Le Dr Vasantt Jogoo n’y va pas de main morte. Les ‘smarts cities’ ne seraient qu’un grand bluff, selon lui. Il dénonce la mainmise du secteur privé sur ce projet et estime que le gouvernement devrait en reprendre le contrôle.
[blockquote]« Je pense que chaque ministre a son propre agenda. »[/blockquote]
En tant qu’urbaniste et environnementaliste, que pensez-vous du projet de ‘smart cities’ annoncé par le gouvernement ?
Mon premier constat c’est que ce projet se fait dans une grande opacité. Pour moi, ce n’est ni plus ni moins qu’un grand bluff.
Pourquoi dites vous cela ?
Le concept de ‘smart city’, tel qu’il est prôné actuellement, est contraire au ‘smart development’. Toute la population aurait dû être impliquée dans le processus de prise de décision. N’importe quel Mauricien vous dira qu’il ne sait pas de quoi il en retourne. Quand on parle de ‘city’, on pense à de grandes villes, on imagine Dubayy, Singapour. Pour le Mauricien moyen, la perception c’est que nous deviendrons une cité/état. Les images-prétextes utilisées pour vendre cette idée ne sont pas réalistes.
Le gouvernement aurait-il mis les charrues avant les bœufs ?
‘Pena ni charet, ni bef, ni nanyen !’ L’idée a germé et le gouvernement est venu avec des effets d’annonce, avec un package d’incitations économiques et fiscaux. Ce ne sont que les gros propriétaires fonciers qui bénéficieront du projet. Avant, il y avait les ‘Integrated Resort Schemes’, maintenant il y a les ‘smart cities’. C’est un leurre.
Un leurre ? Vous y allez fort ?
On est en train de changer la morphologie du territoire. Le Mauricien a le droit de le savoir. On prévoit une population importée de 150 à 300 000 personnes. En 2003, Maurice s’était portée candidate quand la Banque africaine de développement cherchait un pays pour accueillir ses quartiers généraux. Mais par la suite, le gouvernement avait décidé de se retirer, avec juste raison, de cette course, car le pays aurait dû accueillir quelque 1 200 familles. On n’était pas prêt pour ce chamboulement démographique. Maintenant, on parle de 300 000 personnes ! Il n’y a eu aucune étude sur l’impact qu’aura cette ouverture sur le pays. A-t-on pensé que parmi ces 300 000 personnes, certaines pourront prétendre à la nationalité mauricienne avec leurs apports financiers ? Donc, elles auront le droit de voter. Imaginez le profil des circonscriptions et le découpage électoral.
Mais encore ?
On nous a dit que ces ‘cities’ seront autonomes. Qu’est-ce que cela veut dire ? Un état dans un état ! Ils vont outrepasser la démocratie mauricienne. Quel sera leur statut ? Ce sont des questions auxquelles personne ne répond. De plus, il y aura trois ‘smart cities’ dans un périmètre de 15 kilomètres, à Mer-Rouge, Port-Louis et Domaine Les Pailles. C’est impensable.
Le manifeste électoral du Mouvement socialiste militant (MSM) dit que l’aménagement du territoire sera le pivot du développement durable… ?
Exactement. Je me demande si les dirigeants ont lu et compris cette partie du programme ! Manifestement, à l’intérieur de mon parti, il y a certains qui ne sont pas sensibles aux préoccupations nationales. Je dois admettre qu’après 14 mois au pouvoir, le MSM n’a toujours pas compris ce qu’il a vendu à la population.
En avez-vous parlé aux dirigeants ?
Bien sûr.
Quelle a été leur réaction ?
Ils se sont tous trop engagés pour reculer. Je pense que chaque ministre a son propre agenda. C’est la cacophonie causée par un manque de planification. D’un côté, le Premier ministre et le ministre de l’Environnement sont allés plaider en faveur de notre vulnérabilité écologique à New York et à Paris ; de l’autre, on parle de développement béton ! Impensable. On avait commencé avec sept ‘smart cities’ pour finalement arriver à plus d’une douzaine. Maintenant on parle de Heritage City. On n’a pas pensé que Port-Louis allait se vider de 60 000 âmes.
