Le jeudi 8 août 2019, Trishala Ujoodha a eu 18 ans. Contrairement à ce qu’une fille de son âge aurait fait habituellement, elle a commencé sa journée en allant rendre hommage à ses parents à la stèle qui leur est dédiée à Sorèze. Trishala est l’unique enfant de Sanjay et Priya Ujhoodha, le couple qui, il y a six ans, périt dans le terrible accident de la route à Sorèze. Tout en n’oubliant pas le drame, la jeune femme veut regarder devant elle.
Comment une enfant de 11 ans réagit-elle quand elle apprend la pire des nouvelles : que sa maman et son papa sont partis, qu’elle ne les verra plus ? Comment gère-t-elle l’après-disparition? Comment vivre sans pouvoir se confier à ses parents, sans pouvoir compter sur eux quand il y a un problème, sans pouvoir courir se blottir contre eux, se réfugier dans leurs bras, quand il y a un souci ? Seule une enfant qui a vécu cela pourrait y répondre. Depuis six ans maintenant, Trishala apprend à gérer la situation.
Évidemment, une fille affectée par un tel drame ne pourrait jamais tenir le coup par elle-même. Ainsi, Trishala a eu la chance d’avoir des grands-parents admirables, tant paternels que maternels. « Quelques mois après le drame, pour ne pas être continuellement perturbée par les souvenirs, de ressentir le vide dans la maison, je suis partie habiter chez mes grands-parents maternels (âgés respectivement de 74 et 66 ans). Ils m’ont été d’un support admirable. Leur amour est immense. Ils ont tout fait pour pallier l’absence de mes parents. Je leur suis très reconnaissante », déclare-t-elle. Elle reconnaît que cela n’a pas du tout été facile pour eux : ils venaient de perdre leur fille et leur gendre, et maintenant ils devaient s’occuper de leur petite-fille.
Une demoiselle à l’apparence sereine
Trishala, nous l’avons rencontrée le jour même de ses 18 ans. Après s’être rendue en voiture, emmenée par sa grand-mère et son oncle, à la stèle de ses parents (et des sept autres personnes qui périrent dans l’accident) pour y déposer des fleurs et se recueillir, une proche amie et elle se sont rendues au food-court d’un centre commercial pour déjeuner ensemble, le temps que nous la rejoignions.
Nous avons ainsi vu une demoiselle habillée comme toute fille de son âge, arborant un sourire en permanence, même s’il y a de la tristesse dans son regard. Ses gestes et la manière dont elle parle donnent la ferme impression qu’elle est une fille forte, qui a beaucoup de courage. Nous avons alors saisi encore plus que ses grands-parents ont eu un rôle prépondérant à jouer dans le façonnement de son caractère. Certes, nous ne pouvions pas lire ce qu’il y à l’intérieur d’elle, mais l’image qu’elle dégage, c’est celle d’une fille qui accepte sa vie.
Pourquoi Trishala a-t-elle ressenti le besoin de se confier? Est-ce le fait qu’elle a eu 18 ans et qu’elle a pensé encore plus fort à ses regrettés parents ? « Vous savez, pendant tout ce temps, j’ai refoulé ma peine. Je ne me sentais pas prête pour confier les sentiments qui m’animent, de m’extérioriser. Mais maintenant que j’ai grandi un peu plus, j’ai eu envie de le faire », explique-t-elle.
Avant de nous rencontrer, la première chose qu’elle a faite pour épancher son cœur, c’est de coucher par écrit ce qu’elle ressentait. Le message qu’elle veut faire passer : tous ceux qui n’ont pas perdu leurs parents, qu’ils sachent que quand on les perd, c’est quelque chose que l’on ne peut jamais oublier.
Les derniers souvenirs
Quels sont les derniers souvenirs de ses parents ? « De mon père, qu’il m’a remis de l’argent alors que j’étais dans le bus en partance pour l’école », répond Trishala, qui n’avait pas encore 12 ans au moment des faits. Du coup, elle allait par la suite développer une phobie pour les autobus. « Normalement, c’est ma mère, de qui j’étais plus proche, qui m’accompagnait tous les jours jusqu’à l’arrêt. Même si elle travaillait, elle avait toujours du temps pour moi. Nous sortions souvent ensemble. Comme j’étais sa fille unique, j’étais bien gâtée. Elle me manque beaucoup. »
C’est terriblement dur, le jour de la Fête des mères. Que fait Trishala pour supporter cette journée particulière ? « Je reste à la maison en compagnie de ma grand-mère. Chacune comprend l’autre. Elle s’assure que je ne manque de rien », répond-elle.
Le jour du drame, ce sont un oncle et une cousine de Trishala qui sont venus la chercher à la Swami Sivananda SSS, à Bambous. La période qui a suivi a été la plus dure pour elle. Durant la nuit, elle se réveillait et se mettait à pleurer. Cela a duré plusieurs mois. Pendant deux ans, elle a été suivie par un(e) psychologue. Puis, petit à petit, avec le soutien de ses proches, elle a commencé à se ressaisir, à accepter sa situation.
18 ans. Trishala admet franchement : elle ne pourra jamais oublier ce qui s’est passé, mais maintenant qu’elle a 18 ans, elle se sent plus forte pour regarder la vie devant elle. Comme carrière, après ses études universitaires, elle pense devenir nutritionniste. Rappelons que, de leur vivant, ses parents géraient un restaurant. « Je me souviens que je pouvais obtenir à manger à n’importe quel moment », déclare-t-elle. Aujourd’hui, le restaurant a été loué à une tierce partie.
Trishala : «La peine que je ressens est toujours intense»
« J’étais la petite princesse (de mes parents) et la manière dont ils ont été arrachés de mon existence était comme si le monde autour de moi s’était écroulé. Affronter la vie a été, pour moi, le plus dur des défis. »
« On me disait souvent que ‘cela fait partie de la vie’ ou ‘passe dessus, oublie tout ça’. Mais c’était le pire moment de ma vie. Je devais me débrouiller par moi-même, mais heureusement que je n’étais pas tout à fait seule : j’ai eu la chance d’être recueillie par mes grands-parents maternels. J’ai eu la chance de bénéficier du soutien de mes proches, mais je suis particulièrement reconnaissante du support de ma grand-mère maternelle, qui a été comme une lumière dans ma vie enténébrée et sans espoir. Bien qu’elle ait perdu sa fille, elle m’a accordée tout l’amour, le support, le réconfort et l’encouragement dont j’avais besoin. Elle m’a dit qu’il y avait une partie que je ne pouvais jamais perdre : la partie qui était en moi. Ma grand-mère m’a aidée à me tenir sur mes pieds. C’est comme si Dieu m’a accordée, à travers ma grand-mère, l’amour de mes parents dont j’avais été privée. »
« Je peux dire que l’argent n’apporte pas le bonheur, c’est l’amour et l’affection qui peuvent venir en aide à quelqu’un. »
« J’ai beaucoup appris au cours des six dernières années de ma vie. Je pense que chacun de nous devrait chérir les moments qu’il/elle passe avec ses parents et les partager avec d’autres qui passent par des moments difficiles. »
« Je pense que beaucoup de gens ont peur de parler de la mort et du chagrin. Mais j’ai appris que parler d’une personne que vous êtes en train de perdre ou que vous avez perdue est vraiment important. »
« Ne pensez jamais que vos parents seront toujours là pour vous. Un jour, ils ne seront plus là. Personne ne peut vraiment les remplacer et quand ils ne seront plus, vous découvrirez alors à quel point le monde peut être froid. La peine que je ressens est toujours intense, mais peut-être qu’un jour, je pourrai dire que cela va mieux maintenant. »
« Montrez plus d’empathie envers celle ou celui qui a perdu un(e) proche. Je remercie chaque personne qui m’a soutenue. »
« J’aurais aimé que tout ce que j’ai écrit soit un rêve et non une réalité. »
Accident de Sorèze : 10 morts et une quarantaine de blessés
Une scène d’horreur. C’est ce que décrivent les témoins de cette scène du 3 mai 2013, surtout les volontaires qui étaient sur place pour venir en aide aux rescapés.
Deepchand G., chauffeur, était au volant de l’autobus pour le trajet Vacoas/Port-Louis. Selon ses dires, le bus était rempli. Il est environ 9h10. Arrivé à hauteur du virage de Sorèze, le chauffeur devait constater que ses freins avaient lâché. Le chauffeur a tenté de garder son sang-froid, se disant qu’il valait mieux emprunter la route circulaire au lieu de heurter d’autres véhicules. Cependant, l’autobus a fait plusieurs tonneaux après avoir heurté un gros drain. 10 personnes sont décédées dans cet accident, tandis qu’une quarantaine sont blessées. Tous se rappellent ce jour fatidique.
Sachant que les freins avaient lâché, le chauffeur a demandé à tous les passagers de se rendre à l’arrière de l’autobus.... Et le drame survint.
Les victimes sont : Gunness Deepchand (50 ans), Shakoontallah Ramdaursingh (48 ans), Elyn Nu Sian Chuan (24 ans), Delphine Pokun (21 ans), Sanjay Ujodha (48 ans), Priya Ujodha (40 ans), Devesh Cheeneebass (19 ans), Amreen Lallmohamed (24 ans), Kamla Devi Soobraydoo (52 ans) et Ruth Marimootoo (50 ans).
Aborder la mort avec un enfant
Pas facile de perdre un proche, encore moins ses parents. Surtout quand ce sont des enfants qui doivent faire face à une telle situation. Et comment parler de la mort à un enfant? Souvent, cela reste un concept flou et, dépendant de l’âge des enfants, il faut bien les encadrer. Le psychothérapeute Samcoomar Heeramun nous livre quelques conseils dans la manière d’aborder la mort avec un enfant.
« Tout d’abord, il est important de ne pas attendre des jours pour lui en parler. Dès que cela arrive, il est important de trouver les bons mots, selon son âge, pour aborder, avec l’enfant, le deuil. Il faut s’attendre à ce qu’il ait diverses réactions : il peut pleurer ou refuser d’accepter la mort de la personne, il peut ressentir de la colère envers la personne décédée ou la personne qui lui apprend la nouvelle. Il peut aussi se sentir mal. Parfois, les enfants n’ont pas de réactions, mais cela ne veut pas dire qu’il n’a pas de peine ».
Il conseille de ne surtout pas le garder éloigné de ce qui se passe. « La mort fait partie de la vie et il a besoin d’en savoir plus. Il a besoin de temps pour digérer cette information. Il a aussi besoin de poser des questions. S’il n’en parle pas, vous pouvez aussi lui demander s’il a des questions. Invitez-le à s’exprimer et se confier à vous. »
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