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Lindley Couronne Directeur Général de Dis-Moi : «Je n’ai aucune confiance dans le CCID»

Lindley Couronne

Lindley Couronne, Directeur Général de Dis-Moi (Droits Humains océan Indien), se fait plutôt rare dans les médias locaux ces temps-ci. Suite à la restructuration de l’organisation qui a vu l’émergence de nouveaux leaders, comme Vijay Naraidoo, Ny Onja Hon Fat, Quaynaat Anowar, Erickson Mooneeapillay, entre autres, et au seuil de développements qui feront l’organisation franchir un nouveau palier, il concentre son énergie à consolider les structures régionales. Avec sa franchise coutumière, il nous livre son analyse citoyenne de la situation socio-politique locale dans un entretien à bâtons rompus.

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Quel regard portez-vous sur l’organisation que vous avez fondée il y a de cela 9 ans?
Un regard d’abord empreint de fierté pour ce que nous avons accompli avec beaucoup de passion et d’engagement et très peu de moyens financiers. Mais aussi beaucoup de reconnaissance envers tous ceux qui ont cru en notre projet et nous ont aidé, peu ou prou. Si nous sommes à ce niveau de développement aujourd’hui, c’est que l’idéal des droits humains en lequel nous croyons est partagé par beaucoup de citoyens de l’océan Indien, pas seulement à Maurice.

La vision de Dis-Moi est celle d’un sud-ouest océan Indien où les droits humains sont respectés. Franchement, nous en sommes encore loin, même à Maurice qui est parfois considéré comme un phare de la démocratie dans cette région du monde. Vous y croyez vraiment?
L’humain me passionne souvent même s’il me désespère parfois.

Vous ne répondez pas à la question...
L’aventure humaine n’a jamais été un long fleuve tranquille. À tous ceux passionnés par l’histoire, je recommande SAPIENS de l’universitaire israélien Harari. Ce bouquin nous raconte l’histoire de l’humanité brillamment. Et surtout il arrive à mettre en perspective beaucoup d’idées reçues, de faussetés ou demi-vérités. Maurice comme phare de la démocratie? Vous croyez franchement que les gouvernements post-indépendance ont été des phares? Nous sommes encore au tout début de l’apprentissage de la démocratie et c’est un peu normal car nous n’avons qu’une cinquantaine d’années d’indépendance. Si l’on nous compare à Madagascar qui est resté au niveau zéro du développement ou à certains pays africains, là peut-être pourrions-nous parler de phare!

Au-delà des theatricals de Valayden et de l’agenda politique de Bhadain, il y a évidemment plusieurs choses qui choquent les citoyens dans cette affaire.»

Vous vous faites discret dans l’analyse de ce qui se passe à Maurice actuellement, pourquoi?
Aujourd’hui, mon énergie est centrée sur le développement de Dis-Moi dans la région sud-ouest océan Indien. Il nous faut renforcer nos structures, consulter les leaders régionaux de Madagascar, de la Réunion, de Rodrigues et des Seychelles, résoudre des problèmes conjoncturels ou structurels car on ne crée pas une entité régionale par un coup de baguette magique. Erickson Mooneeapillay s’occupe de Dis-Moi Maurice, Vijay est Directeur du Secrétariat à Belle Rose et les autres leaders s’occupent bien de leurs affaires. Et comme Dis-Moi ne fait pas de politique, on laisse ceux qui en font se débrouiller.

Est-ce ce que cela veut dire que vous n’avez pas d’opinion citoyenne sur ce qui se passe dans ce pays?
Nous vivons en ce moment une drôle de période à Maurice, évidemment j’ai mon opinion là-dessus. De quoi voulez-vous que je parle?

De l’affaiblissement de l’Etat de droit par exemple. De ce pays où tout semble aller mal...
Ce qui me frappe ces temps-ci à Maurice, c’est l’absence de nuances, l’absence de perspectives. Pour certains, tout est noir et pour d’autres, tout est rose. Il y a très peu de personnes objectives dans ce pays en ces temps troubles et pourtant c’est ce qu’il nous faut.

