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Sanjay Matadeen : «Avec une croissance attendue de 5,3 % pour 2023, Maurice se remet doucement sur les rails»

La question de la reprise à Maurice, réelle ou mitigée, ne cesse d’interpeller les économistes et observateurs de tous bords. Si les récents chiffres de Statistics Mauritius semblent réconfortants, l’économie locale reste encore tributaire de nombreux autres facteurs, notamment « les politiques gouvernementales, les fluctuations mondiales et d’autres facteurs économiques », fait valoir Sanjay Matadeen, économiste et maître de conférences à l’Université Middlesex (Maurice). Il met en garde contre un retour au chiffre prépandémique de 3,5 %, qui est synonyme de taux moyen « si nous ne transformons pas notre économie pour devenir plus productifs et plus diversifiés ».

Est-ce que vous avez la conviction que depuis le début de 2022 jusqu’à ce jour, l’économie mauricienne post-pandémique est sur la voie de la reprise ?
Sur la base des chiffres présentés dans le récent exercice budgétaire, le Produit intérieur brut (PIB) réel a augmenté de 8,8 % en 2022 contre 3,4 % en 2021. Cette croissance a été tirée principalement par les secteurs du tourisme, de la fabrication (manufacturing), des services financiers, les services informatiques et du commerce de gros et de détail.

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Il faut se rappeler que le PIB avait chuté de près de 14,6 % en 2020. Avec une croissance attendue de 5,3 % pour 2023, on peut dire que Maurice se remet doucement sur les rails. Cependant, les perspectives de reprise économique dépendent de nombreux facteurs, notamment les politiques gouvernementales, les fluctuations mondiales et d’autres facteurs économiques.

Actuellement, nous assistons à un ralentissement de l’économie mondiale et à une possibilité de récession sur nos principaux marchés en Europe et en Amérique. Ceux-ci auront des spillover effects sur l’économie mauricienne.

Dans quelle mesure les fonds de la Mauritius Investment Corporation (MIC) et les soutiens aux salaires ont-ils été déterminants pour permettre à l’économie locale d’être résiliente ?
C’est un fait que l’aide apportée aux entreprises privées et aux travailleurs a permis d’amortir l’effet de la pandémie. Cela a permis de sauvegarder les emplois et la survie des entreprises impactées par les confinements. De nombreux gouvernements dans le monde ont fait appel à leurs banques centrales pour leur sortir de cette mauvaise phase. Bien des économistes ont été surpris de cette façon d’utiliser la structure monétaire pour résoudre un problème budgétaire. Cependant, tous s’attendaient à une intervention ponctuelle et non permanente (la création de la MIC). Que la Banque de Maurice continue de gérer le MIC a été décrié par l’International Monetary Fund (IMF), dans un passé pas trop lointain.

Est-ce que la relance dans le secteur du tourisme est un indicateur fiable de la reprise nationale ?
Non. La reprise nationale dépend aussi de la performance des autres secteurs de l’économie et le lancement de nouveaux pôles de développement. La relance dans le secteur du tourisme a montré que les visiteurs ont confiance en la destination Maurice, la façon dont la pandémie a été gérée et le travail acharné entrepris par nos hôtels pour assurer un service de renommée mondiale.

Dans la région, les Seychelles et Maldives ont aussi très bien fait, voire mieux que Maurice en termes d’arrivées et de recettes touristiques. Il nous reste encore du travail à faire. 

Selon les derniers chiffres publiés par Statistics Maurice, le taux de croissance en 2023 sera de 5,3 %, contre 8,8 % en 2022. À quoi doit-on ces chiffres en baisse ?
Comme cité précédemment, le PIB avait chuté drastiquement de 14,6 % en 2020, toute amélioration partant d’une base inférieure affichera toujours un taux élevé dans un premier temps avant de baisser. C’est un effet mathématique. En effet, le pays a enregistré un taux moyen d’environ 3,5% sur les dix dernières années avant la Covid-19. Nous allons certainement retourner à ce taux de 3,5 % si nous ne transformons pas notre économie pour devenir plus productifs et plus diversifiés.

Les conséquences de l’inflation se feront-elles ressentir pendant encore longtemps à Maurice ?
Malheureusement, les effets d’une inflation élevée continueront de persister. La raison en est principalement l’absence perçue d’une politique vigoureuse de lutte contre l’inflation. Jusqu’à présent, la politique du gouvernement a consisté essentiellement à alléger le fardeau du coût de la vie pour certaines catégories de la population par le biais de diverses allocations temporaires. Au lieu de réduire la masse monétaire en circulation, ces allocations maintiennent une demande / consommation  élevée qui maintient les tendances inflationnistes.

