Le rapport annuel de l’Ombudperson for Children 2018-19 dénonce une hausse alarmante du nombre de cas de violence envers les enfants. Plus inquiétant encore, la plupart des auteurs de ces actes de violence sont eux-mêmes des enfants. Ces derniers, s’étant retrouvés dans le cercle vicieux de la violence, s’identifient à leurs bourreaux.
Les facteurs de cette tendance préoccupante sont nombreux, mais l’élément clé demeure la cellule familiale. Il y a eu de multiples cas de violence impliquant les enfants ces deux dernières années. En février 2019, il y avait des bagarres entre des mineurs et les autorités à la gare de l’Immigration. Sans compter de nombreux cas de harcèlement présumés en dehors des établissements scolaires, des agressions, des vols et des actes de violence physique et sexuelle impliquant des mineures. La liste est longue.
Qu’est-ce qui pousse des enfants à faire preuve de violence envers leurs petits camarades ou les autorités ? Vijay Ramanjooloo, psychologue, indique que l’enfant qui a été victime de violence réagit avec violence, car il croit que c’est normal. Le psychologue rappelle qu’il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. « Des recherches ont démontré que tout auteur de violence, grand ou petit, a un jour été lui-même une victime. Il a eu une voire plusieurs expériences traumatisantes. Il s’identifie à son bourreau et répétera les mêmes actes envers d’autres personnes, généralement d’autres enfants qui sont plus vulnérables. »
L’expérience a aussi démontré que dans 98 % des cas, les victimes et les bourreaux vivent dans une situation précaire. « La précarité est en elle-même un facteur de violence, mais pas que. On peut souvent voir le même phénomène au sein d’une famille dite bonne et des excès de violence ont été notés dans des maisons luxueuses », précise Vijay Ramanjooloo.
L’autre facteur, sans doute le plus important selon le psychologue, est la cellule familiale. Les enfants qui vivent dans des familles brisées ou en l’absence d’un des parents seront plus enclins à se laisser emporter par leurs émotions. « Il y a comme un vide chez ces enfants qui avancent dans la vie avec un handicap psychologique. Il y a également les autres problèmes comme la violence domestique, l’alcool et la drogue qui font que l’enfant vit dans un monde rempli de violence », ajoute le psychologue. « Si l’enfant a grandi dans une cellule familiale où il se sent en sécurité et où des valeurs sûres lui ont été inculquées, il réfléchira aux conséquences de ses actes avant d’agir et réagira en fonction de ce qu’il a appris. »
Sur le plan technique, il explique que le cerveau d’un enfant traumatisé par la violence ne fonctionne pas normalement. Les recherches médicales ont prouvé que le lobe préfrontal - la zone du cerveau qui a un lien avec la gestion des émotions – des enfants victimes est atrophié. « Il devient ainsi plus difficile pour l’enfant de gérer ses émotions. Ce qui le pousse à réagir avec colère et violence. »
Le psychologue fait la même analyse au sujet des adolescents. « L’adolescence est l’étape des bouleversements et des transformations physiques, psychologiques, émotionnelles et sexuelles. Mais la majorité des adolescents ne seront pas tous violents envers les autorités. La plupart du temps ce sont ceux qui ont vraiment été victimes de séquelles psychologiques qui le feront. C’est pour cette raison que la responsabilité et l’éducation parentale doivent être les priorités », explique Vijay Ramanjooloo. Il souligne qu’il y a d’autres facteurs qui peuvent influencer les enfants, comme la pression des pairs ou le harcèlement en milieu scolaire.
Rita Venkatasawmy : « Ils sont en colère car ils n’ont pas été protégés »
Dans l’entretien qui suit, l’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasawmy, explique que son bureau a rédigé le rapport à la suite d’un grand travail mené dans les sphères suivantes : la cellule familiale, les établissements scolaires, la communauté et les institutions chargées de prendre soin des enfants victimes de violence ainsi que les institutions judiciaires. Elle estime qu’il faut éduquer les Mauriciens aux droits humains et de l’enfant. « On ne peut pas réinventer la roue constamment. Il faut se focaliser sur la recherche, dans le contexte mauricien, puis venir avec de nouvelles stratégies. »
Quel est l’élément clé de ce rapport sur lequel il faut agir en toute urgence ?
