L’économiste Pierre Dinan apporte un regard critique sur le dernier exercice budgétaire du gouvernement. Il estime que l’accent doit être mis sur l’expansion tirée par de nouveaux secteurs. L’ancien membre du Monetary Policy Committee décortique le mécanisme de prélèvement de surplus auprès de la Banque de Maurice.
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Le dernier budget du présent gouvernement est dans le domaine public. Est-ce un budget équilibré ou populiste, voire électoraliste ?
(Rires). Voyons le contexte dans lequel le Budget 2019/2020 a été présenté. Sur la scène internationale, l’économie subit les effets de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Le Brexit (retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne) est source d’incertitudes, non seulement pour le pays mais l’Europe des 28. La croissance mondiale est moindre. Elle a été revue à la baisse par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. À mon avis, cette situation a une incidence sur le commerce extérieur de Maurice, incluant le tourisme parce que ces pays achètent nos biens et services.
Sur le plan local, des industries bien ancrées - le sucre, le tourisme et la manufacture (zone franche) et les services financiers transfrontaliers – font face à des défis. La Terre tourne. Rien n’est fixe.
En sus de tout cela, c’est le dernier Budget d’un gouvernement qui veut se faire réélire. C’est un gouvernement auquel le FMI a recommandé, en début d’année, de remettre la dette publique sur la pente descendante par rapport au Produit Intérieur Brut (NdlR : Rs 318 milliards, 64,8 % du PIB à fin mars 2019). Le déficit budgétaire (différence entre les revenus et les dépenses par rapport au PIB) reste inchangé à 3,2 %.
Voilà donc le contexte dans lequel s’est retrouvé le Premier ministre et ministre des Finances. D’une part, on a des situations qui sont davantage des préoccupations économiques et il est question de les faire repartir sur des bases solides. D’autre part, il est soucieux de plaire aux différentes strates de l’électorat.
Qu’avons-nous au terme de cet exercice ?
Cela a été un bon jeu d’équilibriste, mais d’un équilibriste rusé.
Une croissance tirée par la consommation a un effet néfaste sur le commerce extérieur.»
Comment ?
Pendant deux heures, nous avons assisté à un discours expliquant le contexte, des allocations ici et là. On se posait des questions sur le financement de ces annonces, sachant qu’il y a cette obligation du FMI de ramener le niveau de la dette. Cela ressemblait quelque peu à une pièce de théâtre où le scénario est embrouillé. Soudain, il y a une mesure qui résout tout, un évènement qui arrange tout, un évènement magique. Il a annoncé qu’il puisera dans les liquidités de la Banque de Maurice. J’appelle cela deus ex machina.
Depuis cette annonce, nous avons assisté à une levée de boucliers. Les opinions divergent. Qu’en est-il au juste ?
Les réserves internationales du pays sont libellées en dollars, euros, livres sterling. On juge l’importance des réserves par rapport à nos importations. Si en 1979, la couverture des importations était de deux semaines, aujourd’hui elle est de 11,2 mois. Heureusement qu’on en est là.
Chaque année, la Banque de Maurice intervient sur les marchés pour protéger la valeur de la roupie. Il lui faut des liquidités. À la fin de l’exercice financier annuel, elle prépare ses comptes. Regardons les chiffres des deux précédentes années. Au 30 juin 2017, la Banque de Maurice a fait des pertes de Rs 5,6 milliards. En 2018, les pertes ont été de Rs 733,6 millions.
Pourquoi ?
Afin d’éponger les excès de liquidités dans le circuit monétaire, la Banque de Maurice s’est mise à émettre des obligations aux banques commerciales. La Banque centrale a payé des intérêts pour sa conduite de la politique monétaire. Ces opérations ont coûté Rs 1,9 milliard en 2017 et Rs 2,37 milliards l’année dernière.
Dans son discours budgétaire, le ministre des Finances parle de surplus…
En d’autres années, la Banque de Maurice a généré des surplus. De par l’ordonnance à sa création, elle est appelée à verser des dividendes au Consolidated Fund (caisse de l’État). Elle l’a fait dans le passé. Elle ne déclare pas tous ses profits sous forme de dividendes. C’est cet aspect que le ministre des Finances a en tête. C’est probablement légal. Cependant, dans l’annexe du discours, il dit que la Bank of Mauritius Act sera amendée afin que la Trésorerie publique ait les moyens pour prélever ces surplus sans passer par le Board de la Banque centrale. À partir de là, tout se fera de manière légale. La question qui se pose c’est par rapport à l’indépendance de la conduite de la politique monétaire par la Banque centrale.
Du moment que c’est légal, pourquoi s’en offusquer ?