Pouvez-vous être plus précis dans votre pensée ?
Je pense par exemple que la presse s’est dégradée ces derniers temps : absence d’analyses objectives, parti pris absolu, impossibilité de voir au-delà de leur agenda. Et cela ne fait pas honneur à la presse la plus ancienne du sud de l’hémisphère. Trouvez-vous cela normal qu’une éditorialiste n’articule ses éditoriaux que sur les manquements du nouveau gouvernement ? À croire que rien de bon n’a été fait jusqu’ici. Pourtant ce gouvernement a valorisé considérablement les plus de 60 ans, a introduit un revenu minimal de Rs10 000, a amélioré les conditions des travailleurs par son Workers’ Rights Act, a aidé les ONG à se professionnaliser par la création du NSIF, présidé par l’excellent Menon Munien, et établi un programme sérieux d’accompagnement des élèves en difficulté scolaire, le F.L.E (Fortified Learning Environment).

Nous vivons en ce moment une drôle de période à Maurice»

Vous attaquez la presse maintenant?
Vous savez, j’aime bien cet aphorisme de Brecht « seuls les poissons morts suivent le courant ». Je n’ai jamais de ma vie suivi la meute et ne le ferai pas à mon âge. La presse à Maurice a été pendant bien longtemps, dans son ensemble, une presse mesurée qui savait faire la part des choses. À une époque où la Covid-19 est venue bouleverser la vie des gens, il nous faut des opinion leaders les plus objectifs possible et sans agenda politique, sinon on ne s’en sortira pas.

Oui mais on vous connaissait plus critique...
Je le suis encore, rassurez-vous. Vous voulez des exemples ? Je vous ai dit que la presse s’est affaiblie. C’est un fait ! Comme les autres institutions de ce pays. Le Parlement est devenu une foire avec le pire speaker de l’île Maurice post indépendante. Si ce n’était pas une affaire tragique, je dirais que c’est un speaker digne d’une bande dessinée. La MABC a dépassé les pires télévisions nationales africaines en termes de manipulation, de mensonges et de médiocrité.

Vous êtes d’accord donc que l’Etat de droit s’est affaibli?
Pour ceux ayant la mémoire courte, l’État de droit laissait aussi beaucoup à désirer sous Ramgoolam. On oublie un peu trop facilement qu’il a fait Air Mauritius devenir la propriété d’une personne, on oublie comment il avait instrumentalisé la police avec un cynisme extraordinaire pour arrêter Roshi Badhain, entre autres. Les politiciens de ce pays devraient plus souvent s’entendre parler parfois. Mon point de vue citoyen est que l’île Maurice n’a plus confiance en la classe politique et il faudra impérativement qu’elle se ressaisisse et vienne de l’avant avec un programme où elle va effectivement walk the talk. Je pense qu’il y a de la place pour un autre parti politique car la nature a horreur du vide, mais pour cela il faudra que les conditions objectives soient réunies. Pour répondre à votre question plus directement, il nous faut accepter que l’Etat de droit à Maurice a souvent vacillé, au gré des gouvernements et au gré surtout de la police, qui a trop souvent été le paillasson du pouvoir.

Je rencontre Ajit Boolell assez ponctuellement. C’est un homme droit, intègre et l’exemple d’une personne qui se sert de son pouvoir pour le bien commun.»

Oui mais il semblerait que la police d’aujourd’hui n’a plus de direction. Etes-vous d’accord?
Je nuancerai ce jugement. Khemraj Servansingh est un homme intègre avec de la bonne volonté et on ne peut dire cela de tous ses prédécesseurs. Il travaille avec Dis-Moi, va signer un MOU (Memorandum of Understanding) avec notre organisation pour former les nouvelles recrues dès cette année en éducation des droits humains, met à notre disposition un de ses assistants pour régler des problèmes que rencontrent les citoyens dans tout le pays. Mais voyez-vous, je suis dans les droits humains depuis plus de 20 ans et n’ai rencontré aucun Commissaire avec une telle volonté politique. Ce que très peu de personnes savent c’est qu’il a un ACP (Assistant Commissioner of Police) quasiment inamovible en la personne de Jangi (Savez-vous que son contrat mentionne ACP crime ?). Et de cela Servansingh ne peut être tenu responsable, c’est une décision politique que Jugnauth fils doit assumer.

Quelle est votre opinion du CCID ?
Je vais vous dire une chose. Je n’ai aucune confiance en ce département de la police, aucune confiance. C’est évident qu’il est instrumentalisé. Il y a dans le CCID un cynisme et une mauvaise foi épouvantable. Le CCID dans la situation actuelle est un État dans un État et il est évident que les politiques dans ce cas ont mis le Commissaire dans une situation embarrassante. Ce que je voudrais entendre de l’opposition, ce n’est pas les banalités qu’ils débitent à longueur de journée mais ce qu’ils feront pour changer ce système inique que TOUS ont laissé se développer. Ils partagent donc cette responsabilité de n’avoir pas su, ou voulu, réformer la police et nous donner un corps de métier dont les Mauriciens seraient fiers.

Il nous reste quoi alors pour sauver notre Etat de droit?
Il nous reste le pouvoir du judiciaire et le pouvoir du DPP. Malgré ses imperfections, notre judiciaire jusqu’à présent a su être indépendant et c’est son rôle. Comme le disait Montesquieu, seul le pouvoir judiciaire peut arrêter le pouvoir politique. Et aussi longtemps que le judiciaire ne sera pas sous l’étouffoir des politiques, on pourra encore respirer dans ce pays.

Et le DPP?
Je rencontre Ajit Boolell assez ponctuellement. C’est un homme droit, intègre et l’exemple d’une personne qui se sert de son pouvoir pour le bien commun. Savez-vous qu’il donne parfois aux citoyens des cours d’éducation aux droits humains avec Dis-Moi? Savez-vous qu’il est dans un projet d’empowerment de filles dans les régions défavorisées en collaboration avec Dis-Moi et l’Ombudsperson for Children. Nos DPP précédents se prenaient pour des dieux cachés, Satyajit Boolell communique, rencontre les défenseurs des droits humains et fait son travail du mieux qu’il peut. Mais là aussi il est tributaire du travail de la police, de ces enquêtes souvent mal ficelées, soit par incompétence ou pire, par cynisme. Car si la CCID doit travailler en théorie pour faire éclater la vérité, notre CCID enquête elle parfois pour masquer la vérité. Et je suis poli.

Quelle est votre opinion citoyenne sur l’Affaire Kistnen et du travail des Avengers?
Je ne prétends pas y connaitre grand-chose à part ce que je lis dans la presse et ce que j’entends de Jahangi et vous savez maintenant ce que je pense de lui! Au-delà des theatricals de Valayden et de l’agenda politique de Bhadain, il y a évidemment plusieurs choses qui choquent les citoyens dans cette affaire. Mais les conférences de presse quasi quotidiennes des avocats me gênent. Et ce nom de Avengers aussi. Cela fait trop bande dessinée et pour moi dans la justice, il n’y a pas de vengeance sinon je croirais en la peine de mort...

Vous nous avez dit au début que vous vous concentrez sur la région océan Indien. Pouvez-vous nous donner des détails de ce que vous faites?
Je préfère pas. Vous savez Dis-Moi est un vaste chantier à présent et en général, les chantiers ne sont pas attrayants. Attendons le produit fini dans 2-3 ans et nous en reparlerons.

Une information importante que vous auriez aimée partager pour clore cet entretien.
(Reflexion) Pas vraiment... peut-être le fait que DisMoi et Amnesty International comptent travailler sur des projets communs dans la région Sud Ouest Océan Indien et signeront probablement un Memorandum of Understanding bientôt.Cela me fait particulièrement plaisir car je dis souvent à qui veut m’entendre qu’Amnesty International a été une deuxième université pour moi et je lui en serai toujours reconnaissant.

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