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Anthony Leung Shing : «Le paiement du 14e mois va créer une illusion de croissance, mais elle n’est pas durable»

Imposer à toutes les entreprises de financer ce 14e mois sans tenir compte de leur situation économique spécifique comporte des risques de distorsion, affirme Anthony Leung Shing, Country Senior Partner chez PwC Mauritius et Deputy Regional Senior Partner chez PwC East Market Area. Ainsi, il estime qu’il est nécessaire de mettre en place un mécanisme de soutien approprié.

Un produit intérieur brut (PIB) gonflé de plus de Rs 36 milliards en 2024. Des recettes surestimées de Rs 16,7 milliards et des dépenses sous-estimées de Rs 5 milliards pour l’année fiscale 2024-2025. Un ajout de Rs 321 milliards à la dette publique en l’espace de dix ans… Le rapport ‘State of the economy’ est jugé « accablant ». Êtes-vous surpris par ces « manipulations » de données ?

Dans le passé, de nombreux économistes avaient déjà souligné des controverses liées aux révisions des méthodes de calcul du PIB, suscitant des débats importants. De manière générale, ces pratiques émergent souvent lorsque des institutions se retrouvent sous pression pour présenter une image plus favorable de la situation. Ce qui est particulièrement préoccupant ici, c’est l’ampleur des révisions mises en évidence dans le dernier rapport State of the Economy.

Cependant, ces analyses doivent être replacées dans le contexte du récent changement de gouvernement. Il est essentiel d’éviter de tomber dans l’excès inverse en dressant un tableau volontairement catastrophique de la situation actuelle, car cela pourrait nuire davantage à la confiance des parties prenantes et compliquer la mise en œuvre des réformes nécessaires.

Une approche équilibrée, fondée sur des faits et une analyse rigoureuse, est cruciale pour restaurer la crédibilité des institutions et garantir une évaluation honnête de l’état de l’économie.

Dans une note d’information, Moody’s fait ressortir que les divergences dans les données économiques vont mettre à mal les efforts d’assainissement des finances publiques du pays. Qu’en pensez-vous ?

Ces incohérences risquent de fausser les politiques budgétaires, d’aggraver les déséquilibres financiers et de rendre les réformes indispensables encore plus complexes à mettre en œuvre. Elles portent également atteinte à la crédibilité du pays auprès des investisseurs et des partenaires internationaux, tout en augmentant potentiellement les coûts de financement.

Le nouveau gouvernement devra relever de nombreux défis pour restaurer la confiance, en instaurant une transparence accrue, en menant des audits indépendants et en renforçant les institutions publiques. L’intégrité et la rigueur dans la gestion des finances publiques seront cruciales pour garantir une trajectoire économique durable et crédible.

Le paiement du 14e mois domine l’actualité ces jours-ci. Pour le secteur privé, le 14e mois représente une somme non-budgétée de Rs 12 milliards. Quelles seront les conséquences de cette promesse électorale sur les entreprises ?

Le paiement du 14e mois pourrait avoir des conséquences importantes pour les entreprises. Cette dépense non budgétée mettra sous pression la trésorerie, particulièrement des PME, augmentant les risques de faillites et freinant les investissements. Certaines entreprises, pour absorber ce coût, pourraient être contraintes de répercuter les charges sur les consommateurs, ce qui risquerait d’aggraver l’inflation. Pour les exportateurs, déjà confrontés à des coûts de production élevés, cette mesure pourrait réduire leur compétitivité sur les marchés internationaux. Bien que le gouvernement ait engagé des consultations avec le secteur privé et proposé des mécanismes comme l’étalement des paiements, cela reste une charge lourde pour certaines entreprises. Qu’adviendra-t-il des entreprises qui, malgré ces ajustements, ne disposent pas des ressources nécessaires pour absorber un tel coût sans compromettre leur viabilité économique ?

