Son nom est inscrit dans l’histoire de Maurice. Philippe Gentil, 88 ans, ne semble toutefois pas trop s’en émouvoir. Chaque année, le compositeur musical de notre hymne national est sollicité en marge de la fête de l’indépendance. Mais derrière notre « Motherland », dit-il, s’était profilée une véritable bataille d’ego.
En 1967, le gouvernement colonial lance un concours pour la composition de l’hymne national du futur pays indépendant. À ce moment-là, le constable Philippe Gentil est déjà un musicien chevronné au sein du Police Band, où officie Philippe Ohsan. « Il n’est pas le band master, mais le gouvernement d’alors lui confie la responsabilité de l’orchestre », relate-t-il. Philippe Gentil est intéressé par le concours ; il est convaincu qu’on peut faire mieux que le God Save The Queen britannique.
Puis, une nuit, ce violoniste, formé par son père décédé trop jeune et nourri d’opérettes et de comédies musicales américaines, entend un « air venu du ciel ».
« J’ai immédiatement pris du papier et j’ai écrit les notes. L’inspiration m’est venue du ciel. Cela s’arrête là. J’avais composé la première partie de notre hymne national. Le lendemain, j’ai pensé au Rule Britannia et je me suis mis à finir le reste », poursuit ce fan de Fred Astaire.
Lorsqu’il fait écouter le morceau à Philippe Ohsan, ce dernier est en extase. Cependant, il lui faut trouver des paroles à coller sur cette musique. Peu de temps après, le conseiller musical lui apprend qu’un certain Jean-Georges Prosper lui a envoyé un texte. « Il paraît que le texte était trop long et qu’on l’a retravaillé », poursuit notre interlocuteur. Après ces quelques jours d’excitation, s’en suivra une période plutôt confuse.
Le morceau passe l’étape des répétitions et une cassette finale est déposée à l’administration. Mais Philippe Ohsan, selon Philippe Gentil, serait parti à la télévision nationale, avec le Police Band, pour faire enregistrer une version à laquelle il aurait apporté des modifications. « J’étais ulcéré, car il y est allé sans moi.
Mais je me suis plié à sa décision, même lorsqu’il a apporté sa touche à ma version originale. C’est celle-ci qui a été jouée au Champ-de-Mars pour la célébration officielle, le 12 mars 1968. »
Au dernier rang de l’orchestre
Ce jour-là, c’est l’ultime « humiliation » pour Philippe Gentil. « On m’a fait jouer un tambour au dernier rang de l’orchestre. » Aujourd’hui encore, le compositeur musical de notre hymne national ne sait toujours pas quelles sont les versions jouées durant les fêtes officielles. Lorsqu’on lui parle de la fierté que doit lui inspirer le fait qu’il soit l’auteur de la partition musicale de notre Motherland, il préfère parler des jeunes détenus qu’il a formés, en 1968, pour défiler le 12 mars. Ou encore, des gardes-chiourmes de la fanfare de la Prison, mise sur pied sous sa direction, aujourd’hui sous la férule d’un officier des prisons initié à la musique au Conservatoire François-Mitterrand. À son domicile, à la rue Murray, Quatre-Bornes, aucun symbole ou signe d’une trace de cette période n’orne son salon. « J’ai offert mes décorations à mes proches. À quoi me servent-elles ? Plus personne ne chante notre hymne. Les jeunes eux-mêmes ne connaissent pas les paroles, quand ils ne les déforment pas. »Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !