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Lutte contre l’argent sale : radiographie d’un défi majeur

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Le blanchiment d’argent, un fléau mondial qui frappe aussi Maurice. Malgré les efforts considérables, la lutte contre l’argent sale reste un défi complexe. Qui traque ces fonds illicites ? Comment détecter un cas suspect ? Et quel rôle peut jouer le citoyen dans cette lutte ?

Qu’est-ce que le blanchiment d’argent ? À cette question, Laura Jaymangal, directrice exécutive de Transparency Mauritius, explique que cette pratique consiste à dissimuler l’origine illicite de fonds, souvent générés par des activités criminelles comme le trafic de drogue ou la vente d’armes. L’objectif est de « nettoyer » cet argent pour qu’il devienne difficile à distinguer de l’argent légitime. 

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Laura Jaymangal

Ce phénomène, précise-t-elle, se déroule souvent sur plusieurs étapes et peut s’étendre sur de longues périodes, rendant sa détection particulièrement difficile. « Le blanchiment est un crime intelligent et difficile à détecter. Il se cache derrière des processus complexes et prend souvent plusieurs années avant de se manifester », ajoute Laura Jaymangal. 

À Maurice, plusieurs entités sont chargées de lutter contre le blanchiment d’argent. Parmi elles, la Financial Crimes Commission (FCC) – ex-Independent Commission Against Corruption, la police, l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu), et la Financial Services Commission (FSC). Ces organismes collaborent pour surveiller et détecter les activités suspectes. 

Comment détecter le blanchiment d’argent ? « Les criminels utilisent des stratagèmes variés pour blanchir leur argent, comme la création de sociétés-écrans, l’achat de biens immobiliers ou l’utilisation de cryptomonnaies », fait savoir Laura Jaymangal. La détection repose sur l’identification de signaux d’alerte. Les transactions inhabituelles, telles que des dépôts ou retraits en espèces importants, des virements vers des pays à risque, l’achat de biens de luxe disproportionnés par rapport aux revenus déclarés, ou encore des mouvements rapides de fonds qui ne correspondent pas aux habitudes des clients, sont souvent des indices d’activités suspectes.

Si des mécanismes existent pour détecter le blanchiment d’argent, « la vigilance des institutions financières est primordiale », affirme l’économiste Manisha Dookhony. « Les banques sont en première ligne dans la lutte contre le blanchiment d’argent », acquiesce Laura Jaymangal. Il en est de même pour la Banque de Maurice, la FIU et la police. Ces institutions surveillent les transactions et identifient les activités suspectes. Elles sont tenues de signaler toute transaction suspecte aux autorités compétentes, qui peuvent ainsi lancer une enquête plus approfondie. « Le rôle des forces de l’ordre et des institutions financières est primordial pour signaler, enquêter et sanctionner les cas de blanchiment », précise-t-elle.

Le système KYC

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Manisha Dookhony

Le système KYC (Know Your Customer) est essentiel à cette détection. « Il est impératif que chaque institution financière connaisse son client et signale toute transaction suspecte », insiste la directrice exécutive de Transparency Mauritius. Le KYC repose sur la vérification de l’identité des clients et l’analyse de leur historique financier. « Les entreprises, en particulier dans les secteurs bancaires et financiers, doivent effectuer ces vérifications pour éviter d’être impliquées dans des activités illégales », souligne l’économiste Manisha Dookhony. 

Une approche plus approfondie, appelée Extended KYC, peut parfois être nécessaire dans des contextes à haut risque. Cette méthode implique une collecte de données plus exhaustive, incluant les bénéficiaires effectifs et les structures de propriété complexes, ainsi qu’un suivi renforcé des transactions des clients à risque ou provenant de juridictions sensibles. L’Extended KYC intègre également des solutions technologiques avancées permettant une détection proactive des anomalies.

À Maurice et en Inde, le KYC est appliqué dans divers secteurs, y compris la vente de biens immobiliers, où les sources de fonds doivent être justifiées. « Nous avons un registre central KYC pour regrouper les informations sur les clients et faciliter leur vérification », soutient Manisha Dookhony. En Inde, l’Aadhar card est devenue un outil clé dans cette lutte, permettant une identification fiable des clients.

Selon l’économiste, le secteur bancaire et des services financiers non bancaires tels que la Fintech, le Global Business et les professions libérales (avocats, comptables, etc.) doivent également respecter certaines normes KYC. « En Inde, ces exigences s’étendent au marché des capitaux, aux assurances, aux achats en ligne et aux acquisitions de bijoux dépassant le seuil de 2 millions de roupies indiennes par exemple pour les bijoux », indique-t-elle. À cela, la directrice exécutive de Transparency Mauritius ajoute qu’à Maurice, la déclaration des avoirs des élus peut aussi aider à déterminer d’éventuelles transactions suspectes.

Lien avec le trafic de drogue

Toutefois, malgré ces dispositifs, des lacunes subsistent, compromettant la lutte contre le blanchiment d’argent à Maurice, observent Manisha Dookhony et Laura Jaymangal. L’utilisation de prête-noms et l’existence de secteurs non réglementés compliquent la traque des fonds illicites. « Les secteurs comme l’achat de produits de luxe, les transactions immobilières opaques et la nature même de l’île contribuent à rendre difficile la traque des fonds illicites », font-elles ressortir. 

L’un des défis majeurs à Maurice est le lien entre le blanchiment d’argent et le trafic de drogue. Les revenus générés par les trafiquants sont souvent blanchis pour les rendre légitimes. « Le trafic de drogue génère des revenus considérables pour les criminels, et ces fonds sont intégrés dans l’économie légale de manière souvent difficile à détecter. Des affaires, comme celle de Franklin, un trafiquant de drogue arrêté pour blanchiment d’argent, illustrent la complexité de la situation, avec des activités illicites dissimulées sous des transactions financières apparemment légales », fait remarquer Manisha Dookhony. 

Les réseaux criminels peuvent parfois bénéficier de protections politiques, ce qui entrave les enquêtes. « La corruption au sein des institutions étatiques entrave l’efficacité de la lutte contre le blanchiment d’argent », constate l’économiste. 

Entre-temps, le blanchiment d’argent, particulièrement lié au trafic de drogue, peut fausser les marchés locaux et perturber la concurrence. « Même si l’économie de Maurice traverse des difficultés, les fonds issus du trafic de drogue stimulent la consommation, l’achat de biens de luxe, de voitures et d’immobilier », explique-t-elle. Cela crée une distorsion dans le marché légitime et impacte directement les entreprises qui respectent la loi.

Laura Jaymangal rappelle que la lutte contre le blanchiment d’argent nécessite une approche collaborative entre autorités nationales et institutions internationales : « C’est un crime transnational qui ne se limite pas à un seul pays. Une coopération mondiale est essentielle. » Elle évoque également l’inscription passée de Maurice sur la liste grise du GAFI en raison de non-conformité aux normes internationales. « Nous avons travaillé dur pour en sortir, mais nous devons rester vigilants et continuer à renforcer notre cadre réglementaire », affirme-t-elle. 

Pour elle, la collaboration entre gouvernements, institutions financières et organisations internationales demeure la clé d’une lutte efficace contre ce fléau.

Comment détecter un cas suspect ?

  • Transactions inhabituelles

Montants élevés sans justification claire, virements vers des juridictions à risque, opérations en cash disproportionnées.

  • Sociétés sans activité réelle 

Entreprises enregistrées mais sans opérations commerciales concrètes.

  • Structures complexes 

Chaînes d’intermédiaires pour dissimuler le bénéficiaire réel des fonds.

  • Achat de biens de luxe 

Acquisitions rapides et répétées de voitures, montres ou propriétés sans revenus déclarés cohérents.

Des transactions sous haute surveillance

La police, à travers plusieurs unités spécialisées, veille attentivement à la régulation des transactions financières. Parmi ces unités figurent la brigade antidrogue, l’Anti-Money Laundering Unit (AMLU) rattachée au Central CID, et plus récemment la Financial Crimes Commission (FCC).Celle-ci englobe les anciennes entités telles que l’Integrity Reporting Services Agency, la Financial Intelligence Unit et l’Asset Recovery Unit. Ces structures passent au crible toutes les activités et transactions financières suspectes.

Au niveau des banques, des contrôles réguliers de type Know Your Customer (KYC) sont effectués pour s’assurer de la légalité des transactions. Par ailleurs, des régulations de plus en plus strictes sont mises en place, notamment en ce qui concerne les casinos, et d’autres sociétés et corporations.

Ces nouvelles technologies de lutte

Intelligence artificielle (IA)
Analyse en temps réel des transactions pour détecter des comportements suspects.

Blockchain et cryptomonnaies
Des outils comme Chainalysis suivent les flux de cryptos et repèrent les fonds illicites.

Big Data
Croisement de données pour identifier des réseaux criminels et des transactions anormales.

Biométrie 
Vérification d’identité via reconnaissance faciale et empreintes digitales pour empêcher l’usurpation d’identité.

Surveillance bancaire
Suivi des transferts internationaux pour repérer les mouvements suspects vers des paradis fiscaux.

L’engagement citoyen, un rempart essentiel dans la lutte contre le blanchiment

La mobilisation citoyenne constitue un pilier fondamental dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Cette responsabilité collective, soulignée par Transparency Mauritius, s’étend bien au-delà des institutions financières traditionnelles. « Les citoyens ont un rôle crucial dans la lutte contre le blanchiment d’argent », affirme Laura Jaymangal.

Cette implication citoyenne peut prendre diverses formes. Les professionnels occupant des postes stratégiques – employés de banque, notaires, comptables – endossent une double responsabilité, à la fois éthique et légale, en tant que lanceurs d’alerte potentiels. Leur vigilance et leur courage pour signaler les activités suspectes peuvent s’avérer déterminants dans le démantèlement des réseaux criminels.

L’économiste Manisha Dookhony souligne l’importance de la vigilance quotidienne : « Ils peuvent signaler des comportements suspects tels que des allers-retours inhabituels ou des comportements étranges. » Cette observation attentive, combinée à des initiatives communautaires encourageant la dénonciation, forme un maillon essentiel dans la chaîne de détection des activités illicites.

La protection individuelle constitue également un aspect crucial de cette lutte. Les citoyens doivent développer un sens critique aiguisé face aux propositions d’investissement douteuses. Les offres alléchantes promettant des revenus rapides et sans risque dissimulent souvent des mécanismes de blanchiment sophistiqués. Cette vigilance personnelle contribue non seulement à la protection individuelle, mais aussi à la préservation de l’intégrité économique et de la réputation du pays.

« Il est essentiel de développer une culture de vigilance et de responsabilité parmi les citoyens », insiste Laura Jaymangal. Dans cette optique, Transparency Mauritius déploie des programmes de sensibilisation visant à éduquer toutes les strates de la société. « Si une personne suspecte une activité illégale, il est important de le signaler aux autorités. Cela pourrait être la clé pour démanteler des réseaux criminels », rappelle-t-elle.

Cette approche globale, associant vigilance individuelle, responsabilité professionnelle et engagement communautaire, témoigne de la nécessité d’une prise de conscience collective pour endiguer ce fléau qui menace tant l’économie que la réputation nationale. La participation active de chaque citoyen, soutenue par des organisations comme Transparency Mauritius, dessine ainsi les contours d’une lutte plus efficace contre le blanchiment d’argent.

 

 

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