L’autre problème majeur est la dépréciation de la roupie mauricienne qui plombe le prix de nos importations. Le taux de change reflète les fondamentaux économiques d’un pays et la faiblesse de la roupie mauricienne est le reflet d’une économie qui a besoin d’un sérieux redressement structurel.

Il pourrait bien s’agir d’une tentative délibérée de maintenir une roupie faible pour garder nos exportations et la destination mauricienne plus compétitive avec un prix à payer pour la population. “There is no free lunch” comme le disait si bien Milton Friedman.

Au cas contraire, avec la reprise économique, nous nous attendions à une rentrée plus conséquente de devises étrangères et la stabilisation de la roupie. S’il s’agit de spéculation de la part des détenteurs de devises, devrions-nous envisager d’introduire une certaine forme de contrôle des changes. Ça marche en Inde, pourquoi pas à l’Ile Maurice !

Est-ce que le télétravail, qui avait été expérimenté avec un certain succès durant le confinement, doit être maintenu selon sa compatibilité avec certains postes ?
Oui, certainement. Le télétravail a fait ses preuves partout dans le monde durant la pandémie. Les travailleurs se sentent plus productifs et gèrent mieux leur temps et leur énergie en passant du temps de qualité avec leurs enfants et leurs proches. 

Pensez aussi aux effets positifs sur la congestion routière, la nécessité de construire moins de routes et la réduction de la facture pétrolière de notre pays.

Nous devons embarquer à la fois le secteur privé et le secteur public, le gouvernement donnant le bon exemple. Nous devrons travailler sur la législation pour encadrer cette pratique tout en protégeant les travailleurs et donner les bonnes incitations aux opérateurs privés. Malheureusement, nous n’avons pas encore vu des réflexions sérieuses sur ce dossier par nos décideurs.

Depuis ces derniers temps, la thématique de l’intelligence artificielle (IA) semble être à la mode. Au-delà de cet engouement, quels sont les réels bénéfices de cette théorie et technique dans le monde du travail ?
L’IA va révolutionner notre façon de fonctionner. Déjà, l’automatisation et l’utilisation du RPA (Robotic Process Automation) permettent aux logiciels d’apprendre et de répliquer nos actions sur un ordinateur. Ceux-ci ont permis d’automatiser des tâches répétitives comme l’ouverture de comptes bancaires, le tri et l’envoi d’emails, les rapprochements de relevés bancaires et même de partiellement compléter le travail des comptables et des programmeurs. 

Avec l’intelligence artificielle, ces robots logiciels auront plus de capacité de s’auto-apprendre et de s’auto-corriger pour devenir de plus en plus effectifs. À l’heure actuelle, l’utilisation d’outils alimentés par l’IA comme ChatGPT facilite la tâche de nombreux salariés dans divers domaines. À terme, ces outils informatiques et robots remplaceront les travailleurs.

Un des enjeux identifiés à la sortie de la Covid-19 est la nécessité de la former des compétences nouvelles afin de faire face à une économie mondiale reconfigurée par la pandémie et le conflit militaire en Ukraine. Est-ce que cet enjeu vous parait-il pertinent ?
Très pertinent, principalement pour faire face à la nouvelle normalité, mais aussi aux changements rapides qui se produisent dans le monde de la technologie comme mentionné précédemment. En fait, de nombreux pays développés, dont Singapour et le Royaume-Uni ont revu leur développement des ressources humaines juste après la pandémie de Covid-19 en élaborant des politiques nationales pertinentes à ce sujet. D’autres pays ont mis en place des politiques similaires pour faire face à la progression de l’industrie 4.0 et le web 3.0.

D’après le World Economic Forum, 50 % des emplois qui seront créés dans les dix prochaines années n’existent même pas aujourd’hui. Il est impératif de préparer notre main-d’œuvre, spécialement nos jeunes à cette nouvelle réalité.

Durant la pandémie et par la suite, des observateurs avaient plaidé pour la refonte dans le monde du travail avec un accent sur la productivité et une meilleure rétribution salariale. Comment y arriver si cette question vous semble juste ?
Avant tout, nous devons avoir un dialogue national sur cette question. De plus, les bonnes incitations et l’accès à la nouvelle technologie et aux méthodes inédites de travail devraient être disponibles pour tous, y compris les PME. Mondialement, le label ESG (Économique - Sociale - Gouvernance) prend de l’essor. Toutes les parties concernées, dont Business Mauritius, la Chambre de commerce et d’autres associations sectorielles, doivent prendre les devants sur ce dossier pour sensibiliser et préparer nos entreprises à faire face aux nouveaux défis.

Le gouvernement table sur l’extension du Metro Express dans des régions rurales pour inscrire les villes et villages dans un développement intégré. Dans quelle mesure cela est-il réalisable ?
J’ai la conviction que le métro peut devenir un game changer pour l’île Maurice. Premièrement, nous devons poursuivre l’extension du métro de l’aéroport à Grand-Baie et de Belle-Mare à Flic-en -Flac. Bien sûr, nous devrons procéder par phases au cours des 30 prochaines années. Le tout est de bien planifier.

