Les confidences d’Anjali Sabhoo, la compagne de Sachin Tetree, ont choqué plus d’un. Elle relate avec détails le calvaire qu’elle vit depuis plusieurs années. Cependant, nombreuses sont celles qui avoue qu’au nom de l’amour, elles ont préféré souffrir en silence. Faut-il accepter ou dénoncer les violences subies ? Eléments de réponse.
« Il m’a brûlé avec du riz en pleine cuisson. Mo ti kapav inn perdi mo lavi », a confié Anjali Sabhoo au Défi Quotidien, mardi dernier. La compagne de Sachin Tetree ne pouvait plus garder le silence après le meurtre du petit Ritesh Gobin, 11 ans, samedi dernier. C’est au bout d’une dizaine d’années de souffrances qu’Anjali Sabhoo prend enfin son courage à deux mains pour révéler les peines qu’elle subissait. Outre les violences physiques, Anjali subissait aussi des harcèlements verbaux au quotidien. « Dernieman, li tinn dir mwa ki li pou bles mwa, li pou rey mwa ek sab, mo pou al dan sez roulante. Li dir mwa mo pa pou krwar kan mo pou get mwa dan laglas. » Comme Anjali, malheureusement il existe beaucoup de victimes de violences conjugales.
« La violence domestique a différentes formes. Elle peut être économique, physique, verbale mais également psychologique. Ce que nous avons tendance à oublier. Les conséquences sont parfois graves », explique Loga Virahsawmy, qui milite pour l’épanouissement de la femme. Elle tient à préciser que chaque individu a son rôle à jouer au sein d’une société. « Il faut agir très vite pour sauver des vies. Une des solutions se trouve au niveau du quartier : l’environnement ou le voisinage de la victime. La police de la région a également un grand rôle à jouer. » (Voir plus loin).
Influence de la famille
Cependant, il existe plusieurs raisons qui poussent les femmes à ne pas dénoncer la violence de leurs époux ou compagnons. La psychologue-clinicienne, Virginie Bissessur, souligne que « souvent elles confient ne pas vouloir séparer les enfants de leur père. » Selon l’avis de la psychologue « c’est une raison qui comporte beaucoup de problèmes à long terme. Grandir avec un père violent perturbe encore plus les enfants qu'une séparation. » De plus, ajoute-t-elle, il y a aussi « l'influence de la famille, qui avant tout, a le souci du qu’en dira-t-on plus que le bien être de l'épouse ou des enfants. »
La psychologue-clinicienne évoque que l'emprise qu'exercent ces hommes violents sur leurs femmes est alarmante. « Il est cependant très difficile de se défaire de l'emprise surtout quand elle a duré des années. La femme perd la confiance en soi. De plus, elle s’isole, ce qui fait qu’elle est coupée de ses possibilités de recours et ses ressources tant financières que familiales », fait ressortir Virginie Bissessur. Elle précise qu’en général les violences surgissent après le travail de destruction de l'identité de la victime. Il y a aussi la profusion des menaces démesurées. Exemple : « je vais te prendre les enfants ; je vais te tuer. » L'emprise est comme une prise de courant que l'agresseur plante dans la tête de la victime. De ce fait, cette dernière ne pense plus par et pour elle même. Elle pense et n'agit que par rapport aux réactions de l'agresseur, explique la psychologue.
Vanee (25 ans) : «J’ai dû subir car je n’avais nulle part où aller»
Hormis les claques et les coups de pieds, son bourreau l’agressait à coups de bâtons. Une fois, dans un excès de colère, il l'a même tabassé avec une chaise en métal. Pourtant, c’est en silence que Vanee subissait les multiples coups et blessures que son mari l’infligeait continuellement depuis leur mariage en 2011.
Orpheline de père à 16 ans, Vanee quitte la maison de sa mère pour se mettre en couple avec Vikash. Amoureuse de ce dernier, elle se marie avec lui à l’âge de 18 ans. Mais, au fil des jours, elle découvre que Vikash a un penchant pour la bouteille. De plus, il ne travaille pas. Il se dispute continuellement avec Vanee, qui est la seule à travailler.
La situation s’empire de jour en jour au sein du couple, jusqu’à ce que Vikash en vient aux mains. La violence conjugale s’accentue et Vikash n’hésite pas à tabasser Vanee. Des blessures aux visages, les yeux tuméfiés, souvent des fois, Vanee doit se réfugier chez des amis. « Mo ti pe ezite pou denons li. Parski mo pa ti ena oken plas pou ale. Monn sibir an silans ziska seki mo nepli kapav. »
Après quatre ans de vie commune, elle décide de rompre cette relation infernale. Un beau jour, elle a pris ses affaires et a mis les voiles. Elle a 22 ans. Mais, ses cicatrices marqueront à jamais sa vie. En brisant le silence, Vanee a permis de retrouver sa liberté. Cela fait trois ans depuis que Vanee a refait sa vie. Quoique sa vie n'est pas rose financièrement, elle avoue se sentir bien avec son nouveau conjoint, qui prend soin d'elle au quotidien.