L’élément clé pour combattre la violence est que les adultes soient non violents. Cela s’apprend. Je ne dis pas qu’il faut cautionner tout ce que font les enfants. Cependant, les parents doivent pouvoir faire valoir leur autorité sans utiliser la violence. Et je ne parle pas uniquement de la violence physique. Il ne faut pas non plus utiliser la violence verbale. La négligence est une autre forme de violence psychologique pour l’enfant. Pour qu’on ait des adultes non violents, il faut offrir une bonne formation aux parents et à ceux qui encadrent les enfants victimes dans les centres de réhabilitation. A contrario, si on répond à la violence par la violence, cela devient un cercle infernal.
Quels conseils donneriez-vous aux parents ?
Quand un parent sanctionne un enfant désobéissant, cela doit se faire sans violence. Le parent doit être ferme. Il doit utiliser des méthodes punitives non violentes qui feront comprendre à l’enfant que son geste n’est pas sans conséquences. Un exemple serait de le priver de certains de ses privilèges durant une certaine période. Cela montrera à l’enfant qu’il ne peut pas tout se permettre et qu’il y aura des sanctions sans pour autant utiliser la violence.
Vous mettez l’accent sur la cellule familiale…
La famille est importante. Une forme de violence qu’on voit souvent est l’aliénation parentale. Quand les parents divorcent, ils veulent que les enfants divorcent aussi. Chaque enfant a besoin de ses deux parents. J’ai moi-même été témoin d’un cas où les parents divorcés mettent une pression énorme sur les petites épaules de leur enfant, à tel point que ce dernier est venu nous voir pour nous demander de la placer dans un centre. L’un des parents a forcé l’enfant à faire de faux témoignages en cour contre l’autre parent et vice versa. Il faut une culture de paix à Maurice. C’est ce que nous allons promouvoir.
Vous avez dit qu’il y a une hausse du nombre de cas de violence envers des enfants et du nombre d’enfants qui sont eux-mêmes auteurs d’actes de violence.
Ce sont des enfants qui ont été eux-mêmes victimes de violence. Ce phénomène a d’ailleurs été souligné dans le World Report on Violence against Children des Nations unies, paru en 2006. Ces enfants ont appris le langage de la violence. Nous avons déjà eu un cas où un enfant de trois ans avait été victime de violence sexuelle. En grandissant, il a commis le même délit sur d’autres enfants. Pour lui, c’était normal.
Il faut que les enfants victimes d’abus suivent une thérapie constante afin qu’ils puissent sortir de ce cercle. Ils sont en colère, car ils n’ont pas été protégés. Les enfants confrontés à la violence subissent un choc traumatique qui peut les conduire à devenir eux-mêmes bourreaux.
Que faut-il faire pour corriger cela ?
On doit s’occuper d’eux et leur offrir un soutien psychologique. De nombreuses personnes disent que ce sont de mauvais enfants et qu’il ne faut pas les fréquenter. Mais il faut comprendre que ce sont avant tout des victimes. En tant que membres d’une nation responsable, nous devons les aider à se réinsérer dans la société.
Prenons le cas récent du père qui a été abattu par un policier à Henrietta. Il serait intéressant de voir le profil de l’agresseur afin de venir avec des solutions pour éviter ce type de drame à l’avenir. Il faut faire des recherches propres au contexte mauricien pour venir avec de nouvelles stratégies qui seront basées sur la Convention relative aux droits de l’enfant. Le comité d’experts des Nations unies a fait des observations générales que nous devons étudier. J’insiste sur l’éducation du citoyen aux droits humains et l’aspect pédagogique. Les parents d’aujourd’hui doivent être aidés. La société a évolué rapidement et ils ne savent plus comment réagir face à la nouvelle génération.
Les sphères où évolue l’enfant examinées
À Maurice, quatre sphères dans lesquelles évolue les enfants ont été identifiées lors d’un atelier de travail regroupant 65 participants émanant de 21 institutions : la cellule familiale, l’école, la communauté et les institutions d’accueil et juridiques. Ces sphères se retrouvent propulsées au-devant de la scène quand surgissent des cas de violence à l’encontre des enfants. Le but de l’exercice était de faire un constat des mesures prises et de faire des recommandations.
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