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[Radioastronomie] - Nalini Heeralall-Issur, Associate Professor en physique et astrophysique à l’Université de Maurice : « Il est temps de briser les barrières et de faire place à l’ambition » 

Associate Professor en physique et astrophysique à l’Université de Maurice, Nalini Heeralall-Issur, 64 ans, marie avec brio la rigueur scientifique et le plaisir de la table. À l’occasion de la Journée internationale des femmes, elle livre à Le Dimanche/L’Hebdo un regard lucide et inspirant sur la place des femmes dans la science.

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Si vous pouviez remonter le temps, quel message adresseriez-vous à la jeune fille que vous étiez avant de vous lancer dans les sciences ?
Je lui aurais certainement dit : « Suis ta passion pour l’astronomie. Il y aura peut-être des obstacles sur ton chemin, mais ta passion te donnera le courage d’y faire face. »  

Quelle est la découverte ou l’innovation qui a changé votre regard sur votre propre domaine ?
Il y a 25 ans, l’observation de supernovas lointaines a révélé une accélération de l’expansion de l’Univers, semblant confirmer l’existence de ce que l’on appelle l’énergie sombre (« Dark Energy »), qui représenterait plus de 70 % de l’Univers. Mais, nous ignorons encore sa véritable nature. 

Cependant, en astronomie, plus nous faisons de découvertes spectaculaires, plus nous prenons conscience de l’immensité de notre ignorance. C’est une leçon d’humilité face à l’infini.

Avez-vous déjà ressenti le syndrome de l’imposteur dans votre parcours scientifique ? 
Oui. Je l’ai déjà ressenti. Mais je me sentais toutefois plus digne à l’intérieur de moi-même de ne pas imiter ces hommes-là ! (Rires)

Si votre métier devait être résumé en un objet du quotidien, lequel serait-il et pourquoi ?
Je dirais le ciel. Car c’est un vaste panorama que tout le monde contemple, mais qui conserve encore tant de mystères à percer.

Quel stéréotype ou préjugé sur les femmes dans les sciences vous agace le plus et comment y répondez-vous ?
On dit souvent que les hommes sont mieux adaptés aux domaines comme la physique. Pourtant, en réalité, les femmes appliquent quotidiennement des principes physiques, que ce soit en cuisine ou en faisant le ménage, des activités qui nécessitent tout autant une compréhension des lois de la matière et de l’énergie.

En astronomie, plus nous faisons de découvertes spectaculaires, plus nous prenons conscience de l’immensité de notre ignorance. C’est une leçon d’humilité face à l’infini»

Quelle est la question que l’on ne vous pose jamais mais à laquelle vous aimeriez répondre ?
Je pense que c’est : « Croyez-vous en Dieu en tant que scientifique et astronome ? » Pour ma part, je constate qu’il existe des principes philosophiques qui semblent en harmonie avec des cycles divins de création, de maintien, de destruction et de renouvellement. Ces cycles ne s’appliquent pas seulement aux étoiles et à la vie, mais peut-être aussi à l’Univers dans son ensemble.

Si vous pouviez dîner avec une femme scientifique, qui choisiriez-vous et que lui demanderiez-vous ?
J’ai eu l’honneur de rencontrer Jocelyn Bell, la chercheuse qui, en 1968, a fait la découverte révolutionnaire du tout premier pulsar. Un pulsar, c’est une étoile extrêmement dense qui se comporte comme une toupie dans le ciel et qui émet des ondes radio périodiques. C’est ce type d’objet que j’ai observé avec le Mauritius Radio Telescope dans le cadre de mon doctorat. 

Je regrette de ne pas lui avoir posé cette question : « Qu’avez-vous ressenti lorsque le Prix Nobel pour cette découverte a été attribué uniquement à votre superviseur, Anthony Hewish, et non pas conjointement avec vous ? »

Votre travail vous a-t-il déjà amenée à vivre une situation insolite ou inattendue ? Racontez-nous !
J’étais passionnée d’astronomie et j’avais également étudié ce domaine. Cependant, à mon époque, il n’y avait aucune activité professionnelle liée à l’astronomie à Maurice. Ensuite, lorsque j’ai rejoint l’Université de Maurice en tant que chargée de cours, j’ai été surprise d’apprendre que l’Inde et Maurice envisageaient de construire un radiotélescope. C’est ainsi que j’ai eu l’honneur de devenir la première personne à Maurice à rejoindre ce projet, me transformant en radioastronome et alliant enfin ma passion à ma profession.

Si une jeune fille hésite à se lancer dans votre domaine, que lui diriez-vous pour l’encourager ?
Si une jeune fille est passionnée par l’astronomie, elle ne doit surtout pas hésiter. Il existe de nombreux exemples de femmes qui ont considérablement contribué à ce domaine. Contrairement à mon époque, il y a aujourd’hui bien plus d’opportunités. Maurice est d’ailleurs l’un des partenaires de l’Afrique du Sud pour le SKA (Square Kilometre Array), un mégaprojet international visant à construire le radiotélescope le plus puissant du monde. 

De plus, il existe aujourd’hui plusieurs carrières où les compétences acquises en astronomie sont particulièrement valorisées, notamment dans le domaine de la science des données (Data Science).

Si vous deviez décrire votre métier en une phrase qui intrigue, laquelle serait-ce ?
Un instrument conçu pour observer le ciel en ondes radio, capter ce qui échappe à nos yeux, distinguer les signaux significatifs du bruit et tenter d’en percer les mystères.

