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Soogun Sookha : son accordéon a accompagné Raj Kapoor et Enrico Macias

Soogun Sookha La réputation de Soogun Sookha affiche un palmarès à faire pâlir les plus talentueux de nos instrumentalistes de la scène hindoustani.

C’est un virtuose vivant en un instrument rare et difficile à dompter, dont Maurice peut se vanter de posséder. Soogun Sookha est le dernier accordéoniste toujours en activité. À un mois de ses 77 ans, il se porte comme un charme. Il se souvient encore de ses années de gloire, lorsqu’il a accompagné Raj Kapoor, Mukesh ou Enrico Macias.

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De la petite rue Cannon Canning où il est domicilié à Vacoas, son nom est déjà passé dans la postérité, tant il a joué pour les grands. De l’ex-président de la République, Cassam Uteem, dont il a animé le mariage, aux concerts de Raj Kapoor et Mukesh, en passant par Enrico Macias qu’il a accompagné sur le morceau « Toi Paris, tu m’as pris dans tes bras », la réputation de Soogun Sookha affiche un palmarès à faire pâlir les plus talentueux de nos instrumentalistes de la scène hindoustani. La reconnaissance officielle n’en est pas moindre, comme l’attestent les photos prises avec deux ex-Premiers ministres.

Avant l’accordéon fut l’harmonium, auquel l’initie son père, alors qu’il est encore au collège. Plus tard, pour se faire la main, il joue dans les clubs avec un tabliste, le duo puisant dans le répertoire de Mukesh, avec les chansons d’Anari et de Shree 420. Le tournant survient lorsqu’il assiste aux concerts de Tamby Moonien, un big band de la scène orientale, dont la réputation est bien établie. « J’étais fasciné par l’accordéon, le son produit et son apport si particulier aux chansons. C’est de là qu’est née ma vocation », se souvient-il.

Il en fera part à son père qui, n’écoutant que le désir de son fils, lui offre un accordéon à Rs 75, « une petite fortune » à l’époque. La pratique de l’harmonium n’assurera pas aisément la transition vers son nouvel instrument. « J’ai appris seul à l’oreille et 'by trial and error' », confie Soogun Sookha. Plus tard, il rejoint le cercle très fermé de Gian Sobhee et Kishore Chady, respectivement tabliste et chanteur. Les répétitions, au domicile de Gian à Beau-Bassin, permettent au jeune Soogun de se perfectionner et surtout de s’intégrer à un groupe.

« Il n’y avait pas de chanson et chacun jouait de son instrument le mieux possible », raconte-t-il. Toutefois, la partie vocale ne tardera pas à faire partie du trio grâce au concours de Pardoomun, une des plus illustres voix hindoustanis de l’époque.

Amar Band

L’harmonie au sein du groupe atteint son apogée avec la constitution Amar Band auquel participeront la famille Seeruttun et José Minerve, impeccable dans l’interprétation des hits de Mohamed Rafi. « À l’époque, avec Gian et Kishore, chacun touchait Rs 2 par prestation », explique-t-il.

Au même moment, il se fait aussi inviter à l’émission de Max Moutia à la MBC où il interprète des ségas et des chansons françaises. Avec l’Amar Band, c’est une aventure qui atteint tous les coins de l’île, mais qui doit, aussi, partager la scène avec Dosti Band et Rivoli Band où officie un certain Balmick à l’accordéon. « Rivoli était une grosse formation, avec de nombreux instruments et des moyens colossaux, mais à chaque concours, j’étais classé meilleur accordéoniste, parce que je jouais la basse à l’accordéon, ce qui est difficile », explique Soogun Sookha. En 1966, durant un de ces concours, au cinéma Luna Park, 18 grands groupes, dont l’Amar Band, se mesurent. On frôle l’émeute tellement le spectacle était attendu et la foule compacte. « Ce soir-là, plus de 2 000 personnes sont retournées chez elles sans avoir pu assister au spectacle », se souvient-il.

