Les risques de défaut de paiement par rapport à certains deals sont bel et bien réels, prévient Sameer Sharma. Pour l’économiste et expert en investissement, il faut des gens compétents et patriotes pour travailler sur ce dossier, car, demain, en cas de faillite, ces spécialistes sauront comment minimiser les pertes.
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Vous l’avez maintes fois déclaré : la Banque de Maurice a imprimé de l’argent pendant la pandémie. Le nouveau Gouverneur de la Banque centrale, Rama Sithanen, l’a confirmé. Vos commentaires ?
L’ancien gouvernement avait expliqué à la population en 2020/2021 que la Banque de Maurice avait vendu des dollars provenant des réserves internationales pour faire provisions pour la Mauritius Investment Corporation (MIC) afin qu’elle puisse aider les compagnies systémiques. Le terme de fonds souverain avait même été utilisé. Or, toute personne qui comprend comment fonctionne une Banque centrale sait que ce n’était pas le cas, car la Banque centrale devait injecter des roupies qui n’existaient pas encore dans le système à travers la MIC.
La Banque de Maurice a tout simplement injecté de l’argent qu’elle a électroniquement créé. C’est une lecture comptable. Il faut savoir que la Banque centrale n’est pas une banque commerciale. Elle a la capacité de créer de l’argent à l’infini si elle le veut, avec les conséquences que l’on connaît.
Justement, cette impression de la monnaie n’a pas été sans conséquence notamment sur la roupie et les prix. Comment Maurice en a été affecté ?
Si vous comparez la dépréciation de la roupie à Maurice avec celle des autres monnaies dans les îles avoisinantes et d’autres pays comparables qui ont, comme nous, connu la pandémie, fermer leurs frontières, subi les effets néfastes de la guerre en Ukraine et au Moyen Orient, vous verrez que notre roupie a connu une plus forte dépréciation. La raison est limpide : nous avons imprimé de la monnaie et augmenté l’offre des roupies dans le système ce qui a détruit sa valeur. Le gouvernement n’avait pas une influence saine sur la Banque centrale. L’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, ne voulait pas augmenter la dette publique et il était un fan de l’illusion monétaire. Il a alors demandé au Gouverneur de l’époque, Harvesh Seegolam, d’imprimer de l’argent. Et on a fait passer cela pour un fonds souverain.
Il faut concrètement ‘pousser’ les entreprises pour qu’elles remboursent ce qu’elles ont obtenu assez rapidement. Il ne faut pas s’en faire pour ces grosses boîtes. Elles ont de l’argent grâce à la dépréciation de la roupie. Les entreprises aussi doivent aider leur pays"
Selon Rama Sithanen, 10 à 11 compagnies, qui ont obtenu des facilités de l’ordre de Rs 3,6 milliards/Rs 3,7 milliards de la Mauritius Investment Corporation ont un niveau de risque élevé à très élevé. Parmi, une de ces compagnies a bénéficié de Rs 45 millions alors qu’elle n’était pas éligible. En tant que spécialiste de l’investissement, quel est votre regard sur un investissement dans une société ayant un risque 4 ou 5 ?
On ne sait pas sur quels critères ils se sont basés pour déterminer les risques de 1 à 5. Mais, je vais être clair dessus. D’ailleurs, cela fait cinq ans que je le répète : tous les deals faits, et cela sans exception, ont été mal conçus et structurés. Je vois que le Gouverneur se concentre sur les deals les plus récents en ce moment et je le comprends, mais ceux antérieurs aussi, notamment les prêts à travers les obligations soi-disant convertibles accordés aux compagnies systémiques, ne sont aussi ni dans l’intérêt de la MIC, ni dans l’intérêt de la Banque de Maurice. Le ‘pricing’ n’est pas correcte et a été très mal fait. Certains cas sont bien pires que d’autres. Il y a aussi des compagnies dont les garantis sont très faibles avec des termes comme « floating charge after all other charges ». À titre d’exemple, si elles font faillite demain, la MIC aura un taux de recouvrement bien faible ce qui devrait déjà impacter la vraie valeur de ces actifs. Il y a aussi certains cas de corruption et de fraude potentiels comme l’affaire des Rs 45 millions.
Il faut faire une évaluation de tous les actifs de la MIC sans exception"
Que recommandez-vous comme solutions ?
