Coups bas, fake news, vidéos truquées… Christina Chan-Meetoo, chargée de cours en communication à l’Université de Maurice, dit qu’il faudra s’attendre au pire lors de la campagne électorale à venir. Si la campagne sur Internet prend de l’essor, elle estime que les partis politiques n’abandonneront pas pour autant les méthodes traditionnelles.
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À l’ère numérique, pensez-vous que les partis politiques seront contraints d’introduire une campagne 2.0 ?
Les partis ne seront pas contraints mais je dirais qu’ils le feront tous, car c’est quelque chose de naturel. D’ailleurs, certains le font déjà. Qui n’est pas connecté aujourd’hui ? Qui ne cherche pas à avoir des informations sur le net ? Donc, la question ne se pose pas, mais chacun va avoir son propre style et sa propre version afin de se démarquer de ses adversaires et chercher l’innovation qui va pouvoir accrocher l’audience.
Comment se démarquer justement ?
Si j’avais la recette, je serais riche! (rires) Je pense que personne n’a la bonne formule. En 2014, la vidéo « virer mam» avait fait le buzz, car la conjoncture était différente. Les gens voulaient du changement et cette vidéo – malgré son montage rapide avec des sons et des images ajoutés ça et là – avait accroché les électeurs. Mais ce serait une erreur si les partis politiques fassent la même chose cette année, car les gens ont évolué. Les partis politiques doivent revenir sur la substance, car les politiciens vont être jugés sur leurs actes et les faits.
Quel va être le poids d’une campagne 2.0 ?
C’est difficile à dire, car aucune étude n’est capable de mesurer le poids d’un seul facteur en isolation. Mais ce qui est intéressant avec les médias en ligne, c’est qu’il n’y a pas d’intermédiaires entre le contenu et l’audience. Dans les médias traditionnels, le contenu peut être «difformé » pour une raison ou une autre avant sa diffusion. Alors qu’avec une campagne 2.0, les gens vont avoir accès aux contenus tels quels. Cela dit, j’estime que les partis auront toujours recours aux médias traditionnels tout en assurant une visibilité en ligne.
Comment envisagez-vous la façon dont se fera la campagne électorale ?
Il faudra s’attendre à une campagne ave beaucoup de coups bas de toutes parts. L’avènement des réseaux sociaux va aussi amplifier cela, car tout va tellement plus vite en ligne. Les politiciens vont ainsi devoir faire preuve de beaucoup de maîtrise, mais je n’ai aucun doute que ce sera une vilaine campagne ! Il faudra s’attendre au pire cette fois-ci.
N’empêche que c’est un moyen de toucher plus d’électeurs, car les Mauriciens assistent de moins en moins aux meetings. N’est-ce pas ?
Certainement ! Ce n’est non seulement un moyen de toucher plus de gens mais aussi de le faire plus rapidement, surtout sur Facebook. Aujourd’hui, les partis politiques ont même leurs propres vidéographes qui utilisent tant les smartphones que les caméscopes. Certains partis n’hésitent à pas se payer les services d’un vrai caméraman. Dans la foulée, les partis auraient pu faire une utilisation optimale des réseaux sociaux en organisant des émissions en ligne pour débattre sur divers thèmes.
Il ne suffit pas de réunir quelques mandants, leur donner la parole et d’interagir et appeler cela un forum-débat interactif. "
Pensez-vous qu’une campagne 2.0 va permettre de réduire les dépenses électorales ?
Il est vrai que cela coûte moins cher. Le coût pour atteindre une personne en ligne est beaucoup moins, mais je ne pense pas que cela va réduire les dépenses électorales, car les partis vont toujours dépenser beaucoup d’argent pour assurer le déroulement des activités traditionnelles telles que les « bases », entre autres.
Y-a-t-il un besoin pour les partis de réinventer la façon de faire leur campagne?
Vous savez, la communication n’est pas une baguette magique. La bonne communication se reflète dans la façon de faire de la politique. Si cette dernière est faite correctement, il est logique que la communication va être de bonne qualité. Mais j’estime qu’il est important d’avoir une évolution au niveau des messages que veulent transmettre les partis politiques. Le contenu doit avoir une certaine dose de rationalité et du concret. Idem pour la communication en ligne où un simple post sur les réseaux sociaux peut amener l’audience à réfléchir et à faire sa propre analyse. Toujours au niveau de la communication, il ne faudrait pas que les manifestes électoraux des partis politiques disparaissent après la tenue des élections.
Qui dit publication et post en ligne, dit aussi fake news. Comment rester à l’écart de ce phénomène, surtout en période électorale ?
Malheureusement, c’est un des plus gros problèmes auxquels sont confrontés les pays démocratiques. Et je peux vous assurer qu’il y aura beaucoup de fake news en cette période de campagne électorale, notamment à travers des montages-vidéos. Il n’existe aucun moyen pour en rester à l’écart si ce n’est une vérification rigoureuse des informations postées sur le Net. Le fact checking aura toute son importance. Mais nous avons aujourd’hui une audience plus intelligente et avisée qui cherchera à vérifier et à contre-vérifier toute information portée à son attention.
La publication en ligne des vidéos partisanes a déjà commencé et va peut-être se multiplier à l’approche des élections. Cela peut-il influencer le choix des électeurs ?
Pour les die-hards, cela ne fera aucune différence. D’un côté, ces vidéos vont créer un « feel good factor », de l’autre un « feel bad factor ». Mais ce sont sur les «indécis» que de telles vidéos peuvent avoir le plus d’effets. D’ailleurs, c’est ce type d’électeurs qui généralement décident de l’issue d’une élection. Cependant, tout va dépendre du contenu de ces vidéos. Personnellement, je pense que le choix des électeurs va être plus influencé par la qualité des candidats, de leurs promesses et des événements qui pourront avoir lieu avant la tenue des élections. En politique, tout peut arriver. Il suffit d’un scandale ou d’une révélation pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
Quelques partis se sont lancés dans la tenue de forum-débats interactifs. Est-ce le futur dans la façon de communiquer avec les mandants ?
Il faut faire la distinction entre les forum-débats interactifs et les congrès. Il ne suffit pas de réunir quelques mandants, leur donner la parole et d’interagir et appeler cela un forum-débat interactif. Un vrai forum-débat doit être bien structuré en ayant un modérateur, une audience et réunir tous les candidats de ce parti. Il est vraiment dommage qu’à Maurice il n’y a jamais de vrais forum-débats d’idées. Mais cela reflète en partie notre système éducatif qui n’est pas articulé autour d’échanges d’idées et de débats. La société a évolué et il possible de tenir des débats, voire des micro-débats, même sur les réseaux sociaux sans pour autant tomber dans l’injure et la confrontation.
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