Y a-t-il un profil des victimes ?
Virginie Bissessur souligne qu’on ne peut pas généraliser le profil de personnes qui exercent la violence. Certaines personnes ont grandi et évolué dans des milieux violents, d'où un seuil de tolérance élevé aux violences conjugales. D'autres viennent de milieux où elles n'ont jamais subi de violence. « J'entends souvent dire que les victimes n'ont qu'à partir. Cependant, quand on a la charge d'enfants et qu'on n'a pas de ressources financières, qu'on nous a éloigné de notre famille et de nos amis, que tous les jours depuis des années on a entendu qu'on est nulle, moche et qu'on mérite ce qui nous arrive, que tout est de notre faute, il ne restera plus beaucoup de forces aux victimes. Finalement, elles sortent de ces relations, essorées physiquement et psychologiquement », précise la psychologue-clinicienne, Virginie Bissessur.
Me Jenny Moteealoo : «L'éducation est l'arme à utiliser pour combattre ce fléau»
Ce n’est qu’après que l’huissier de la justice ait servi un ordre intérimaire émis par la cour au bourreau que la victime est protégée de la violence domestique, explique Me Jenny Moteealoo.
Quelle est, selon vous, la meilleure arme pour venir à bout avec la violence domestique ?
L’éducation est sans doute une des armes à utiliser. Les enfants apprennent le respect d’autrui à travers l’éducation. Souvent des fois, il s’avère que les personnes qui utilisent la violence ont été elles-mêmes témoins de violence domestique au sein de leur famille. D’où la reproduction de ce schéma dans leur couple lorsqu’ils sont adultes. Ajouter à cela, il y a aussi le statut de la femme soumise dans la société mauricienne.
Pourquoi les femmes souffrent-elles en silence ?
Une des premières raisons, c’est que la femme dépend financièrement de son mari ou de son conjoint violent. Elle a peur de le dénoncer, peur de perdre ses enfants, peur de ne plus pouvoir subvenir à leurs besoins et pire, peur de se retrouver sans un toit. Il y a aussi le regard des autres qui est un facteur qui contribue au mutisme des victimes et également le souci de réputation au sein de la société. Bref, il y a aussi la peur, le traumatisme et la hantise d’affronter l’agresseur.
Expliquez-nous c’est quoi le Protection Order ?
Le Protection Order est un ordre émis par le magistrat de la Cour de district, visant à protéger certains individus contre la violence domestique, en vertu de cette loi. Le Protection Order peut être accordé à un homme marié ou une femme mariée même si ces derniers ne vivent pas sous le même toit. Idem pour les conjoints ayant des enfants en commun mais qui ne vivent pas sous le même toit. Cet ordre peut aussi être émis à des personnes d’une même famille vivant sous le même toit. Le Protection Order s’applique aux femmes, aux hommes et également aux enfants. Cependant, même si le « Protection from Domestic Violence Act » de 1997 a été amendé à plusieurs reprises, le nombre de cas de violence domestique demeure alarmant à Maurice.
Qu’est-ce que cela implique quand le Protection Order est émis ?
Le Protection Order est un ordre de restriction visant à empêcher de commettre des actes de violence domestique. Une personne contre laquelle un ordre de protection est émis, ne doit pas commettre d’autres actes de violence envers la victime. Au cas contraire, il commet une infraction au ‘Protection Order.’
Quid du non-respect du Protection Order ?
Le non-respect du Protection Order est punissable par la loi. Donnant ainsi à la police, le pouvoir de procéder à l’arrestation de l’auteur du délit et le traduire en justice. Si l’agresseur est à son premier méfait, il risque une amende maximum de Rs 25 000 et d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas deux ans. A la deuxième tentative, l’auteur du délit risque une amende de Rs 50 000 et d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas 5 ans.
Comment rendre plus efficace le Protection Order ?
Il y a trop souvent de médiations inutiles entre époux et conjoints qui aboutissent en Cour à un simple « undertaking » et l’affaire finit par être classée. La violence domestique continue à être vue comme une affaire privée et non criminelle. Il faut donner la possibilité à une femme victime de violence domestique de poursuivre son mari/conjoint au civil. Vaincre la peur des représailles est aussi important. Idem pour l'éducation familiale, essentielle pour briser les stéréotypes. Je pense qu'il faudrait également implémenter davantage de mesures de prévention et de protection pour les victimes après l’acte de violence. C’est un mécanisme de réparation. Le viol conjugal doit être aussi considéré comme une forme de violence domestique. Offrir un soutien psychologique aux enfants qui peuvent reproduire ce schéma de violence est primordial. Il ne faut pas oublier de faire soigner et accompagner psychologiquement l'agresseur.