Il faut en premier lieu faire une évaluation de tous les actifs de la MIC sans exception et cela par une institution indépendante et préférablement étrangère avec une grande expertise dans ce domaine. C’est un domaine très spécialisé et sophistiqué. On parle là de ‘private debt’ et de ‘private equity’ dans des instruments illiquides. Et les experts en la matière ne courent pas les rues. Ce qui explique le trou avec lequel la Banque de Maurice se retrouve actuellement. Par ailleurs, il faudra éviter tous les cabinets d’audit qui ont été consultants pour ces mêmes boîtes. On a déjà notre lot de conflits d’intérêts. Il faut chercher des boîtes neutres et crédibles à l’étranger.
Une fois l’évaluation de la valeur réelle de ces actifs complétée, on pourra alors faire une catégorisation. Il faudra aussi s’attaquer aux obligations soi-disant convertibles où il y a des clauses dans les ‘term sheets’ stipulant que l’émetteur des obligations (Ndlr : les compagnies qui ont obtenu des facilités avec la MIC) peuvent acheter ces obligations à n’importe quel moment sur une durée de neuf ans tandis que l’investisseur lui doit attendre neuf ans pour exercer l’option de conversion. Ces clauses qui sont à l’inverse de ce qui se pratique à l’étranger détruisent la valeur de l’option de conversion rendant l’obligation essentiellement non convertible. Ce qui baisse drastiquement sa vraie valeur si l’évaluation se fait comme cela se fait à l’étranger. Il est clair que ces compagnies vont racheter les obligations avant qu’elles n’atteignent leur maturité pour éviter tout risque de dilution de leur actionnariat sauf bien sûr si la compagnie ne se porte pas bien (ce qui implique une valeur encore plus faible). Légalement, elles ont le droit de le faire. C’est pourquoi il faut concrètement les ‘pousser’ pour qu’elles remboursent ce qu’elles ont obtenu assez rapidement. L’option de ‘call back’ peut se faire à la valeur faciale de l’obligation, c’est-à-dire, elles exerceront l’option de rembourser la MIC aussi vite que possible et la MIC ne fera aucune perte. D’autant plus que ces facilités leur ont été offertes à un taux fixe de 3 % inférieur à l’inflation. Ce qui ne compense pas la MIC pour les risques encourus dont le risque de défaut et surtout de liquidité. Il ne faut pas s’en faire pour ces grosses boîtes. Elles ont de l’argent grâce à la dépréciation de la roupie. Les entreprises aussi doivent aider leur pays.
Vous êtes aussi en faveur de la création d’un Special Purpose Vehicle pour les petites compagnies qui ont obtenu des facilités de la MIC ?
Pour ce qui est des compagnies où la qualité des garanties est très faible ou incertaine et pour les petites compagnies, incluant celle qui a obtenu Rs 45 millions alors qu’elle ne répondait pas aux critères, il faut qu’elles soient regroupées sous un Special Purpose Vehicle (SPV). Il faut les enlever du bilan de la Banque de Maurice. Ce sera alors au gouvernement de prendre cette responsabilité et de payer la Banque centrale en achetant ces actifs à un prix beaucoup plus faible à travers le SPV. La dépréciation de la roupie a permis à la Banque centrale d’augmenter artificiellement la valeur de sa Special Reserve Fund qui fait partie du capital de la Banque Centrale. Elle pourra dont subir certaines pertes. Le gestionnaire du SPV se concentra alors à maximiser le taux de recouvrement de ces actifs et essayer de faire un profit au moyen terme. Ce qui pourra même améliorer la caisse de l’État surtout si le prix d’achat est faible.
Si la MIC a accordé des facilités à diverses entreprises, elle a aussi consenti 10 % de ses fonds à l’achat des terres. Ceux qui connaissent le dossier craignent qu’on soit assis sur une poudrière et qu’on serait face à une véritable « mafia immobilière et financière ». Qu’en est-il ?
Des terres ont été surévaluées par une entité d’évaluation très proche de l’ancien régime. Ces terrains ont été initialement achetés à des prix élevés, puis réévalués à des prix encore plus importants. Cette manœuvre visait à gonfler artificiellement le bilan de la Banque de Maurice, dans un jeu purement comptable. Si la Banque de Maurice venait à céder ces terrains, elle le ferait probablement à un prix inférieur.