Shanker-Jaikishen

Est-ce que l’accordéon se prêtait-il au répertoire de l’Amar Band, lorsque l'on sait qu’en amont, seuls les compositeurs Shanker-Jaikishen avaient intégré l’instrument dans leurs morceaux?

« Oui, répond sans ambages Soogun Sookha. Même d’autres chefs d’orchestres, comme Sachin Dev Burman, Laxmikant-Pyarelal et Kalyanji-Anandji, se sont servis de l’harmonium, mais seulement en appoint, alors que Shanker et Jaikishen l’ont totalement intégré dans leurs compositions. »

Raj Kapoor

Pour la petite histoire, la rencontre de ces prestigieux musiciens - dont les services ont été loués exclusivement par Raj Kapoor - avec l’accordéon est due à la participation d’un film de ce dernier au festival tchèque de Karlovy Vary. C’est l’acteur indien qui, fasciné par l’instrument, l’avait rapporté en Inde et offert à ses musiciens attitrés. Ce qui explique la réticence des autres musiciens à s’en servir. SD Burman, lui, s’en empare pour donner une dimension « nocturne » à son hit ‘Roop Tera Maastana’, du fim Aradhana, tandis que Salil Chowdhury l’inclut dans ‘Koi Hota Jisko Apna’, un titre aux accents nostalgiques du film ‘Mere Apne’.

La notoriété nationale de Soogun Sookha connaît une dimension ‘glamour’ grâce à sa participation, en 1973, à un show, à Luna Park où Raj Kapoor, invité par la famille Hateea, avait interprété, entre autres, ‘Dum Dim Diga Diga’ (Chalia) et Jeena Yahan Marna Yahan (Mera Naam Joker). «J’étais à l’accordéon et les autres membres d’Amar Band l’accompagnaient. Raj Kapoor était sympa, mais sans plus, et on ne s’est pas parlé », indique Soogun Sookha.

En 1976, c’était au tour de Mukesh de poser pied à Maurice, à l’invitation de la société Swastika. Durant son concert à l’Hôtel de Ville de Curepipe, Soogun Sookha le rejoint pour l’accompagner sur trois morceaux. Deux ans plus tard, grâce à l’entremise d’un ami PRO dans un hôtel, il demande à Enrico Macias de lui permettre de l’accompagner sur la chanson « Toi Paris, tu m’as pris dans tes bras ».

Plus tard, sa virtuosité à l’harmonium sera convoitée à travers l’île chez les petites gens comme chez les notables. « J’ai joué chez l’ex-Président Cassam Uteem et la famille Boolell et d’autres familles, beaucoup moins connues, voulaient aussi ma présence à cause de l’accordéon et j’ai varié mes cachets, selon leurs moyens. » Des dizaines d’années après, l’étoile de Soogun Sookha n’a guère pali. La pérennité de son patronyme est assurée par son fils Shailen, directeur de SpelMedia, à Londres, une société engagée dans l’événementiel et associée à la prestation à Maurice de Sonu Nigam, Shreya Goshal et autres Arjit Singh. « Grâce à mon fils, j’ai pu participer à leurs spectacles à Maurice », confie le père.

Si son salaire de ‘clerical officer’ au ministère de l’Agriculture a pu suffire pour lui garantir des revenus réguliers, il reconnaît que ses cachets d’artiste ont été déterminants pour les frais éducatifs de ses enfants, trois garçons et une fille qui est cadre réceptif dans une compagnie aérienne du Golfe. « Ma fille est très éloignée du monde des spectacles, contrairement aux garçons », dit-il.  

Un des derniers « héros » de la glorieuse époque des Bands à Maurice, Soogun Sookha est resté un homme humble et accueillant. « Je n’ai jamais recherché les honneurs et la gloire et le succès ne m’est jamais monté à la tête », lâche-t-il.

 

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