- Prévention, réhabilitation, réinsertion, DUAP, cannabis médical… : les enjeux d’une politique ambitieuse
La National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers (NATReSA), dissoute en 2016 sous l’impulsion de l’ancien ministre de la Santé, Anil Gayan, qui avait jugé son fonctionnement préoccupant, s’apprête à renaître de ses cendres. Cette décision, annoncée récemment par le Premier ministre Navin Ramgoolam, s’inscrit dans une volonté affichée de renforcer la réhabilitation des toxicomanes. Cependant, neuf ans après sa dissolution, des voix expertes s’élèvent pour avertir que la relance de la NATReSA ne saurait être un simple retour au modèle précédent.
« Le problème de la toxicomanie est bien plus grave aujourd’hui qu’en 2016, et il est crucial de réinventer notre approche », affirme Danny Philippe, travailleur social et chargé de prévention pour l’ONG DRIP (Développement, Rassemblement, Information et Prévention). Il est impératif que la nouvelle NATReSA opère dans un cadre rénové, adapté aux réalités de 2025, concèdent les experts et techniciens impliqués dans la politique de lutte contre la drogue, notamment au ministère de la Santé. La problématique de la toxicomanie a évolué, marquée par l’émergence de nouvelles substances, ainsi que de nouveaux profils de consommateurs.
« Une reconfiguration complète des mécanismes institutionnels associés à la lutte contre la toxicomanie s’impose. Parmi les structures à réévaluer figurent notamment le Drug Users Administrative Panel (DUAP), instauré pour arbitrer les cas des usagers de drogues, ainsi que le comité chargé d’évaluer l’éligibilité des patients au traitement à base de cannabis médical », souligne un fonctionnaire du ministère de la Santé sous le couvert de l’anonymat.
Danny Philippe abonde dans le même sens. La relance de la NATReSA ne sera pertinente que si elle repose sur une collaboration étroite entre les différents acteurs sociaux de la lutte contre la drogue, afin de développer des programmes adaptés à la réalité actuelle, dit-il. « Si la relance de la NATReSA est envisagée, il faudra aussi revoir son nom et ses objectifs, car, dans le modèle précédent, la prévention et la réduction des risques n’étaient pas prises en compte. Il est donc urgent de réformer cette instance », souligne Danny Philippe.
Au ministère de la Santé, plusieurs experts estiment, eux, qu’une relance de la NATReSA devrait prioriser la réhabilitation et la réintégration sociale des toxicomanes. « Une fois qu’un toxicomane a suivi un traitement de réhabilitation, il est crucial de poursuivre son accompagnement dans la société. Cela inclut un encadrement rigoureux pour prévenir toute rechute, mais aussi des mesures concrètes pour l’aider à retrouver un emploi stable et à rétablir des liens avec sa famille », affirme une source au ministère.
C’est dans cette optique qu’une collaboration renforcée est souhaitée avec le DUAP notamment. Au ministère de la Santé, on est d’avis que la relance de la NATReSA offrirait une opportunité d’en revoir en profondeur l’efficacité. « Le DUAP existe depuis près d’un an, et il est temps d’évaluer son efficacité. Une relance de la NATReSA constituerait le cadre idéal pour redéfinir son fonctionnement et permettre au DUAP d’opérer dans un contexte renouvelé et mieux adapté aux réalités actuelles », confie une source.
D’après les informations recueillies, le DUAP a examiné une centaine de cas de toxicomanes au cours de sa première année d’activité, les orientant vers les départements de réhabilitation du ministère. Cependant, aucune évaluation approfondie de l’impact réel de ces redirections n’a encore été réalisée. « Il serait essentiel de se pencher sur l’efficacité de ce mécanisme et de mesurer dans quelle mesure ces suivis ont réellement permis une réhabilitation durable des toxicomanes », précise un expert.
En ce qui concerne le traitement au cannabis médical, actuellement encadré par un comité d’évaluation, plusieurs voix au sein du ministère de la Santé s’accordent à dire que la politique en vigueur est bien trop restrictive. « Avec le système actuel, un médecin n’a pas l’autorisation directe de prescrire du cannabis médical à un patient. Il doit obligatoirement soumettre le cas à un comité, qui se charge ensuite de décider si ce traitement est réellement justifié. C’est un cadre beaucoup trop rigide », explique une source au ministère.
Cette rigidité contraste avec d’autres pratiques médicales. « Par exemple, un médecin peut prescrire de la codéine à un patient sans passer par une validation externe. Pourquoi alors une telle restriction pour le cannabis médical ? » s’interroge cet expert. Cette comparaison illustre une incohérence perçue dans l’approche actuelle en matière de prescription, qui ne semble pas toujours alignée sur les besoins réels des patients.
Pour ces experts, une éventuelle relance de la NATReSA pourrait marquer un tournant. Ils estiment qu’il serait opportun de revoir la politique entourant le cannabis médical dans son ensemble. L’objectif serait d’assouplir les procédures afin de redonner davantage de latitude aux professionnels de santé, tout en maintenant les garanties nécessaires pour un usage encadré et sécurisé.
Cependant, Danny Philippe plaide pour l’ouverture du débat sur le cannabis récréatif. Pour lui, la nouvelle instance devrait impérativement intégrer un espace de discussion sur cette question. « Le cannabis récréatif est désormais un enjeu majeur. Il est nécessaire d’instaurer une discussion autour de sa régulation, en tenant compte des nouvelles données sur le sujet et en élaborant des protocoles adaptés en fonction des tranches d’âge », dit-il.
Cet espace de dialogue permettrait aux différentes parties prenantes de participer activement à la définition des nouvelles orientations politiques, en particulier en matière de cannabis récréatif. « C’est un sujet qui divise la population, et il est impératif que ce débat ait lieu dans un cadre structuré, notamment à travers la relance d’une instance comme la NATReSA qui pourra s’ouvrir à ces discussions complexes », conclut le travailleur social.
Retour sur la fermeture de la NATReSA
En 2016, la décision de dissoudre la NATReSA a été prise à la suite d’une enquête révélant de graves dysfonctionnements. Les principaux problèmes identifiés concernaient la gestion administrative et financière.
Le rapport d’enquête soulignait un sous-effectif chronique, avec près de la moitié des postes non pourvus : « Sur un effectif de 28 employés, 13 postes étaient vacants. » De plus, les compétences du personnel en place étaient jugées insuffisantes. Le département financier, en particulier, souffrait d’un manque de qualifications, avec un comptable partiellement qualifié à sa tête, assisté par un seul agent et un commis.
L’enquête a également mis en évidence des irrégularités dans le respect des horaires de travail. De nombreux employés arrivaient en retard de manière récurrente, nuisant ainsi à l’efficacité de l’organisme. Le rapport précisait : « Selon les registres de présence de l’année 2011, plusieurs agents des grades techniques arrivaient à 9 h 15, à raison d’au moins 6 à 10 fois par mois. » Ces éléments ont conduit le ministre de la Santé de l’époque, Anil Gayan, à fermer la NATReSA en janvier 2016, en prévoyant la création d’une nouvelle structure.
Au-delà de ces manquements, notre source au ministère de la Santé évoque de nombreux problèmes structurels qui avaient miné cette institution : « La NATReSA était une organisation indépendante, ne relevant d’aucun ministère, et composée de représentants des ONG ainsi que du ministère de la Santé. Elle recevait des fonds publics qu’elle redistribuait aux ONG engagées dans la réhabilitation des toxicomanes et des alcooliques. Cependant, une fois ces fonds alloués, aucun mécanisme d’évaluation n’était en place pour mesurer l’efficacité des programmes de réhabilitation proposés par ces ONG. »
Selon lui, ce manque de suivi rigoureux résultait en une dilution des efforts de réhabilitation, compromettant l’objectif même de l’organisation. « Comment pouvait-on garantir que les fonds étaient utilisés efficacement et que les bénéficiaires recevaient le soutien dont ils avaient réellement besoin ? Ce vide institutionnel posait un sérieux problème », poursuit-il.
Un autre point critique relevé par ce fonctionnaire concerne les conflits d’intérêts récurrents au sein de la NATReSA. « Plusieurs représentants d’ONG siégeaient au conseil d’administration de l’organisation tout en faisant eux-mêmes des demandes pour obtenir des financements. Cela créait une situation de double casquette, où l’impartialité des décisions était compromise », souligne-t-il.
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