Le paiement du 14e mois mettra sous pression la trésorerie, particulièrement des PME, augmentant les risques de faillites et freinant les investissements. Certaines entreprises pourraient être contraintes de répercuter les charges sur les consommateurs, ce qui risquerait d’aggraver l’inflation

Depuis la pandémie, la plupart des entreprises ont renoué avec la profitabilité. Certaines d’entre elles font mieux qu’avant la COVID-19. Est-ce que la question de capacité de paiement se pose vraiment ?

Bien que certaines entreprises aient renoué avec la rentabilité depuis la pandémie, la capacité de paiement du 14e mois n’est pas uniforme à travers le secteur privé. Pour les secteurs encore fortement touchés ou pour les PME, cette dépense exceptionnelle peut fragiliser leur trésorerie. De plus, la rentabilité post-COVID ne garantit pas toujours une liquidité suffisante pour absorber une charge imprévue de Rs 12 milliards. Imposer à toutes les entreprises de financer ce 14e mois sans tenir compte de leur situation économique spécifique comporte des risques de distorsion. Il serait donc important de mettre en place un mécanisme de soutien qui prenne en considération les disparités sectorielles et la santé financière des entreprises, afin d’éviter des conséquences négatives.

Business Mauritius déplore que la masse salariale ait augmenté de 40 % depuis le début de l’année et se dit « consternée » du rajout d’une compensation salariale additionnelle. La fédération déplore aussi l’ingérence du gouvernement dans la politique salariale des entreprises. Vos commentaires ?

L’augmentation de 40 % de la masse salariale, combinée à une compensation additionnelle imposée, compromet la viabilité des entreprises, particulièrement dans un contexte global marqué par une concurrence accrue et des pressions inflationnistes. Des hausses de salaires non corrélées à des gains de productivité posent un risque majeur pour la compétitivité des entreprises mauriciennes sur les marchés internationaux et menacent leur durabilité à long terme. L’ingérence dans la politique salariale limite leur capacité à s’adapter aux réalités économiques, aggravant une situation déjà fragile. Sans une consultation approfondie et une approche concertée, ces décisions risquent d’affaiblir le secteur privé, freiner la croissance et nuire à l’emploi. Un dialogue équilibré et constructif entre le gouvernement, le secteur privé et les partenaires sociaux est essentiel pour concilier objectifs sociaux et impératifs économiques dans un environnement global en constante évolution.

L’ingérence dans la politique salariale limite la capacité des entreprises à s’adapter aux réalités économiques, aggravant une situation déjà fragile…

Il y a une autre école de pensée qui dit que ce n’est pas au gouvernement de payer les salaires du secteur privé avec les fonds publics. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas le rôle du gouvernement de prendre en charge les politiques salariales des entreprises privées, ni d’utiliser des fonds publics pour tenir un tel engagement. Cette approche soulève des questions sur la pertinence de faire une telle promesse électorale, sachant qu’elle impose une lourde charge financière sur le secteur privé, souvent sans concertation. De plus, cela fausse les dynamiques du marché et crée un précédent inquiétant où les entreprises privées, déjà confrontées à des défis économiques, sont contraintes de se conformer à des décisions politiques déconnectées de leur réalité économique. Cela reflète une ingérence gouvernementale mal calculée, qui risque de fragiliser davantage les entreprises et de nuire à leur compétitivité. Une politique salariale doit être réaliste, basée sur les gains de productivité et conçue en collaboration avec toutes les parties prenantes, plutôt que dictée par des considérations électorales.

Le paiement du 14e mois risque d’alimenter la consommation et, par ricochet, d’accentuer l’inflation. Chaque gouvernement est-il condamné à miser sur la consommation pour faire grossir le PIB du pays ?

Miser uniquement sur la consommation pour stimuler la croissance du PIB est une stratégie à court terme qui peut avoir des effets pervers, notamment sur l’inflation. Le paiement du 14e mois, s’il alimente la consommation, risque de renforcer davantage l’inflation déjà élevée, érodant ainsi le pouvoir d’achat à long terme. Cette approche crée une illusion de croissance, mais elle n’est pas durable. Bien que chaque gouvernement ne soit pas condamné à recourir à cette méthode, toute transition vers un modèle plus équilibré sera difficile et exigeante. Une croissance durable repose sur des investissements productifs, l’innovation, l’amélioration de la productivité et l’essor des exportations. Il est donc crucial de dépasser les mesures temporaires pour privilégier des politiques structurelles qui consolident les fondamentaux économiques tout en limitant les pressions inflationnistes.

Ce gouvernement, tout comme l’ancien régime, a pris le parti de mettre à l’écart les salariés touchant plus de Rs 50 000. Pourtant, c’est la catégorie d’employés qui sont les plus productifs et qui contribuent le plus aux impôts et à la Contribution Sociale Généralisée (CSG). Vos commentaires ?

Exclure les salariés gagnant plus de Rs 50 000, comme le fait ce gouvernement et l’a fait l’ancien, reflète une politique inéquitable et à courte vue. Ces employés, parmi les plus productifs, contribuent significativement aux recettes fiscales et à la CSG, soutenant ainsi le système social dans son ensemble. Ignorer leur rôle dans l’économie peut affaiblir leur engagement, augmenter les risques de fuite des talents et compromettre la compétitivité globale du pays. Sur un plan global, cette approche accentue les tensions entre équité sociale et efficacité économique. Une politique équilibrée, qui valorise toutes les catégories de salariés en tenant compte de leur contribution réelle à l’économie, est essentielle pour maintenir une cohésion sociale et une compétitivité durable.

Un dialogue équilibré et constructif entre le gouvernement, le secteur privé et les partenaires sociaux est essentiel pour concilier objectifs sociaux et impératifs économiques…

Certains observateurs craignent un ras-le-bol chez cette catégorie d’employés qui a déjà été exclue de l’exercice de relativité salariale. Ce qui pourrait favoriser un exode de cerveaux. Qu’en pensez-vous ?

À l’international, des pays comme Singapour et les Émirats arabes unis attirent et retiennent les talents en offrant des opportunités de croissance, des conditions de travail attractives et un environnement propice à l’innovation. À Maurice, la fuite des cerveaux n’est pas uniquement liée à la révision salariale, mais aussi à un manque d’opportunités, de perspectives de carrière et d’un écosystème qui inspire confiance et ambition. Pour freiner cette fuite, Maurice doit se positionner comme un centre d’opportunités, de croissance et d’espoir. Cela passe par des politiques qui valorisent les talents locaux, encouragent l’innovation, et créent un environnement compétitif et inclusif. Investir dans des secteurs stratégiques, renforcer l’éducation et favoriser les collaborations public-privé peuvent transformer Maurice en un hub attractif pour les compétences locales et internationales.

Parlons de la Mauritius Investment Corporation (MIC), qui se révèle être une véritable boîte de Pandore. L’audit trail de la Banque de Maurice a révélé que des milliards de roupies ont été accordées à des entreprises proches de l’ancien régime. Comment remettre de l’ordre dans cette institution ?

Pour remettre de l’ordre dans la MIC, un audit indépendant est indispensable pour identifier les abus et responsabiliser les acteurs impliqués. Une transparence accrue, avec des rapports détaillés sur les activités et décisions, est également cruciale pour rétablir la confiance. Cependant, Maurice, avec ses ressources limitées, ne peut se permettre de gérer un fonds souverain comme la MIC. La gestion de tels fonds exige une gouvernance rigoureuse, des ressources importantes et une indépendance politique, ce qui manque actuellement. À moyen terme, la dissolution de la MIC apparaît comme une solution viable. Les fonds publics devraient être redirigés vers des projets structurants et des secteurs stratégiques, avec une supervision renforcée, pour garantir une gestion économique efficace et alignée sur les priorités nationales.

 

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