D’où le ‘Port-Louis smart city’ ?
Exactement. Ce qui renforce ma thèse de manque de planification et de plan d’ensemble.
Donc le gouvernement a péché par manque de rigueur ?
La planification est la responsabilité du gouvernement dans n’importe quel pays. Ici, le gouvernement a privatisé cette fonction. Il a mis des représentants du secteur privé dans le ‘driver’s seat’. J’estime que c’est dangereux car la planification est liée à la politique et concerne aussi les valeurs foncières.
Des architectes ont été invités à consulter le projet…
Pourquoi uniquement les architectes ? Pourquoi pas les urbanistes ? Pourquoi pas les membres du public ? Port-Louis, c’est quand même 200 000 personnes. Elles sont toutes concernées.
Ne seriez-vous pas motivé par un sentiment de frustration dans vos déclarations ?
Bien sûr que non. Je ne fais que constater la mainmise de certaines personnes sur certaines institutions.
Par exemple ?
La State Land Development Company, le Construction Industry Development Board…
C’est pourtant le MSM qui y a nommé les responsables ?
À croire que le MSM n’avait plus personne dans son parti. Avant les élections, on parlait de valeurs sûres, après plus rien.
Est-ce parce que vous n’avez pas été retenu pour ces postes ?
Je n’ai rien à y gagner ou à y perdre. Je suis un professionnel ; je suis consultant pour la Banque mondiale. Je suis assez occupé. Mais en tant que citoyen, je dénonce la concentration du ‘policy-making’ entre les mains de certaines personnes du secteur privé. ‘Policy-making is government business’. Allez voir ce que fait l’Inde. C’est le gouvernement et non le secteur privé qui contrôle le projet d’y implanter 100 ‘smart cities’.
Si le gouvernement vous écoutait, que devrait-il faire maintenant ?
Il n’est pas trop tard. Tout n’est encore qu’au stade de projet. Le gouvernement doit reprendre le contrôle des ‘smart cities’ et venir avec un plan d’aménagement du territoire. Il doit décider du modèle de développement le plus approprié pour Maurice. Il suffit de quelques heures de pluies pour que les écoles ferment, les ronds-points deviennent impraticables et des maisons soient inondées. Il y a un gros travail à faire.
Vous n’appréhendez pas des représailles suivant vos propos ?
Non. Pravind Jugnauth est très réceptif, malheureusement il n’est pas au gouvernement. Il a les mains liées. Il y a une médiocrité qui s’est installée au sein de nombreuses institutions.
Comment voyez-vous votre avenir politique à partir de maintenant ?
Je ne suis pas entré en politique pour un intérêt personnel et encore moins pour les quelque Rs 25 000 qu’on donne pour la présidence d’un ‘board’. Je suis entré dans la politique active car j’ai pensé qu’après une carrière bien remplie, je pouvais donner de mon temps et de mon expérience à mon pays. J’y crois toujours.
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Un spécialiste du développement urbain
âgé de 65 ans, le Dr Vasantt Jogoo est marié et père de trois enfants. Il a débuté sa carrière en tant qu’Educational TV Presenter pour le compte du ministère de l’éducation. Il a, par la suite, fait des études de géographie en Inde, avant de se spécialiser à la Sorbonne et à l’Institut d’urbanisme de Paris. Il détient aussi un doctorat en ‘Environmental Planning’ des états-Unis. Il a travaillé au ministère du Logement, à la Banque africaine de développement et au Commonwealth Secretariat. Il a également été adjoint au maire de la municipalité de Quatre-Bornes en 1995, sous la bannière du MMM. Il est présentement membre du MSM. <Publicité
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