Il n’est désormais plus qu’une question de temps avant que Rezistans ek Alternativ scelle son alliance avec le bloc PTr-MMM-Nouveaux Démocrates. Une position qui suscite son lot de commentaires, aussi bien dans l’opinion publique que parmi les gauchistes de la première heure.
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Pour la première fois dans son histoire, Rezistans ek Alternativ (ReA), bastion de la gauche radicale à Maurice, semble prêt à franchir un pas décisif en s’engageant dans une alliance avec le Parti travailliste (PTr), le Mouvement militant mauricien (MMM) et Nouveaux Démocrates (ND). Cette décision marque un tournant majeur pour un parti qui a toujours défendu une vision alternative, et qui s’est souvent positionné en opposition aux forces politiques dominantes du pays.
L’accord de principe d’attribuer trois tickets à ReA dans cette coalition a été accepté par Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, ce qui scelle quasiment l’entrée du parti dans cette alliance. Cette situation suscite des interrogations profondes sur la direction que prend le parti. Ainsi que sur les tensions potentielles entre ses principes fondateurs et les réalités politiques actuelles (voir aussi l’interview d’Avinaash Munohur en pages 6-7).
ReA s’est forgé une identité en étant l’antithèse des partis politiques traditionnels. Son engagement dans une alliance avec le PTr, le MMM et ND, des partis enracinés dans le système qu’il a longtemps critiqué, soulève des questions sur la cohérence idéologique de cette décision. Cette alliance représente-t-elle une opportunité stratégique pour faire avancer les causes portées par le parti ? Ou est-ce un compromis qui dilue son identité politique ? Les dirigeants de ReA, tels qu’Ashok Subron et Kugan Parapen, ont insisté sur le fait que la base du parti a approuvé cette décision. Pourtant, cette alliance avec des formations politiques qu’ils ont souvent combattues semble provoquer des dissensions.
La gauche mauricienne est traditionnellement fragmentée, avec plusieurs groupes et individus gravitant autour de ReA sans nécessairement en faire partie. Pour certains militants de gauche, la démarche de ReA s’éloigne des principes fondateurs du parti. En effet, après le premier confinement en 2020, une réflexion avait été lancée pour unifier les forces de gauche sous une bannière commune, notamment à travers le Kolektif Konversation Solider, qui visait à créer une alternative crédible au gouvernement en place. Cependant, les manifestations citoyennes de 2020 et 2021, menées par Bruneau Laurette et dans lesquelles ReA a joué un rôle crucial, ont changé la donne.
La proposition faite, par la suite, par ReA de discuter avec les partis politiques traditionnels n’a pas été unanimement accueillie au sein des forces de gauche, ce qui a conduit à la désintégration du Kolektif Konversation Solider. Des acteurs clés du collectif, tels que l’avocat Dev Ramano, avaient milité pour une coalition des forces de gauche, incluant des organisations comme Lalit, Jack Bizlall, Rajen Valayden, entre autres.
Mise en garde
Si Dev Ramano refuse de commenter directement l’alliance de ReA avec le PTr-MMM-ND, il tient cependant à mettre en garde contre le recul des idéaux de gauche à l’échelle mondiale, un phénomène qui semble, selon lui, toucher aussi Maurice, notamment à travers cette association de ReA avec le bloc de l’opposition parlementaire. Cependant, il reste convaincu que ce n’est qu’une phase passagère. « Personne ne peut tuer la gauche ; les choses finiront par se remettre en place », affirme-t-il.
Jack Bizlall, ancien député et figure phare de la gauche mauricienne, partage un avis similaire. Il souligne que les partis révolutionnaires sont en déclin dans de nombreux pays, citant la Russie, la Chine, et même la France, où Jean-Luc Mélenchon a également formé une alliance avec des partis « mainstream ». Pour Jack Bizlall, l’exemple français illustre les défis auxquels la gauche est confrontée, même si des mouvements comme La Lutte Ouvrière continuent de résister.
L’entrée de ReA dans une alliance avec des partis traditionnels pourrait bien redéfinir le paysage politique mauricien. Au sein du parti, on avance que ce choix stratégique pourrait permettre de peser davantage sur les débats électoraux et de faire avancer certaines de ses propositions. C’est pourquoi lors des premières rencontres avec Paul Bérenger et Navin Ramgoolam, ReA a d’abord insisté sur l’importance de discuter du programme. La question des tickets, précise-t-on, a été dans un premier temps reléguée au second plan, au profit de l’importance de présenter un programme solide.
Certes, le parti de gauche a dû faire marche arrière sur certains points, comme la proposition de créer un gouvernement de transition en cas de victoire aux prochaines élections générales. L’on tient cependant à faire ressortir que d’autres propositions, chères aux convictions profondes de ReA, ont été acceptées par les deux leaders de l’alliance. Inscrire la protection de la nature dans la Constitution, la « décommunalisation » de la Constitution et du système politique, ainsi que la lutte des classes, sont autant de points sur lesquels l’alliance PTr-MMM-ND a consenti, ce qui représente un développement majeur dans le combat du parti de gauche.
Syndicalisme et politique
Alain Kistnen, secrétaire de l’Union of Bus Industry Workers (UBIW) et membre exécutif de la General Workers Federation (GWF), dont fait également partie Ashok Subron, tient d’abord à souligner qu’il ne s’agit pas d’une situation véritablement inédite. Il rappelle que Paul Bérenger a également été un dirigeant de la GWF dans les années 70, ce qui, selon lui, montre que le syndicalisme et la politique sont intrinsèquement liés. Pour Alain Kistnen, ReA a, tout au long de son existence, œuvré pour plusieurs causes nobles tout en restant en dehors du système.
« Je comprends donc que ce parti veuille, à un moment de son histoire, faire avancer ses causes au Parlement, et je peux dire que tous les points sur lesquels Rezistans ek Alternativ s’entendra avec le PTr, le MMM, et ND seront consignés dans un programme officiel », explique-t-il.
L’association d’Ashok Subron avec la GWF implique-t-elle implicitement que toute la GWF soutiendra la décision de ReA ? À cette question, Alain Kistnen répond que la GWF regroupe des milliers de membres avec des sensibilités politiques distinctes, et que chacun est libre d’avoir ses propres convictions politiques.
L’ancien éditorialiste et observateur politique Yvan Martial fait, pour sa part, ressortir que cette alliance qui se profile entre ReA et le PTr-MMM-ND est le résultat d’un système politique et électoral vicié dont Maurice a hérité depuis 1959, lorsque le PTr avait refusé d’intégrer le principe de la proportionnelle dans la Constitution, ce qui a ainsi laissé place au système du First past the post à Maurice. Yvan Martial fait remarquer que si ce système électoral fonctionne bien en Angleterre, c’est cependant une autre affaire à Maurice, d’où la bipolarisation de la politique sur l’île.
Commentant les concessions auxquelles ReA devra consentir en cas d’élection, Yvan Martial soutient que les membres de ce parti ne se laisseront jamais manipuler par Navin Ramgoolam et Bérenger. Que pense-t-il du soutien de la base électorale de ReA dans une alliance avec le PTr-MMM-ND ? Yvan Martial répond que si la base veut réellement faire partie du gouvernement, elle sera alors obligée de déployer les efforts nécessaires pour atteindre cet objectif.
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