Cela coûte-t-il cher pour un Mauricien de créer une société offshore anonyme dans un paradis fiscal ? Les procédures sont-elles compliquées ? Prennent-elles beaucoup de temps ? Notre enquête démontre qu’il est d’une facilité déconcertante de se lancer dans le monde nébuleux de l’offshore. Pour peu qu’on ait les fonds nécessaires.
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Le secteur de l’offshore a, une nouvelle fois, défrayé la chronique cette année. Et Maurice s’y est retrouvée mêlée. Pas moins de 1 344 entités opérant dans ce domaine et figurant dans la base de données des Panama Papers affichent des liens avec l’île. 624 adresses mauriciennes y sont également listées, de même que 81 intermédiaires locaux et 1 412 actionnaires et bénéficiaires mauriciens. Des noms de personnes connues y figurent aussi. Parmi : Hector Espitalier-Noël du groupe ENL, Kee Chong Li Kwong Wing, président de la SBM et Kamil Patel, ancien tennisman reconverti en homme d’affaires.
Maurice a été plusieurs fois décrite comme un paradis fiscal au niveau international, l’Inde insistant notamment pour revoir l’accord de non-double imposition. Inversement, est-il facile pour un Mauricien de créer une société offshore anonyme dans un paradis fiscal ? Combien cela coûte-t-il ? Nous avons enquêté auprès d’entreprises spécialisées dans la création d’entités offshore basées à Maurice et à l’étranger.
Nous nous sommes donc mis dans la peau d’un client souhaitant créer une compagnie pour des placements de fonds. Notre enquête démontre que pour USD 2 310 (soit Rs 82 236), on peut créer une société dans une juridiction peu scrupuleuse. Et ce, en l’espace de quelques jours et sans que son nom figure dans les documents officiels des autorités locales.
Juridictions moins strictes
En entamant notre enquête, nous nous penchons sur une filiale locale d’une compagnie spécialisée dans l’offshore. Une visite sur le site Web de la firme révèle une première surprise pour le non-initié : outre les noms habituels des îles Vierges britanniques et des îles Caïman, on retrouve le Delaware, le Nevada, le Wyoming et l’Oregon comme lieux idéaux pour lancer sa société offshore. En fait, ces États américains sont réputés pour faire partie des juridictions les moins strictes au monde.
Nous contactons alors par téléphone un employé, prénommé Amar. Il nous oriente vers une juridiction voisine, les Seychelles, parce qu’elle est proche de Maurice « dans le même fuseau horaire ». Les documents nécessaires : une copie certifiée d’une pièce d'identité, une preuve d’adresse, une lettre d’une banque confirmant qu’on y est client depuis
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« Si on a tous ces documents, on peut tout faire en deux ou trois jours ouvrables. Nul besoin de connaître le client et de le rencontrer », explique fièrement Amar. Il faut bien sûr avoir réglé certains frais au préalable, soit USD 1 400 (Rs 49 840) pour les frais d’établissement, USD 1 450 pour les frais annuels (Rs 51 620) ainsi que la licence annuelle de USD 100 (Rs 3 560) payables aux autorités seychelloises.
Et le compte en banque de la société offshore ? Amar nous propose la Mauritius Commercial Bank (MCB) – la branche offshore bien entendu. « On peut vous proposer Afrasia aussi. Mais ce sera le compte de votre compagnie incorporée aux Seychelles. Vous serez donc un client seychellois de la MCB », nous explique-t-il.
Toutefois, le client est libre d’ouvrir un compte bancaire dans n’importe quelle juridiction au monde s’il veut avoir recours à d’autres prestataires. Notre firme offshore seychelloise peut donc facilement avoir un compte en banque suisse. On peut alors opter pour une seconde juridiction pour brouiller les cartes davantage, si nécessaire.
Ce type de firmes propose encore d’autres services pouvant servir à rajouter une couche de secret. C’est notamment le cas des shelf companies ou communément appelées sociétés dormantes. Il s’agit d’entreprises « vides » qui ont déjà incorporées il y a plusieurs années et qui n’ont jamais été utilisées. Un client peut donc contacter une firme spécialisée en 2016 pour créer une compagnie et en ressortir avec une entreprise incorporée plusieurs années auparavant.
Compagnies dormantes
« Certains clients préfèrent acheter une société qui a l’air plus ancienne, parce qu’une nouvelle entreprise peut ne pas inspirer confiance. Le client doit alors payer un supplément pour chaque année d’existence de la Shelf Company », confirme Amar. Si l’on sollicite, par exemple, la firme dans laquelle travaille ce dernier, il faut compter USD 150 (Rs 5 340) pour chaque année d’existence. Une liste de près d’une vingtaine de Shelf Companies est visible sur le site Web de la compagnie. On peut y trouver certaines sociétés dormantes qui attendent de trouver preneur depuis 2007.
Autre service de camouflage légal également disponible : les nominees. Dans un courriel qu’il nous a adressé après notre conversation téléphonique, Amar nous explique le principe. « Si l’anonymat est requis au niveau du Registre des Actionnaires et/ou du Registre des Directeurs, [la firme] peut aussi fournir un actionnaire ‘nominé’ et/ou un administrateur/directeur ‘nominé’. Ce service coûte à partir de USD 1 200 par an. Le recours à un nominé est une opération très fréquente dans le droit anglo-saxon. Cela consiste à nommer une personne morale en qualité de dirigeant et/ou d’actionnaire en lieu et place du bénéficiaire de la société. » En des termes plus clairs, cela signifie que l’on peut être actionnaire et propriétaire d’une société offshore sans que son nom ne figure sur les registres officiels. Cette opération est tout à fait légale.
Toutefois, il est possible d’obtenir tous ces services à moindres frais en contactant des entreprises étrangères spécialisées. Notre enquête se poursuit alors du côté de Maritime International Ltd, une compagnie qui se décrit comme un « full offshore service provider ». Un dénommé Malcolm, qui y travaille, nous propose immédiatement plusieurs options quand nous évoquons les sociétés dormantes au Panama dans un courriel : « We can also offer you a shelf company with the name Laureate Investments Ltd, incorporated in Panama in 2009. Given the date, it will be more expensive as the annual renewals all have to be paid up to date. »
Pour créer cette société offshore anonyme au Panama, il faut compter USD 1 190. Avec tout le package pour assurer l’anonymat (USD 225 pour des nominee shareholders,
USD 415 pour un compte en banque, USD 90 pour une adresse bancaire, USD 300 pour une corporate address, USD 25 pour un tampon au nom de la compagnie et
USD 65 pour le service-courrier), ce sont, au total, USD 2 310 (Rs 82 236) que réclame Maritime International Ltd.
Nous décidons, toutefois, de corser les choses. Que se passerait-il si quelqu’un voulait rester anonyme et créer une société offshore dans une juridiction qui ne réclamerait pas de pièce d’identité ? « Besides using nominees for the Panama Company, you could also consider incorporating in the Marshall Islands. This is the world’s most private jurisdiction, as they do not collect the names of the shareholders or even the beneficial owners », nous conseille Malcolm.
L’obligation de réclamer une pièce d’identité est censée empêcher le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes. Pourtant, aux îles Marshall, il est possible de contourner cette règle. Pour y créer une entreprise, il faut compter au moins USD 1 150 (Rs 40 940). « The Marshall Islands are the only jurisdiction of this type », soutient Malcolm. Il tient, toutefois, à apporter des précisions : « We open the company with a corporate nominee Director. Once the company is opened, the nominee Director issues you the shares. There is no record in the Marshall Islands. » Secret et opacité absolus garantis.
Ce que coûte une Global Business Company à Maurice
Il existe deux types de sociétés offshore dans la juridiction mauricienne : les Global Business Company (GBC) 1 et les GBC 2, qui ne sont pas fiscalement résidents à Maurice. Selon Me Penny Hack, les GBC 2 sont les moins onéreux et coûtent autour de USD 4 000 (Rs 142 400), alors que les GBC 1 peuvent coûter entre USD 8 000 et 10 000 (soit entre Rs 284 800 et Rs 356 000).
Les explications de Penny Hack, avocat d’affaires
L’avocat d’affaires et spécialiste du secteur offshore, Penny Hack, défend bec et ongles le type de services offerts par les sociétés opérant dans ce secteur. « À Maurice, nous n’avons pas de Shelf Company. Mais c’est un processus qui peut aider à accélérer les choses. Au lieu de réserver un nom, de l’enregistrer et de passer par toutes ces étapes, on va plus vite. »
Quid de l’opacité entourant le service de nominees ? « Ce n’est pas nécessairement illégal », explique l’avocat avant d’ajouter : « Il arrive que quelqu’un ait de l’argent mais qu’il veuille rester discret pour des raisons de sécurité. Sa famille peut être mise en danger en devenant la cible de malfaiteurs par exemple. Ou alors, cela peut simplement être un choix personnel. »
Me Penny Hack estime qu’il faut faire confiance aux institutions. « Il y a des régulateurs et les opérateurs ont une licence. C’est quand même un signe que la compagnie est gérée de manière correcte. Il faut faire confiance aux opérateurs et ne pas présumer qu’ils feront des bêtises », souligne-t-il. Un discours qui ressemble beaucoup à ceux tenus en 2006-07 quand on commençait à parler de bulle de l’immobilier. Sauf qu’en 2008, les mauvaises pratiques des banques, des régulateurs et des agences de notation ont causé le crash qui a affecté l’économie mondiale.
« Il ne faut pas basculer dans la paranoïa », insiste l’homme de loi. Car il n’y a, selon lui, pas beaucoup de juridictions vraiment opaques. « Les îles Marshall, le Panama, la Suisse et après ? J’y ajouterai peut-être le Delaware, le Nevada... Bref, ce sont des juridictions de pays qui critiquent le plus les paradis fiscaux ! »
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