Le Premier ministre veut d’une dose proportionnelle qui maintienne l’écart entre le nombre de sièges de la majorité et celui de l’opposition au Parlement. Un « non-sens en théorie constitutionnaliste », selon les observateurs.
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« L’objectif est que l’écart se maintienne. » Cette phrase du Premier ministre, Pravind Jugnauth, pressé de questions par la presse le vendredi 21 septembre sur la formule de représentation proportionnelle (RP) qu’il a proposée, laisse perplexe. Le chef du gouvernement expliquait qu’il souhaitait que l’écart en termes de nombre de sièges obtenus par la majorité à l’issue des résultats First Past The Post (FPTP) soit maintenu après l’allocation des sièges RP.
Or, une proportionnelle qui se « maintient » relève de l’oxymore pour les constitutionnalistes interrogés par Le Défi Plus. La raison d’être de la RP est justement de réduire l’écart entre une majorité et une opposition parlementaire afin de mieux refléter le pourcentage de votes obtenus par les différents partis.
« J’ai l’impression qu’ils ne savent pas vraiment ce qu’est la RP », déclare Rajen Narsinghen, chargé de cours à l’université de Maurice et spécialiste de la Constitution. L’objectif primaire de la RP, dit-il, est de réduire l’écart entre le pourcentage de votes et le pourcentage de sièges. « Ce qu’ils disent relève du non-sens en théorie constitutionnelle ! »
Si le chargé de cours reconnaît qu’il faut trouver un équilibre entre la représentativité et la stabilité, il estime néanmoins qu’il y a des moyens plus appropriés. « Je suis d’accord pour apporter un correctif pour ne pas débalancer le vœu de l’électorat, mais la formule proposée ne fera qu’ajouter 12 députés pour rien. Nous gaspillerons l’argent public », ajoute-t-il.
Milan Meetarbhan, qui est également spécialiste de la loi constitutionnelle, estime que l’allocation des sièges RP est la partie la plus importante de la réforme électorale. Pourtant, il est resté sur sa faim : « Le papier présenté est très sommaire. La disposition la plus importante concerne l’allocation des 12 sièges additionnels. Pourtant, la formule utilisée pour la décrire est lapidaire. On ne sait pas exactement comment ces 12 sièges RP seront alloués. »
Le constitutionnaliste souligne une autre contradiction : « Comment peut-on utiliser les six ou dix sièges Best Loser pour rétablir l’équilibre ethnique et en même temps rétablir l’écart de la majorité après l’allocation des sièges RP ? Ce sont deux objectifs très différents. »
Rama Sithanen avait lui aussi commenté cette formule de RP dans une interview accordée au Défi Plus le samedi 15 septembre 2018. Selon lui, 12 députés RP ne suffiraient pas pour résoudre le déséquilibre entre les voix et les sièges obtenus. « Avec 12 sièges, l’impact sur la représentation du second parti sera très minime, voire insignifiant. On sera de retour à la case départ », avait-il déclaré. Selon lui, 20 sièges RP seraient le minimum requis pour un rééquilibrage efficace.
Il avait sévèrement critiqué la méthode de vote parallèle proposée par le Premier ministre : « C’est le modèle Sachs A que la commission avait catégoriquement rejeté, car il ne résout pas le problème de disproportion entre voix et sièges… Ce sera une catastrophe en termes de représentation des partis au Parlement… Le système sera plus perverti, car le gagnant du FPTP bénéficiera davantage de sièges de RP, même si les sept sièges pour remplacer le Best Loser System pourraient marginalement atténuer cette anomalie. »
Le combat de Rezistans ek Alternativ
La réforme électorale ne peut être dissociée du combat mené par Rezistans ek Alternativ. Une décision du Comité des Droits de l’homme des Nations unies avait donné gain de cause au parti de gauche. Ce qui avait contraint le gouvernement de l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, à procéder à un mini-amendement constitutionnel afin de ne pas obliger les candidats participant aux élections générales de 2014 d’indiquer leur appartenance ethnique. Les démarches légales de Rezistans ek Alternativ sont toujours en cours. Le mouvement de gauche a logé deux autres constitutional cases en Cour suprême. L’affaire sera prise sur le fond en mai 2019 (voir l’interview d’Ashok Subron à la page 19).
Désaccord de l’opposition : la route promet d’être longue
La loi que compte présenter le gouvernement sur la réforme électorale avant la fin de l’année bute déjà sur le désaccord de l’opposition. Celle-ci est toujours aussi farouche aux propositions gouvernementales. Elle ne s’est pas laissée convaincre par la conférence de presse du Premier ministre (PM) et ministre des Finances, Pravind Jugnauth.
Le député de la circonscription no 1 (Port-Louis Ouest/Grande-Rivière Nord-Ouest), Veda Balloomoody, soutient que le Mouvement militant mauricien (MMM) s’aligne toujours sur ce qu’a dit Paul Bérenger lors d’une conférence de presse mercredi dernier. Le leader des mauves avait fait comprendre qu’il s’oppose farouchement aux propositions du gouvernement.
Il avait aussi dit que sans le vote des députés mauves, ce projet de réforme électorale était déjà voué à l’échec. Si les mauves avaient, dans un premier temps, déclaré être favorables à la proposition de repêchage des candidats battus par les leaders, Paul Bérenger a expliqué mercredi que le MMM était finalement contre.
Présentation des bleus lundi
Le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) n’en démord pas non plus. La réforme électorale, telle que proposée, se fera sans les bleus. Kushal Lobine, porte-parole du PMSD, est clair à ce sujet. L’homme de loi qualifie la conférence de presse du PM de « non event ». Il dit surtout condamner le fait que le gouvernement suggère d’éliminer le Best Loser System sans pour autant proposer de remplacement. Il trouve, dans la foulée, irresponsable de laisser le soin aux leaders politiques de décider qui pourra obtenir un siège à l’Assemblée nationale. Il plaide une fois de plus pour un redécoupage électoral. Les bleus iront faire une présentation en ce sens lundi au siège de l’Electoral Boundaries Commission, afin de prouver les incohérences des frontières des circonscriptions.
Le député du Parti travailliste, Arvin Boolell, accueille, quant à lui, favorablement le seuil de 10 % qui permettra à un parti politique d’être éligible à la proportionnelle ainsi que les mesures visant à encourager la représentativité féminine au Parlement. Mais comme pour les autres partis de l’opposition, Arvin Boolell considère aussi que la réforme ne corrigera nullement le problème de représentativité au Parlement.
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