Pleins feux sur le paiement du 14e mois. Est-ce un droit fondamental pour tous les travailleurs ou une charge trop lourde pour les entreprises dans un contexte économique tendu ? C’était le sujet débattu par les invités de Patrick Hilbert dans l’émission « Au Cœur de l’Info » du lundi 9 décembre, sur Radio Plus.
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Incluant les retraités, le paiement du 14e mois devrait concerner plus de 750 000 personnes, faisant de cette question un sujet d’intérêt national, particulièrement pour les travailleurs. Pourtant, à la mi-décembre, ce paiement n’est toujours pas effectif, ce qui suscite de nombreuses interrogations, surtout du côté du secteur privé.
Sur le plateau de Radio Plus, divers intervenants ont exprimé leurs craintes et préoccupations. Avant d’examiner les modalités et le calendrier de ce paiement, l’économiste Takesh Luckho est revenu sur la manière dont cette promesse avait été présentée pendant la campagne électorale.
« Le paiement du 14e mois est une promesse électorale. Il a été annoncé par les deux blocs politiques. Le gouvernement sortant l’avait proposé en raison d’un boom économique, tandis que l’Alliance du Changement a mis en avant cet objectif pour renforcer le pouvoir d’achat des Mauriciens », a expliqué Takesh Luckho. Il a ajouté que le paiement sera effectué, « mais la mise en oeuvre du projet est retardée car un audit de l’état de l’économie du pays doit d’abord être réalisé ».
Ce 14e mois pourrait coûter environ Rs 14 milliards, voire plus, en fonction de la formule qui sera choisie. L’économiste souligne la nécessité d’en évaluer l’impact. « Les modalités de paiement doivent aussi être calculées. Le retard s’explique probablement par la volonté du gouvernement ‘pou pa zis done ek retrouv li ek bann konsekans plitar’. Il s’agit de déterminer comment cette mesure pourra véritablement bénéficier aux citoyens et aux consommateurs. »
Le syndicat mobilisé
Reeaz Chuttoo, de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), a rappelé que le débat sur le paiement du 14e mois remonte à 2023, lorsque l’Alliance du Changement - Xavier-Luc Duval était alors le leader de l’opposition -, l’avait proposé.
« La CTSP avait alors exprimé son objection, soulignant qu’il était plus urgent de revoir le salaire minimum après un ‘price survey’ que nous avions réalisé. Durant la campagne électorale, les deux blocs ont utilisé l’argument du 14e mois comme un bribe électoral », a-t-il précisé.
Cependant, il a également insisté sur le fait que tous les travailleurs doivent percevoir le 14e mois.
« Ceux qui ne l’auront pas sont invités à contacter la CTSP. Nous avons pris des dispositions et, si nécessaire, nous irons jusqu’en Cour suprême. » Le syndicaliste a aussi dit que certains employeurs lui ont fait savoir qu’ils ne verseront pas le 14e mois en décembre, car leurs comptes seront déjà clôturés pour le mois.
Reeaz Chuttoo a souligné qu’il est « hors de question d’exclure une partie des travailleurs, car cela n’avait pas été mentionné lors de la campagne électorale ». Autre point soulevé : « Le 14e mois doit être exempté de taxe. Il est nécessaire de trouver une nouvelle structure pour que la MRA ne prélève pas 15 % de ce montant après l’avoir payé. »
Déclaration du PM au parlement
Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress, est intervenu au téléphone pour partager son point de vue, après avoir rencontré le ministre du Travail plus tôt dans la journée. « Il nous a expliqué que le Premier ministre pourrait faire une déclaration au Parlement concernant le paiement du 14e mois. Toutefois, ce qui est crucial pour nous, en tant que mouvement syndical, c’est de nous assurer que le gouvernement tiendra sa promesse de verser ce 14e mois à tous les travailleurs, sans distinction. Nous n’avions pas été informés qu’il y aurait un ciblage pendant la campagne électorale. »
Le dirigeant syndical a également souligné que bien que le syndicat soit disposé à faire des propositions, il est hors de question que l’État verse de l’argent au patronat pour payer les employés.
« C’est l’argent des contribuables, et il n’est pas question de l’utiliser ainsi, surtout sans un audit préalable des entreprises. On ne peut pas prendre l’argent des contribuables pour le mettre dans les caisses des patrons », a-t-il insisté.
Charge additionnelle
Présent sur le plateau, le président du Regroupement Artisan Morisien, Stéphane Maurymoothoo a, lui, abordé la charge additionnelle qui pèse sur les entreprises depuis quelque temps.
« En six mois, le salaire a augmenté à plusieurs reprises. Il y a eu le salaire minimum suivi de la relativité salariale qui a eu un impact sur les entreprises. Et pendant un moment, on n’a pas pu fonctionner normalement », a-t-il expliqué.
La charge additionnelle imposée a également été traitée par François de Grivel, industriel et propriétaire de plusieurs entreprises, qui est intervenu au téléphone. « Avec les augmentations de salaires depuis 2022 et 2023 et la relativité salariale en 2024, certaines entreprises ont pu absorber la charge additionnelle des salaires, d’autres n’ont toujours pas pu le faire », a-t-il indiqué.
Pour lui, il est crucial de déterminer ce que l’économie peut réellement supporter avant de faire de telles annonces, notamment le paiement du 14e mois. « On constate que certains commerçants augmentent également les prix de leurs produits, ce qui va indirectement engendrer une inflation et un coût supplémentaire qu’il faudra un jour absorber », a-t-il fait remarquer.
Du coup, « le 14e mois n’est pas une solution favorable », mais se présente surtout comme « une démarche électorale ». Il faut souhaiter que ce sera un « one off » et non pas répétitif.
La deuxième partie de sa réflexion sur le sujet s’est portée sur la formule du paiement. « Les petites et moyennes entreprises peuvent faire face à certaines dépenses, mais pas au 14e mois, qui est une charge assez considérable. Il faudrait peut-être que le gouvernement fasse un effort financier en proposant notamment des prêts sans intérêt pendant une période limitée, trois ans à quatre ans, à payer mensuellement, un montant qui représente le 14e mois de 2024 », a-t-il proposé.
Finalement, Adilla Diouman-Mosafeer, directrice de Talent Lab, a souligné l’importance de revoir la stratégie économique du pays : « Un travail de fond est nécessaire. Il faut repenser la politique monétaire, encourager la production locale et réduire notre dépendance à l’importation. »
Des prêts sans intérêt
« Le gouvernement a une obligation morale de venir en aide aux entreprises qui ne peuvent pas payer », a déclaré Reeaz Chuttoo. Pour soutenir ces entreprises, il a suggéré la possibilité de leur offrir des prêts à taux d’intérêt très faible, voire à zéro intérêt. « Toutefois, il ne faut pas simplement distribuer de l’argent. Il doit y avoir un cahier des charges très clair pour ces entreprises bénéficiant de prêts sans intérêt », a-t-il souligné. Un autre risque, selon le syndicaliste, est que les entreprises qui paient le 14e mois puissent se déclarer incapables d’effectuer des ajustements salariaux l’année prochaine.
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