À Hong Kong, vous pouvez trouver une infrastructure sportive/commerciale/sociale tous les 1 km sur la ligne du métro pour optimiser les retombées de celui-ci. Rappelons-nous que le métro peut fonctionner jusqu’à fort tard laissant le temps à la population pour utiliser efficacement ces infrastructures et améliorer leur bien-être. En termes de viabilité financière, à lui seul le transport de passagers ne suffira pas. Il faut ajouter d’autres modèles d’affaires comme l’exploitation de la carte électronique du Metro Express dans divers commerces et l’exploitation foncière par la compagnie.

La question de notre dépendance alimentaire de l’étranger a été posée de manière extrême en 2020. Faut-il récupérer davantage de terres agricoles pour mettre sur pied une filière agro-alimentaire à Maurice et est-ce que celle-ci vous parait-elle viable ?
Notre dépendance alimentaire reste une question rhétorique à l’ile Maurice. Il me semble que nous n’en faisons pas assez. Nous avons à la fois une pénurie de terres et une pénurie de main-d’œuvre. Encore une fois, nous devons considérer la question d’une manière holistique. Il nous faut une politique nationale sur l’utilisation des terres à Maurice. Il nous faut aussi le transfert technologique pour optimiser la production alimentaire. Collaborer avec Israël et l’Inde pour améliorer notre technologie de production et lancer des nouvelles start-ups technologiques dans le secteur est également très important.

Est-ce que la simplification du processus de recrutement de la main-d’œuvre étrangère et la suppression du ratio entre travailleurs étrangers et locaux aideront-elles les entreprises à résoudre la problématique d’insuffisance de compétences ?
C’est un pas dans la bonne direction. Il faudra voir l’impact sur le terrain afin de prendre des mesures correctives. En outre, il faudrait un contrôle strict pour préserver les droits des Mauriciens, mais aussi pour ne pas déséquilibrer le tissu social. À plus long terme, avec le vieillissement de la population, nous aurons encore plus besoin de main-d’œuvre étrangère. Il faut commencer à penser à un régime d’immigrations vers l’ile Maurice pour diverses catégories de travailleurs et d’investisseurs. Dans le même temps, l’automatisation et l’utilisation des nouvelles technologies peuvent aider à combler l’écart dans nos besoins en ressources humaines.

Est-ce que les ambitions mauriciennes d’exploiter davantage le marché africain dans le but de diversifier nos marchés d’exportation seront-elles favorisées avec la mise sur pied de zones économiques spéciales ?
Le marché africain reste un marché difficile à cause des faibles revenus de la population, des conflits et des défis logistiques. Nous commettons aussi une erreur, l’Afrique c’est 54 pays différents et cela demande une approche différenciée pour chacun d’entre eux.

Dans le passé, nous avons beaucoup entendu parler de zones économiques spéciales sur l’Afrique, mais aucun cas de réussite à ce jour. Il faut aussi se demander qui va bénéficier de ces zones économiques ! Je reste sceptique.

Comment les autorités – publiques et privées- doivent-elles répondre face à une certaine tendance d’émigration de nos compétences – mais aussi de jeunes – vers le Canada ?
J’ai beaucoup réfléchi à ce sujet. Ce qui intéresse principalement les jeunes c’est la méritocratie. Si on ne leur donne pas les mêmes chances qu’aux autres de progresser dans la vie et de s’épanouir, ils iront certainement voir ailleurs.

Les jeunes sont connectés à l’échelle mondiale et ne veulent que le meilleur pour eux-mêmes. Même si nous pouvons profiter d’une bonne vie de famille à Maurice, il y a beaucoup à faire en termes d’amélioration de nos infrastructures physiques et publiques. Si l’on examine les opportunités économiques, elles sont assez restreintes et fermées à Maurice. Est-il possible à un jeune issu de la classe moyenne d’acheter un terrain et de construire une maison aujourd’hui ?
Qu’en est-il de notre système d’éducation et de nos services de santé publics ? Au fil des ans, nous assistons à une dégradation de ces deux systèmes. En même temps, nous sommes surexploités par les opérateurs du secteur privé. Il y a un manque aigu de concurrence à Maurice. 

Qu’en est-il de la transparence, de la responsabilité, de la liberté d’expression et de l’État de droit ? Qui aura le courage d’élever ses enfants et sa famille dans une telle situation alors que les pâturages semblent plus verts ailleurs ? Si nous n’abordons pas les problèmes mentionnés ci-dessus, nous assisterons à un exode de nos jeunes cerveaux et ce phénomène aura un impact considérable sur notre main-d’œuvre et notre économie.

 

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