Il est crucial de retirer ces terres du bilan de la Banque de Maurice et de créer une structure incitative pour les investisseurs potentiels. Cette structure pourrait proposer des conditions avantageuses, telles que le partage des risques avec l’État pendant un temps initial, des prêts à taux préférentiels à travers la Banque de Développement et des garanties de prix (par exemple, sur des productions maraîchères) pour les investisseurs locaux et étrangers souhaitant s’engager dans la sécurité alimentaire. Ainsi, les investisseurs ne se sentiront pas désavantagés si la Banque de Maurice leur cède les terrains à un prix supérieur à leur valeur réelle, car le ‘package’ sera quand même profitable sur le long terme. C’est dans cette direction que nous devons nous orienter.
Ce n’est pas le rôle de la BoM de se lancer dans les placements au niveau local et surtout pas en imprimant de l’argent. Il faut renforcer la loi et aussi veiller à ce que les politiciens ne s’ingèrent plus dans les affaires de la Banque centrale"
La MIC a investi Rs 25 milliards dans Airport Holdings Ltd (AHL). Cela représente son plus gros investissement. Que recommandez-vous sur ce dossier spécifique ?
Là encore, il faut des experts externes et compétents afin qu’ils restructurent la compagnie le plus vite possible et la faire lister sur la Bourse ou à travers un consortium d’investisseurs étrangers. Il faut qu’un redressement (‘turnaround’) s’opère au sein d’AHL pendant un certain temps pour maximiser la valeur et que celle-ci soit, par la suite, retirée du bilan de la Banque de Maurice.
Revenons sur les risques de défaut de paiement par rapport à certains deals considérés comme étant risqués. Qu’en est-il ?
La MIC est entrée dans un domaine sophistiqué où il y a très peu d’experts. Pour ce qui est de risque de défaut, il y a en aura, mais il rentrera dans le prix des actifs. D’où l’importance de cette évaluation des actifs. On pourra évaluer les défauts, mais aussi la qualité des actifs. Ce qui permettra de réévaluer les prix. Avec le ‘pricing’ qui a été mal fait, on pourra se retrouver avec des scénarios de 30 sous/40 sous sur une roupie d’investissement initiale pour certains actifs, voire de zéro sou. Il faut des gens compétents et patriotes pour travailler sur ce dossier, car demain en cas de faillite ces spécialistes sauront comment minimiser les pertes.
Des terrains ont été initialement achetés à des prix élevés, puis réévalués à des prix encore plus importants. Cette manœuvre visait à gonfler artificiellement le bilan de la Banque de Maurice, dans un jeu purement comptable"
Il y aurait eu une connivence entre la Banque centrale et la MIC pour détourner les fonds publics par rapport à l’affaire des Rs 45 millions où l’un des propriétaires de Pulse Analytics est concerné. Quelle est votre première impression ?
Il y avait une mauvaise gouvernance. Le ministre des Finances avait le plein contrôle. L’autre problème - et c’est fréquent à Maurice -, c’est que des nominés politiques se retrouvent à des postes pour lesquels ils ne sont pas qualifiés. Et, dans ce cas précis, ils ont accepté de tout signer sans comprendre. Sans parler de la corruption. Il est crucial que la Banque centrale et le gouvernement permettent enfin aux marchés de fonctionner naturellement, en évaluant rigoureusement tous les actifs et en laissant les acteurs économiques trouver des solutions innovantes, en impliquant des professionnels intègres sans conflits d’intérêts, véritablement motivés à minimiser les coûts et maximiser la récupération de valeur, afin d’éviter de reproduire les erreurs coûteuses du passé qui nous ont déjà fait perdre des milliards.
Le nouveau Gouverneur se prononce en faveur d’arrangements institutionnels et souhaite que la Banque de Maurice retourne « back to basics ». Est-ce la voie à suivre ?
C’est absolument la voie à suivre ! Le rôle de la Banque centrale est de contrôler l’inflation et d’assurer que le secteur financier fonctionne comme il se doit. Ce n’est pas son rôle de se lancer dans les placements au niveau local et surtout pas en imprimant de l’argent. Il faut que jamais cela ne se répète. D’où l’importance de renforcer la loi pour éviter qu’un même scénario ne se produise. Il faut aussi veiller à ce que les politiciens ne s’ingèrent plus dans les affaires de la Banque centrale.
Il est crucial que la Banque centrale et le gouvernement permettent enfin aux marchés de fonctionner naturellement"
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