Sans langue de bois, l’ex-président du Bar Council réclame une enquête sur les Rs 19 millions payées par l’Information and Communications Technology Authority (ICTA) à Me Kailash Trilochun. Il estime que le législateur va certainement réguler les honoraires des hommes de loi face à un tel scandale.
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Lorsque vous avez été élu président du Bar Council en 2014, vous vous étiez fixé pour mission de rétablir la confiance des Mauriciens dans la profession légale. Entretiennent-ils toujours cette « mauvaise perception » envers les hommes en robe noire ?
« L’organisme régulateur ne peut être représenté par un avocat du privé, mais par un State Law Officer »
Tout dépend de qui nous avons en tête. Grosso modo, les gens font confiance aux membres de la profession légale. Il y a toujours des brebis galeusesqui doivent être sanctionnées. Il faut être impitoyable envers ces individus.
Pourquoi cette « mauvaise perception » ? Sont-ils trop gourmands ? Étudient-ils suffisamment leurs dossiers avant de se présenter en Cour ?
Je ne pense pas qu’ils n’étudient pas leurs dossiers. Dans certains cas, c’est la conduite de ces avocats, pas au niveau de la performance de leur travail, qui interpelle. Des questions d’éthique sont alors soulevées.
S’agit-il d’avocats-politiciens ?
Certains sont des politiciens. D’autres non. Il n’y a qu’à se pencher sur le catalogue de plaintes reçues par le Bar Council. Je siège toujours sur un comité qui enquête dessus. S’il y a lieu de prendre des sanctions dans des cas considérés comme graves, le Bar Council doit s’en remettre à la Cour suprême.
Récemment, elle a jugé, pour des raisons qui sont propres à elle, qu’elle n’allait pas donner suite à un cas précis. C’était celui de l’avocat qui a agressé un confrère dans l’enceinte de la Cour suprême. C’est ce monsieur qui paraît pour le Commissaire de police. C’est un cas où je regrette qu’il n’y ait eu aucune sanction.
Venons-en à Me Kailash Trilochun. Sans être indiscret, à combien se chiffre votre tarif par heure ?
Je ne pratique pas de tarif par heure. Mes honoraires oscillent entre zéro et Rs 100 000. Généralement, je travaille sur un forfait. Parfois, le client découvre que ce qui a été convenu dépasse son budget. On essaie alors de trouver un terrain d’entente.
Est-ce normal pour un avocat de percevoir Rs 19 millions d’un organisme de l’État dans une unique affaire alors qu’elle avait déjà été largement traitée par les hommes de loi d’autres parties défenderesses ?
Je ne connais pas les dessous de l’affaire, mais a priori, je ne suis pas moins choqué que le Premier ministre. Il faut une enquête pour établir en quelles circonstances ces honoraires ont été payés et s’ils sont justifiés. L’Information and Communications Technology Authority (Icta) aurait normalement dû être représentée par le State Law Office. Apparemment, il s’est récusé. Là aussi, il y a des vérifications à faire. Tout comme le fait de déterminer si une ‘letter of engagement’ a été émise.
Vous avez été le président p.i de la Mauritius Telecommunications Authority, l’ancêtre de l’Icta. A-t-elle payé autant d’honoraires à un avocat ?
Jamais de la vie ! Je n’arrive toujours pas à comprendre comment on a pu arriver au chiffre de Rs 19 millions. Nous avions eu à faire face à une demande de Judicial Review de Mauritius Telecom qui contestait une décision visant à réduire le prix de la connexion Internet, afin de favoriser les étudiants de l’Université de Maurice (UoM).
Au dernier moment, le Solicitor General a fait savoir qu’il ne pouvait pas assurer la défense de l’organisme. Je me suis rendu au bureau du ministre responsable, lundi, pour lui exposer mes griefs. Il a pris son téléphone et appelé l’Attorney General. Le Solicitor General avait fini par s’occuper du dossier.
De mon point de vue, le principe est que l’organisme régulateur ne peut être représenté par un avocat du privé, mais par un State Law Officer. Autant que je sache, il n’y a eu aucun paiement d’honoraires à quiconque. À l’époque, Bhadooduth Beeharee était le senior manager de la Mauritius Telecommmunications Authority. Il confirmera.