À Maurice, nous avons des institutions qui sont indépendantes telles que le Commissaire de police et le bureau du Directeur des poursuites publiques. J’inclus la Banque centrale car c’est une institution indépendante. C’est la meilleure pratique actuelle dans le monde. (…) Je pense que le FMI se souscrit à cette pratique.
La condition de la politique monétaire doit être indépendante. Quand on constate que les lois seront modifiées pour que les surplus soient versés au Consolidated Fund, on ne peut que souhaiter que cela ne gêne pas la Banque de Maurice dans ses interventions et qu’elle dispose des liquidités requises pour intervenir comme il se doit sur le marché afin de maintenir la stabilité de la roupie. Il faut qu’elle ait les moyens.
Ce qui est légal n’est nécessairement légitime.
Son projet de faire nettoyer Maurice est à l’avantage du tourisme et du citoyen.»
Revenons au Budget. Il contient des mesures et annonces ciblant des poches spécifiques de la population (personnes âgées et vulnérables) de même que le grand public (baisse du prix de l’essence, diesel). Est-ce que ces mesures populaires auront un impact sur la population et l’économie ?
Quand on parle de l’économie, c’est connu que la science économique n’existerait pas si on pouvait tout faire. Il y a des choix dans notre vie de tous les jours. Il en est de même pour le gouvernement. Il faut voir si on a les moyens.
Par rapport à la population, les mesures donnent un coup de main à ceux qui sont au bas de l’échelle. La consommation devrait enregistrer une hausse.
Par contre, la grande majorité de ce que nous consommons, est importée. Le gouvernement donne des roupies qui servent à acheter des produits de consommation. Or, ces produits sont payés en devises étrangères.
Quel sera l’impact additionnel ?
Il y aura des conséquences. Le déficit commercial s’élargira et davantage de devises étrangères seront utilisées.
Est-ce que ces mesures auront un impact dans la durée sur l’économie et la croissance, vu que la consommation serait un des moteurs de l’expansion économique ?
Je ne suis pas un économètre ou un statisticien. Cela peut effectivement avoir un impact sur l’expansion économique. Une croissance tirée par la consommation a un effet néfaste sur le commerce extérieur. Par rapport au taux de croissance, on devrait se poser la question si nous voulons de la quantité ou de la qualité.
C'est-à-dire ?
Une croissance qui est davantage poussée par des projets est celle de quantité. Elle n’est pas durable. Une croissance de qualité est durable. Elle repose sur de nouveaux secteurs de produits et des services. Par exemple, dans les années 70', la diversification a été clopin-clopant. Dans les années 80', la zone franche timide de la précédente décennie s’est reprise. Dans les années 90', elle s’est davantage affirmée de même que les services financiers transfrontaliers. Aujourd’hui, nous n’avons aucun nouveau secteur.
Quelles sont ces piliers du futur qui méritent notre attention ?
On pourrait s’intéresser à la robotique et la technologie financière. Elles apporteront une croissance de qualité qui nous fait défaut et dont nous avons bien besoin. Elle se fera par la diversification vers des nouveaux secteurs productifs axés vers l’exportation. L’immobilier et l’infrastructure ne sont que des investissements ponctuels.
Y-a-t-il des points forts dans cet exercice ?
Son projet de faire nettoyer Maurice est à l’avantage du tourisme et du citoyen. S’agissant des secteurs financiers, nous retrouvons pas mal de choses qu’il a annoncées. Il y a du positif.
Quels secteurs ont été laissés sur la touche dans cet exercice budgétaire ?
L’agriculture est un secteur qui est toujours oublié. Il faut aller au-delà des mesures ponctuelles telles que les Rs 25 000 par tonne de sucre. Nous avons acquis une expérience sur plusieurs siècles. Il ne faudrait pas qu’on perde cette expertise. Nous devons encourager une plantation de la canne pour des objectifs autres que le sucre. On doit la réorienter vers d’autres produits à valeur ajoutée.
Il manque deux choses. D’abord, nous avons besoin d’une stratégie démographique avec ce pays où il y a de moins en moins de jeunes. D’autre part, nous avons beaucoup utilisé notre espace terrien. Qu’est-ce qu’on fait de notre zone économique exclusive ? Il faut une modernisation et voir si nos eaux contiennent de l’énergie. Il y a du travail à faire.
Êtes-vous confiant d’une amélioration des affaires en 2019 et 2020 pour l’ensemble du pays ?
Espérons que les élections se passent dans le calme, que tout l’environnement économique et social ne soit pas perturbé par les joutes et que le pays continue à vivre au-delà de cette échéance. Tout ce qui passe chez nous est suivi sur le plan international. Il est donc impérieux que notre pays continue à projeter cette image d’économie qui se respecte, accueillant pour les investisseurs et touristes.
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