Quelle invention devrait exister pour faciliter la vie des femmes au quotidien ?
Pour faciliter la vie des femmes en particulier, peut-être un robot capable de prendre en charge les tâches quotidiennes, allégeant ainsi leur charge mentale et leur permettant de se concentrer sur leurs passions et projets personnels.

Si vous deviez nommer un élément du tableau périodique en l’honneur d’une femme, quel serait son nom et pourquoi ?
Le symbole « Rb » existe déjà pour le rubidium, mais il pourrait aussi être attribué à Vera Rubin, la scientifique qui a révélé l’existence de la matière sombre (« Dark Matter ») dans les galaxies. À l’époque, elle avait perdu une partie de sa crédibilité, mais il s’est avéré qu’elle avait raison. Un tel hommage rendrait justice à sa persévérance et à sa vision avant-gardiste.

On dit souvent que les hommes sont mieux adaptés aux domaines comme la physique. En réalité, les femmes appliquent quotidiennement des principes physiques»

Quelle expérience scientifique résume le mieux le fait d’être une femme aujourd’hui ?
Une expérience scientifique qui pourrait résumer le fait d’être une femme aujourd’hui pourrait être celle des tests génétiques et de l’ADN. Ces analyses, qui nous révèlent notre identité profonde et nos origines, symbolisent la complexité et la richesse des expériences féminines, souvent invisibles mais essentielles, qui façonnent notre être et notre place dans le monde.

Dans votre domaine, quelle serait la plus grande découverte : l’égalité salariale ou une percée révolutionnaire ?
Une percée révolutionnaire. Elle ouvrirait de nouvelles perspectives et redéfinirait notre compréhension du domaine, apportant des avancées qui bénéficieraient à l’ensemble de la société, bien au-delà des enjeux économiques.

Si vous deviez expliquer l’égalité hommes-femmes avec une loi scientifique, laquelle choisiriez-vous ?
En magnétisme : « Les pôles opposés s’attirent. » Cette loi illustre non seulement l’attraction entre l’homme et la femme, mais aussi l’idée fondamentale de leur complémentarité et de leur égalité où chaque différence contribue à un équilibre harmonieux.

Quel superpouvoir scientifique rêveriez-vous d’avoir pour affronter les défis du quotidien ?
J’aimerais avoir le pouvoir d’être partout à la fois. Cela me permettrait de gérer efficacement chaque situation, de répondre aux besoins immédiats et de rester présente dans tous les aspects de ma vie, tout en apportant des solutions aux défis qui se présentent.

Si on remplaçait les stéréotypes de genre par des formules mathématiques, à quoi ressemblerait l’équation parfaite ?
Je dirais : H = F (Homme = Femme). Cette équation simple mais puissante incarne l’idée que l’homme et la femme sont égaux et que les différences entre eux n’affectent en rien leur valeur ou leurs capacités.

Quelle est la plus grande expérience sociale à laquelle vous avez participé en tant que femme scientifique ?
Le projet DARA (Development in Africa with Radioastronomy) dont je suis en charge à Maurice. La radioastronomie étant un domaine multidisciplinaire, les compétences acquises dans ce cadre contribuent au développement des pays en général. J’ai eu la chance de collaborer avec des étudiants-chercheurs de quatre pays africains, ce qui m’a permis de partager des savoirs et de participer activement à l’épanouissement scientifique et social de ces communautés.

Quel objet scientifique symbolise le mieux la place des femmes dans la société aujourd’hui ?
Un objet scientifique ou technologique qui symbolise la place des femmes dans la société aujourd’hui pourrait être le téléphone portable. Utilisé à bon escient, il permet aux femmes de rester connectées à leurs proches, d’accéder à l’information et à l’éducation, et d’exercer une influence positive sur leur environnement et leur communauté. C’est un outil puissant d’émancipation et de transformation sociale.

Quelles mesures pourraient être mises en place pour protéger les femmes des agressions et leur permettre de vivre pleinement dans l’espace public, en toute sécurité et sans crainte ?
Une mesure efficace pourrait être l’introduction d’un bouton d’alarme sur les téléphones mobiles ou d’autres gadgets similaires en collaboration avec une unité spécialisée de la police. Ce dispositif offrirait aux femmes un moyen rapide et discret de signaler toute situation dangereuse, assurant ainsi une réponse immédiate et renforçant leur sécurité dans l’espace public.

Pour clore cet entretien, quel est votre message à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes 2025 ?
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes 2025, je voudrais dire ceci : « Peu importe le domaine qui passionne une femme, elle doit se laisser guider par cette passion et ne pas se laisser intimider par l’idée que ce domaine soit réservé aux hommes. C’est sa confiance en elle-même et sa persévérance qui, en tant que femme, la mèneront vers le succès. Il est temps de briser les barrières et de faire place à l’ambition et à l’excellence, sans aucune limite imposée par les stéréotypes. »

Bio Express

À 64 ans, Nalini Heeralall-Issur, passionnée d’astronomie et de gastronomie, jongle entre les étoiles et les saveurs. Épouse et mère d’un fils, elle a tracé son chemin des bancs du Queen Elizabeth College à une maîtrise en physique en France, avant de décrocher un doctorat en radioastronomie à l’Université de Maurice. 

 

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