bakhirta, il est extrêmement important que Maurice puisse maintenir, sinon avoir au moins un upgrade positif à « stable voire Baa2 » dans les 12 à 18 mois à venir. « Si le pays est en passe d’être classé en catégorie spéculative (« junk »), l’impact de cette dégradation sur les banques commerciales et autres institutions financières pourrait être considérable. Cela entraînerait également un risque accru de sorties de capitaux de l’île Maurice, notamment en ce qui concerne les dépôts des GBC. Il faut forcément faire extrêmement attention, surtout dans un contexte où la Banque de Maurice vient de monter les taux d’intérêt. Ce qui fait que cela devient de plus en plus cher pour le gouvernement de remplir ses obligations par rapport à ses dettes surtout celles en roupies. Tous ces éléments sont liés », indique Amit Bakhirta.
Pour lui, il faut être extrêmement prudent. Tout se jouera sur un équilibre entre éventuellement faire gagner du support à la roupie et, en contrepartie, faire en sorte qu’on s’engage dans une consolidation fiscale.
Source : Moody’s (rapport publié le 4 février)
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