
À 29 ans, Lisa Ah Shee Tee, docteure en biologie marine, se consacre à la conservation marine. Spécialisée dans la diversité des mollusques et la connectivité génétique, elle pilote des projets à Reef Conservation. Elle se prête au jeu des questions de Le Dimanche/L’Hebdo à l’occasion de la Journée internationale des femmes.
Publicité
Si vous pouviez remonter le temps, quel message adresseriez-vous à la jeune fille que vous étiez avant de vous lancer dans les sciences ?
Je lui dirais de ne jamais douter de sa capacité à changer les choses. Les défis seront nombreux, mais chaque obstacle est une opportunité d’apprendre et de grandir. Suis ta passion sans peur et laisse chaque étape t’inspirer à aller plus loin.
Quelle est la découverte ou l’innovation qui a changé votre regard sur votre propre domaine ?
La prise de conscience de l’interconnexion entre les écosystèmes marins, terrestres et humains, a changé ma vision de la conservation. Cela m’a appris que pour être vraiment efficace, il faut une approche intégrée où tout est lié et chaque action compte.
Avez-vous déjà ressenti le syndrome de l’imposteur dans votre parcours scientifique ?
Oui, j’ai parfois ressenti le syndrome de l’imposteur, surtout après avoir atteint des objectifs importants comme recevoir des bourses ou des reconnaissances.
Comment l’avez-vous surmonté ?
Il m’arrivait de me demander si je méritais vraiment cela. Mais je me suis rappelée que si d’autres croyaient en moi et m’offraient ces opportunités, c’était parce qu’ils voyaient quelque chose que je ne voyais pas encore. Cette prise de conscience m’a permis de croire en mes capacités et de continuer à avancer en sachant que j’avais ma propre voie à tracer.
Si votre métier devait être résumé en un objet du quotidien, lequel serait-ce et pourquoi ?
Ce serait une lentille parce qu’elle permet de voir les choses sous un autre angle. Mon travail consiste à changer la perspective des gens sur la conservation en leur faisant comprendre l’importance des différents écosystèmes et leur interconnexion.
On ne me demande jamais : ‘Qu’est-ce que tu aurais aimé savoir plus tôt ?’ J’aurais aimé savoir que ma voix et mes idées comptent, même quand je doute»
Quel stéréotype ou préjugé sur les femmes dans les sciences vous agace le plus ?
Ce qui m’agace le plus, c’est l’idée selon laquelle les femmes ne sont pas aussi présentes ou capables que les hommes dans des rôles de terrain ou de leadership, notamment dans le domaine scientifique. Bien que les femmes en sciences à Maurice continuent de briller, il reste des perceptions qui les limitent.
Je réponds à cela en mettant en avant mon engagement dans la conservation marine, en travaillant avec les communautés locales et en prouvant que la passion et l’expertise ne sont pas liées au genre. Chaque contribution, grande ou petite, participe à transformer la perception de la place des femmes dans les sciences.
Quelle est la question que l’on ne vous pose jamais, mais à laquelle vous aimeriez répondre ?
On ne me demande jamais : « Qu’est-ce que tu aurais aimé savoir plus tôt ? » J’aurais aimé savoir que ma voix et mes idées comptent, même quand je doute. Que l’impact ne se mesure pas uniquement en grands résultats visibles, mais aussi dans les petites avancées et les esprits que l’on aide à changer. Et que persévérer, même dans l’incertitude, finit toujours par porter ses fruits.
Si vous pouviez dîner avec une femme scientifique vivante ou disparue, qui choisiriez-vous et que lui demanderiez-vous ?
Je choisirais une scientifique de terrain, une femme qui a travaillé directement avec les communautés pour changer leur regard sur la conservation. Je lui demanderais comment elle a réussi à créer un véritable impact, quelles erreurs elle a faites et ce qu’elle ferait différemment. Parce qu’au-delà des découvertes, ce qui m’intéresse, c’est comment transformer la science en action concrète.
Votre travail vous a-t-il déjà amenée à vivre une situation insolite ou inattendue ? Racontez-nous !
Dans mon travail, il y a toujours une part d’imprévu : des rencontres inattendues aux découvertes surprenantes en mer, en passant par des échanges enrichissants avec les communautés… Ces moments spontanés rendent chaque journée unique et me rappellent pourquoi j’aime tant ce que je fais.
Si une jeune fille hésite à se lancer dans votre domaine, que lui diriez-vous pour l’encourager ?
N’attends pas que quelqu’un te donne ta place, prends-la. La science et la conservation ont besoin de regards nouveaux, de voix audacieuses et de femmes qui osent. Tu es capable, tu as ta place et tu peux apporter un vrai changement. Fonce !
Si vous deviez décrire votre métier en une phrase qui intrigue et donne envie, laquelle serait-ce ?
Mon travail consiste à explorer les océans, à révéler leur richesse et à encourager les autres à préserver ce qu’ils ont de plus précieux.
Quelle invention devrait exister pour faciliter la vie des femmes au quotidien ?
Un système de gestion de l’énergie personnelle, voire quelque chose qui aide à optimiser à la fois l’énergie physique et mentale, notamment en suivant et en équilibrant l’utilisation de notre temps et de nos ressources tout au long de la journée. Cela permettrait de ne pas s’épuiser tout en poursuivant nos passions et nos responsabilités.
La science et la conservation ont besoin de regards nouveaux, de voix audacieuses et de femmes qui osent»
Si vous deviez nommer un élément du tableau périodique en l’honneur d’une femme, quel serait son nom et pourquoi ?
Je choisirais « Franklinium » en l’honneur de Rosalind Franklin. Son travail fondamental dans la découverte de la structure de l’ADN a été essentiel pour notre compréhension de la génétique et son impact va bien au-delà des laboratoires de biologie moléculaire.
Aujourd’hui, grâce à cette découverte, nous utilisons l’ADN pour surveiller la biodiversité, détecter des espèces menacées et suivre la santé des écosystèmes notamment à travers l’ADN environnemental (eDNA). Son héritage continue d’être un pilier pour des techniques de conservation modernes et non invasives qui aident à préserver notre planète.
Quelle expérience scientifique résume le mieux le fait d’être une femme aujourd’hui ?
La loi de la flottabilité : peu importe la pression exercée, une femme forte et compétente trouvera toujours un moyen de remonter à la surface.
Dans votre domaine, quelle serait la plus grande découverte : l’égalité salariale ou une percée révolutionnaire ?
Dans mon domaine, tant l’égalité salariale que la découverte scientifique révolutionnaire seraient des avancées majeures. L’égalité salariale permettrait de créer un environnement de travail plus équitable et inclusif, favorisant ainsi l’innovation et attirant des talents divers. D’un autre côté, une percée scientifique, comme des avancées dans la conservation de la biodiversité ou la restauration des écosystèmes, aurait un impact mondial durable.
Idéalement, ces deux éléments vont de pair : un environnement équitable stimule l’innovation et le progrès nécessaire pour relever les défis mondiaux.
Si vous deviez expliquer l’égalité hommes-femmes avec une loi scientifique, laquelle choisiriez-vous ?
La troisième loi de Newton : toute action entraîne une réaction égale et opposée. L’égalité devrait être un équilibre où chaque talent est reconnu et valorisé.
Quel superpouvoir scientifique rêveriez-vous d’avoir pour affronter les défis du quotidien ?
Le pouvoir scientifique de respirer sous l’eau pour mieux explorer, comprendre et protéger les océans.
Si on remplaçait les stéréotypes de genre par des formules mathématiques, à quoi ressemblerait l’équation parfaite ?
Compétence + Opportunités = Réussite (sans facteur genre).
Quelle est la plus grande expérience sociale à laquelle vous avez participé en tant que femme scientifique ?
Je dirais que ce sont les échanges avec les communautés côtières : montrer que les femmes ont un rôle clé dans la conservation et peuvent être des leaders du changement. Lors de mon voyage à Madagascar, j’ai été particulièrement impressionnée par la manière dont les femmes sont mises en avant dans les zones marines gérées localement. Elles dirigent les groupes de conservation sans que leur genre soit perçu comme un obstacle, ce qui démontre leur leadership naturel et leur engagement dans la gestion durable des ressources marines.
Quel objet scientifique symbolise le mieux la place des femmes dans la société aujourd’hui ?
Un microscope : nous avons toujours été là, mais il faut parfois un regard attentif pour voir notre contribution. Tout comme un microscope permet de révéler des détails invisibles à l’œil nu, les femmes, en particulier dans le domaine scientifique, apportent des contributions fondamentales qui méritent d’être reconnues et mises en lumière. Ce symbole rappelle que malgré les défis, leur présence et leur impact sont essentiels pour le progrès de la société.
Quelles mesures pourraient être mises en place pour protéger les femmes des agressions et leur permettre de vivre pleinement dans l’espace public en toute sécurité et sans crainte ?
Je suis en faveur de lois plus strictes, une meilleure éducation sur le respect mutuel et des dispositifs de sécurité intégrés dans l’espace public.
Pour conclure cet entretien, quel est votre message à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes 2025 ?
Les sciences ont besoin de plus de femmes, et le monde a besoin de plus de femmes en sciences. Osez, croyez en vous et suivez votre passion !

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !