Des facteurs divers liés au confinement de 2020 ont provoqué des troubles à des degrés divers à Maurice. Parmi l’isolement, le manque de contacts sociaux ou encore la rupture avec le monde du travail. Prise dans cette situation, Vijayetha Jhurry en a profité pour s’interroger sur ses objectifs dans la vie. « J’ai alors choisi de me consacrer aux autres, celles et ceux qui étaient véritablement dans le besoin », confie aujourd’hui la jeune femme. Depuis, avec des amis, elle a créé l’association Partaz enn sourire pour apporter un peu de baume dans la vie des petites gens.
Le don de soi et l’empathie sont les deux mots qui traduisent au plus près l’engagement social de Vijayetha Jhurry. Mais pour que ces mots aient un sens, il fallait qu’elle se jette à l’eau. La démarche lui est venue naturellement. « Je suis issue d’une famille très modeste, mon père était maçon et ma mère femme au foyer. Dans ma vie familiale, il y a eu des moments extrêmes, des ruptures terribles », confie la jeune femme, dont la petite soeur vit aujourd’hui à Delhi où elle a épousé un Indien.
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Avec ses notes d’excellence au primaire, elle intègre le collège Maurice Curé, où elle côtoie des gosses de riches. « Je n’ai jamais pu m’identifier avec elles, en raison de mes origines sociales que je n’ai jamais cherché à dissimuler », fait-elle ressortir. Après le secondaire, faute de moyens et pour aider sa famille, elle n’ira pas à l’université, mais se jette immédiatement dans le monde du travail.
Back Office de Cisco Mauritius
Elle s’engage d’abord pour trois années dans le « back office » de Cisco Mauritius où elle terminera comme Team Leader. Puis, elle intègre le service outsourcing de la Barclays Bank où elle dirige l’équipe de recouvrement. En 2019, elle rejoint Ceridian où elle occupera le poste d’Associate Manager. En mars 2020, lorsque la Covid-19 frappe indistinctement Maurice, comme des dizaines de milliers de salariés, elle se retrouve au chômage sans possibilité de télétravail. « En l'absence de mes parents, partis rendre visite à ma sœur en Inde juste avant le confinement, je me suis soudainement retrouvée livrée à moi-même. Je partais seule acheter les courses, mais je vivais également dans une angoisse constante de perdre mes parents dans un pays qui disposait de peu de ressources pour faire face à la pandémie », se souvient-elle encore.
Prise de conscience
C’est à ce moment que s’opère une prise de conscience chez elle face à une pandémie qui fauche des vies entières partout dans le monde. « Je me suis posé des questions sur le sens que je voulais donner à ma vie, sur les heures passées à travailler et sans aucune minute pour les personnes autour de moi et qui sont dans le vrai dénuement. J’étais stressée et proche de la rupture psychologique. Il y avait des douleurs et des blessures en moi. Aussi, j’ai pensé à Dieu, mais j’ai choisi la voie de la spiritualité et de la méditation plutôt qu’aux prières. J’ai commencé à réciter le mantra ‘AUM’ dans sa forme pure comme une vibration. J'ai saisi sa véritable signification, loin de ce qui m'avait été enseigné. J’étais proprement engagée dans une démarche de remise en question personnelle avec l’objectif de me réconcilier avec mes convictions intérieures. J’ai eu alors une sorte d’éveil qui m’a portée vers l’engagement en faveur des autres, il n’était plus question de penser à ma petite personne. Et je n’étais plus ce haut cadre qui touchait potentiellement quelque Rs 100 000. J’avais tourné le dos à cette spirale de désirs les uns toujours plus hauts que les autres », confie-t-elle.
Fille ‘métamorphosée’
Lorsque ses parents rentrent de l’Inde, ils retrouvent leur fille ‘métamorphosée’ et ne peuvent qu’admettre sa ‘renaissance’. En 2020, soucieuse de donner corps à ses nouvelles convictions, Vijayetha Jhurry s’engage dans l’association Awareness, à Tyack, où elle se voit confier les responsabilités de secrétaire. Cependant, au bout d’un an, elle s’en ira lorsque l’association s’engagera dans les élections villageoises. « Ça allait contre mes objectifs », dit-elle. Mais, désormais, elle avait compris que le sens de l’engagement social s'articule autour de la solidarité et l’empathie. Ainsi, avec quelques anciens collègues qui partageaient eux aussi cette philosophie, elle met sur pied l’association Partaz Enn Sourire en mars 2022. « J’ai pu monter l’association avec Sam Radhakeesoon, Sumaiya Hazaree, Runa Prayag Baworee, Bhavish Jeetun, Avinash Gunessee et Youshreen Emrith. Notre objectif partait d’un point de vue simple : faire que les gens retrouvent le sourire perdu à la suite de la pandémie. Nous pensons qu’il suffisait peu de choses pour les rendre heureux », explique-t-elle.
« La bénédiction des aînés »
Après une réunion préliminaire au BPML d'Ébène, leur première sortie est planifiée avec un déjeuner au Dubreuil Mount View Carehome, où ils vont recevoir « la bénédiction des aînés ». La suite prendra la forme d’actions de conscientisation dans des rues de la capitale. « Nous nous sommes promenés dans les allées du Caudan et du Marché Central et avons demandé aux passants de sourire. Ils se sont conformés à notre demande, ce qui nous a fait réaliser que les gens ne sont pas méchants à l'intérieur et ne se montrent pas agressifs à l'extérieur », raconte-t-elle.
Après cette première expérience de la thérapie du rire ont suivi des initiatives d'engagement solidaire. « Nous savions que les financements étaient indispensables pour cette démarche. Nous avons nous-mêmes mis la main à la poche et recherché le parrainage auprès des professionnels et commerçants. Il y a eu ainsi le fabricant de peintures Polytol qui nous a aidés à repeindre des abribus et d’autres nous ont épaulés pour offrir des cadeaux à 250 mères de famille. Mercredi dernier, l’association Médecins à Domicile, avec laquelle nous avons noué un partenariat, a offert un réfrigérateur à l’école du gouvernement de Rivière-des-Anguilles », indique-t-elle.
Intervention en milieu scolaire
L’intervention en milieu scolaire revêt une importance particulière au sein de l’association. « C’est l’âge où il faut sensibiliser aux bonnes pratiques », fait valoir Vijayetha Jhurry. Elle ajoute : « Ce sont les thématiques liées aux valeurs humaines, au leadership, à la solidarité et à la préservation de l’environnement. C’est à travers la peinture murale que nous invitons les élèves, les villageois et les enseignants à s’exprimer. Cette année, nous avons décidé de sponsoriser le parcours éducatif de deux enfants, l’un venant de la Ferme et l’autre de Bambous. Il s’agit de les accompagner du primaire jusqu’au tertiaire en passant par le secondaire », explique-t-elle.
Pour elle, il s’agit peut-être d’une goutte d’eau au vu de la détresse morale et matérielle de nombreuses familles, mais il faut bien aller vers ces dernières et leur montrer qu’elles ne sont pas seules. « Nous essayons de faire ce pas en mobilisant nos ressources, dont notre temps et notre bonne volonté. Cela donne un sens à notre vie », indique Vijayetha Jhurry qui suit depuis peu un Neuro Linguistic Programme.
Une exclue au collège Maurice Curé
Au collège Maurice Curé où elle a poursuivi ses études secondaires, Vijayetha Jhurry était une véritable exclue à cause de ses origines ouvrières. « Les autres filles le savaient bien, elles qui souvent étaient de la bourgeoisie, venaient au collège en grosses berlines et prenaient leçon sur leçon pour décrocher les bourses. C’était légitime », concède-t-elle.
Toutefois, pour l’adolescente du Sud, faire partie de l’élite relevait aussi d’un défi. « Nous étions tellement pauvres qu’on n’avait pas les moyens pour payer le ticket d’autobus jusqu’au collège à Vacoas. Je m’y suis alors dévouée, j’ai pris des chaussettes, torchons et mouchoirs auprès d’un commerçant de Tyack, je les ai mis dans un sac que j’emportais avec moi dans le bus de 6h30 pour aller au collège. Après les heures de classe, j’allais faire du porte-à-porte dans les rues de Vacoas, Curepipe, Floréal et Castel. Je percevais 10 % sur les ventes. Je dois dire qu’avec mon uniforme de collège, les gens ont éprouvé de la peine pour moi, mais il fallait bien que je sois à la hauteur dans les études. Pour trouver l’équilibre entre les études et les petits boulots, je lisais jusqu’à tard dans la nuit, tôt le matin et dans le bus. Cela a fini par forger mon caractère pour lutter contre l’adversité dans la vie », avoue-t-elle.
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