Solutions
Loga Virahsawmy : «Le problème de la violence est l’affaire de tous»
« La société mauricienne a changé. Maintenant, c’est du chacun pour soi. Or, nous devons changer cela. Le problème de la violence est l’affaire de tous… », martèle Loga Virahsawmy. Pour aller plus loin, elle explique que les habitants au sein des quartiers doivent s’organiser, pas uniquement pour des fêtes, mais aussi pour rapporter des problèmes comme la violence dans la famille.
« Si nous savons qu’un membre de la famille est en train de subir des violences, il faut le dénoncer. Pour se faire, il faut mettre en place des structures au sein de la force policière. Le dénonciateur doit pouvoir rester dans l’anonymat. Et la police doit aider la victime. La police doit être accompagnée par des professionnels et le langage utilisé doit inviter la victime à parler afin que la police puisse prendre des mesures. L’agresseur doit être mis en examen et incarcéré s’il le faut », précise Loga Virahsawmy.
Cette dernière regrette que souvent au lieu d’être affronté, un problème est poussé sous le tapis. Avec tout ce qui se passe aujourd’hui, personne ne peut rester les bras croisés. Elle avance que « parfois nous disons que cela ne nous concerne pas car c’est une affaire privée. Mais, des vies pourraient être sauvées avec la collaboration de tout un chacun. Il faut arrêter avec la politique de ‘apre lamor la tizann’. Autrefois, les choses n’étaient pas ainsi, chacun avait un regard sur son entourage et les actions étaient prises. Osons faire les choses différemment. Osons rapporter à la police des violences que nous témoignons au sein d’une famille. Osons prendre des risques pour sauver des vies humaines. »
L’agresseur est aussi une victime d’une circonstance de vie, fait ressortir Loga Virahsawmy. Elle insiste qu’il faut non seulement aider la victime mais aussi l’agresseur. « Il ne faut pas fermer les yeux sur des situations qui nous concernent tous. Des manifestations d’un moment n’est pas assez. Il faut des actions soutenues qui apportent des résultats constructifs. Aussi bien qu’un suivi pour s’assurer que tout va bien. Il est grand temps qu’une décision politique soit prise pour faire les choses d’une autre manière où nous sommes tous partie prenante. Mettre des protocoles et des lois ne servent à rien s’il n’y a pas des structures adéquates, des actions concrètes avec un bon monitoring, une bonne évaluation et un suivi. »
Ambal Jeanne : «On se marie pour s’épanouir et non pas pour souffrir…»
« La violence est un problème complexe », fait ressortir Ambal Jeanne, la directrice de SOS Femmes. Elle précise que l’agresseur fait croire à sa victime qu’elle ne peut pas vivre sans lui. Il y a alors des menaces qui résultent au silence. Ambal Jeanne parle d’un travail en amont qui doit se faire. « L’école est le lieu idéal où l’enfant doit non seulement apprendre des leçons d’ordre académique mais aussi il doit apprendre comment vivre en société, à la maison et plus tard avec son conjoint. Il doit aussi apprendre à résoudre ses problèmes sans violence », souligne Ambal. Cette dernière est d’avis qu’« il est grand temps de dire à nos filles que si elles se marient c’est pour le mieux et pas pour le pire. Le pire c’est lorsqu’un malheur s’abat sur vous. Si en vous mariant vous constatez que c’est une relation toxique, il faut en sortir de là. »
Ambal Jeanne est d’avis que les institutions scolaires doivent être mixtes. C’est là où filles et garçons apprennent à se connaître et à vivre ensemble. Selon elle, les liens qui unissent un homme et une femme sont importants. Raison pour laquelle elle insiste qu’« on se marie pour s’épanouir et non pas pour souffrir. Le mariage est pour réaliser un projet de vie ensemble et non pour reculer. Etre soumise ne veut pas dire subir la violence sous toutes ses formes… »
Ambal Jeanne confie que sa carrière lui a permis de rencontrer des femmes brisées, celles qui ont fait confiance à un conjoint mais qui en sont déçues par la suite. Elle persiste en disant qu’il faut regarder vers l’avenir. « En cas de problème, le couple peut aller vers une médiation ou prendre du recul. Cependant, si aucune solution n’est trouvée, ce n’est pas une fatalité. Il faut se reconstruire après un échec. Il y a des moyens pour s’en sortir tel que l’accompagnement psychologique qui permet de se remettre sur ses pieds et aller de l’avant. »
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !