
Après 41 ans dédiés à la police mauricienne et à la sécurité routière, dont 20 à la Traffic Branch, le légendaire « Inspecteur Matar » part en congé préretraite. Il laisse une empreinte forte et un surnom iconique.
Nasif Joomratty
Le samedi 26 avril 2025, alors que Maurice disait un dernier au revoir au pape François, une autre figure s’est effacée discrètement : Ashok Muttur, le légendaire « Inspecteur Matar », est parti en congé préretraite. Après 41 ans de dévouement dans la police mauricienne, dont 20 à la Traffic Branch, le surintendant de police (SP) tire sa révérence, non sans laisser une empreinte indélébile sur nos routes et dans les cœurs des Mauriciens.


Depuis une dizaine d’années, Ashok Muttur était la voix de la Traffic Branch, rôle qu’il a pleinement assumé après le départ de Ben Buntipilly, puis la retraite de Barlen Munisamy en 2022, intervenant régulièrement dans les médias pour informer les usagers de la route. Le SP affirme avoir pris un réel plaisir à informer les automobilistes sur Radio Plus et d’autres médias. « Sa ti vinn natirelman pou mwa koze explik sitiasion larout », explique-t-il.
Le SP Ashok Muttur ne cache pas sa fierté concernant le surnom qui lui a été attribué par les radios et le public mauricien : « Sa finn vinn enn ‘branding’ pou mwa. Kot mo ale dimounn dir ‘Inspekter Matar’. Mem mo sirintandan, zame mo’nn santi mwa rabese », confie-t-il à Le Dimanche/L’Hebdo.
Il faut dire que sa passion pour la sécurité routière puise ses racines dans une histoire profondément personnelle. Issu d’une famille modeste de Beau-Bassin, où il a grandi, Ashok Muttur a vu sa vie basculer en 1983. Cette année-là, son père, chauffeur d’autobus, est décédé après une longue année de convalescence, victime d’un accident survenu au volant. « Sa finn vinn enn determinasion pou mo karyer », confie-t-il. Ce drame familial a été le moteur de son engagement professionnel et a nourri sa vocation pour la sécurité routière.


À l’époque, Ashok Muttur était collégien en Lower VI. Contraint d’abandonner ses études, il raconte : « Mo ti al fer mekanisien, apre lerla mo’nn resi fer HSC. » Son diplôme d’études secondaires en poche, il rejoint d’abord la prison comme gardien en 1985, avant de saisir l’opportunité d’intégrer la police une année plus tard.
C’est dans les rangs de la Special Mobile Force (SMF) qu’Ashok Muttur fait ses premiers pas. Après environ sept années d’engagement, il réussit les examens pour atteindre le rang de sergent de police en 1993 et est affecté à la Western Division, dans divers postes. En 2001, il devient inspecteur. Une année plus tard, en 2002, il intègre la Traffic Branch, où il peut enfin concrétiser sa passion pour la sécurité routière.
Il était l’un des Riders de la Traffic Branch qui utilisait les puissantes motos de la police. Ashok Muttur se décrit comme un homme de terrain, peu enclin au travail de bureau : « Zame mo ti pou kav travay asiz dan enn biro. Mo personalite koumsa, mo enn homme de terrain. »
Au fil de ses 41 années dans la fonction publique, il gravit les échelons un à un. « J’ai énormément appris auprès de mes aînés, mais aussi grâce aux nombreuses formations internationales auxquelles j’ai eu la chance de participer », souligne-t-il. Parmi ces formations, une en particulier sur le trafic routier, à Singapour, l’a profondément marqué : « J’ai eu l’opportunité de côtoyer le Professeur Gopinath Menon, une référence du ‘Trafic Management’. »
Les moments marquants d’une carrière
Le point culminant de sa carrière fut sans doute sa rencontre, en 2019, avec le pape François lors de sa visite à Maurice. Le policier avait reçu une amulette du souverain pontife, un souvenir qu’il chérit particulièrement : « Sa amilet lepap-la res dan mo iniform ziska zordi. »
Outre le pape François, Ashok Muttur a eu l’occasion de côtoyer plusieurs chefs d’État de premier plan : le Premier ministre indien Narendra Modi, le président chinois Hu Jintao et la ministre indienne Sushma Swaraj. En tant qu’acteur clé de la Traffic Branch, il a souvent assuré le rôle de « Pilot Car » dans les cortèges officiels des VVIP, servant d’éclaireur en tête des convois.