Faut-il réguler le tarif des avocats ?
Cela va finir par arriver si on se retrouve face à ce genre de scandale. S’il y a des abus, le législateur va intervenir. Le tarif des consultants, au niveau légal ou technique, n’est pas généralement tarifié. Si l’on se tourne, par exemple, vers le cabinet d’expert singapourien NTan, son tarif est agréé d’avance. Dans le cas qui nous concerne, on ne savait pas où on allait.
J’ai travaillé pour la National Housing Development Company (NHDC) en deux occasions. Les deux procès ont été remportés mais face aux difficultés financières du client, j’ai revu mes honoraires de 50%.
Est-ce l’héritage de votre passage à l’étude de sir Gaëtan Duval ?
Il y a peut-être un peu de ça… Moi, je vais ‘the extra mile’ pour mon client. S’il me dit qu’il a des soucis financiers, je dois pouvoir le comprendre. Beaucoup d’avocats, à l’instar de Rama Valayden, font du pro bono. Ils touchent Rs 300 à Rs 400 roupies en matière de Legal Aid. Tout comme ceux qui ont défendu les pirates somaliens. Si un client ne peut pas me payer, je ne vais quand même pas lui intenter un procès. Malheureusement, il y a certains dalaï lamas dont les honoraires atteignent les sommets de l’Himalaya.
Quel est le gros montant que vous avez touché ?
Ça remonte à plusieurs années. Rs 1 million pour un travail d’une compagnie offshore. L’affaire a pris un an.
Me Kailash Trilochun a mené campagne contre le Solicitor General quant aux honoraires qu’il touchait auprès des compagnies de l’État. Souscrivez-vous à une telle démarche ?
Il y a apparemment une autorisation qui a été donnée aux State Law Officers. La règle générale est qu’un fonctionnaire n’est pas permis de faire un travail rémunéré pendant ses heures d’activités. Je ne souscris pas à 100 % aux élucubrations de Me Kailash Trilochun, mais il faut savoir où il faut ‘draw the line’. Les fonctionnaires sont là pour être au service de l’État et non pas passer le plus clair de leur temps à prodiguer des conseils à des organismes parapublics.
Faut-il les rémunérer ? Comment font-ils pour paraître en Cour ?
Oui. Du moment que cela n’empiète pas sur leurs heures de travail. Maintenant, s’ils vont se présenter à la Cour, ce sera au cours de leurs heures de travail. Cette situation n’est pas normale.
Un avocat proche d’un parti politique au pouvoir peut-il être conseil légal des corps paraétatiques sous l’ombrelle d’un parent ou des camarades de campagne ?
Éthiquement, il ne devrait pas. Il peut y avoir conflit d’intérêts. Il peut être appelé à prendre des directives de personnes qu’il ne devrait pas. Quand la politique entre au prétoire, la justice prend la porte. Ce n’est pas normal qu’à chaque changement de gouvernement, des nominations d’avocats se fassent sur une base politique. C’est totalement répréhensible.
Que vous inspire ces avocats proches du pouvoir qui quémandent des contrats. Comme cela a été le cas d’un ancien Attorney General ?
C’est carrément inacceptable. C’est honteux pour un avocat de réclamer du travail. Quand vous êtes venu à mon bureau, est-ce que vous avez vu la moindre plaque à mon nom ? Sir Gaëtan Duval me disait : si tu es bon, les gens viendront te trouver même si tu habites au sommet d’une montagne.
Réclamer du travail auprès de ces organismes, c’est contraire aux règles les plus élémentaires de la déontologie. Ce faisant, vous êtes à la solde des politiciens. Vous devenez un rouage de la machinerie politique.
La liste des ‘Senior Counsels’ fait face à des critiques de part et d’autre. En êtes-vous satisfait ?
S’il y a des critiques, la meilleure chose à faire serait mettre en place un système ayant cours en Grande-Bretagne. Celui qui aspire à être ‘Senior Counsel’ ou ‘Senior Attorney’ doit soumettre un dossier. L’exercice se déroulera alors dans la transparence. Je suis heureux que parmi les trois avocat(e)s et les deux avoué(e)s que j’ai recommandés, quatre ont été nommés.
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