Les déplacements officiels des grands chefs d’État représentaient d’importants défis logistiques, raconte-t-il. En février 2009, lors de la visite du président chinois Hu Jintao, des modifications substantielles des infrastructures routières avaient été nécessaires pour assurer la sécurité du dignitaire. « Nous allions sensibiliser les gens sur pourquoi il fallait retirer le pont ou supprimer les dos-d’âne sur certaines
routes », se souvient-il, évoquant notamment des difficultés rencontrées avec certains habitants de Palma, à Quatre-Bornes.
Sa carrière a également connu des moments sombres. Les inondations meurtrières du 30 mars 2013, qui avaient fait 11 morts, restent l’un des épisodes les plus difficiles qu’il ait eu à affronter. Responsable du trafic routier sur le terrain, Ashok Muttur ne cache pas les nombreux défis auxquels il a dû faire face ce jour-là.
Durant ces situations critiques, bien que la sécurité personnelle soit primordiale, le devoir envers le public reste prioritaire. « Nou oblize fer kitsoz, otan ki posib. Nou kote imin sa », souligne-t-il, rappelant l’importance de l’aspect humain de son métier. « Mem dan bann gran inondasion mo finn touletan enn homme de terrain », affirme-t-il.
Dévoué corps et âme à sa mission, il confie n’avoir jamais établi de frontière entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle : « Peu importe l’heure, j’étais toujours prêt à me rendre sur le terrain. Ena plas momem ti First Police Officer on spot. » Il garde en mémoire les éprouvantes nuits du pèlerinage de Grand-Bassin, où pendant cinq jours, le repos se limitait à 3-4 heures, des moments « challenging » qui témoignent de son engagement.

Une vie de sacrifices
Sa famille se compose de ses deux fils âgés de 30 et 31 ans, de son épouse fonctionnaire au ministère de la Santé, et de sa mère âgée de 81 ans. « Mo mama touzour la, nou res ansam an fami », souligne fièrement le SP Muttur.
Il exprime sa profonde reconnaissance envers son épouse pour les nombreux sacrifices qu’elle a consentis tout au long de sa carrière exigeante : « Je rends hommage à ma femme pour tout ce qu’elle a enduré, notamment pour avoir assumé la grande part des tâches ménagères à la maison. » Il explique avoir cultivé un mode de vie particulier, préparant ses proches à son absence potentielle à tout moment. « Pena konze piblik, week-end nanye. Kouma koltar apele mo ale », résume-t-il.
La police semble être dans le sang de la famille Muttur. L’aîné de ses deux fils avait brièvement suivi les traces professionnelles de son père en intégrant la force policière. « Mo enn garson-la ti fini rant lapolis, me so mama pa kontan akoz bizin travay aswar tro bokou. » Son épouse n’a rien voulu entendre à l’idée que leur fils poursuive dans cette voie. « Sete enn rev pou mwa, me li’nn kite apre akoz li plis anvi al kote legal », confie-t-il. Ashok Muttur ne cache pas sa fierté devant leur réussite de ses deux fils.

« Mo de garson avoka », partage-t-il avec émotion. Une nouvelle page se tourne
En congé préretraite depuis le samedi 26 avril, Ashok Muttur se dit disposé à continuer d’apporter son aide dans son domaine d’expertise, même si ce sera désormais en second plan. « Nul n’a le monopole de la connaissance, mais je peux mettre à contribution mes années d’expérience. »
Il quitte son poste en reconnaissant les nombreux officiers compétents au sein de la Traffic Branch, tout en soulignant le caractère exigeant de ce travail et les sacrifices familiaux qu’il implique. Désormais, c’est une nouvelle vie qui débute pour le SP Muttur qui a porté l’uniforme pendant plus de quatre décennies, laissant derrière lui l’empreinte indélébile de l’« Inspecteur Matar » dans la mémoire collective mauricienne.
SP Mohit Ramma : « Un officier dévoué et proche du public »
Le SP Mohit Ramma a travaillé aux côtés d’Ashok Muttur pendant une douzaine d’années au sein de la Traffic Road Management & Safety Unit. « C’est un officier profondément dévoué, doté d’un véritable talent pour communiquer avec le public », souligne-t-il. Selon lui, Ashok Muttur a su combler avec brio le vide laissé par le départ de Ben Buntipilly. « Aster nou pou bizin rod so ranplasan », ajoute-t-il avec un brin de nostalgie.
De son côté, Ashok Muttur espère que les mesures et les systèmes mis en place continueront à être appliqués, tant qu’ils feront leurs preuves sur le terrain.

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