« Presque six mois après l’annonce du développement des énergies vertes, une mesure phare dans le Budget 2021-22, nous sommes toujours dans l’attente. Par contre, un Offshore Petroleum Bill est annoncé en urgence. » Observation du Professeur Khalil Elahee, de la Faculté d’ingénierie de l’université de Maurice, au moment où se tient, à Glasgow, la COP26, le sommet sur le changement climatique auquel assiste le Premier ministre, Pravind Jugnauth. « Nous n’arrivons pas à respecter l’engagement de 35 % en 2025, alors nous poussons la barre à 60 % en 2030 », poursuit-il, peu confiant en la capacité du gouvernement de proposer concrètement des mesures destinées à réduire l’émission de CO2 à Maurice.
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Le gouvernement avait-il pris des engagements lors de la précédente conférence, à Paris, en décembre 2015 ? Quels sont-ils et ont-ils été mis en œuvre ?
Lorsque nous ne pouvons tenir un engagement, le truc est d’en prendre un autre encore plus sérieux. C’est comme les enfants qui cherchent à échapper à une punition en promettant de faire mille fois mieux.
En 2015, notre engagement était de 30 % de baisse des émissions d’ici 2030. Maintenant nous avons une promesse de 40 % par rapport au « business as usual ».
En fait, pendant les 20 dernières années, les émissions ont plus que doublé. En 2020, même avec le lockdown dû à la Covid-19, nous avions eu plus de 5,200 Gg de CO2 émis alors que la cible est maintenant de 4,800 Gg en 2030.
C’est comme pour les énergies renouvelables : nous n’arrivons pas à respecter l’engagement de 35 % en 2025, alors nous poussons la barre à 60 % en 2030 comme pour faire oublier notre incapacité. Certes, ces engagements sont liés à un soutien financier global, mais là n’est pas la raison de notre échec. Nous avons les objectifs nécessaires mais nous n’avons pas le leadership pour mener à bien nos projets.
Le nombre de véhicules à essence ou au diesel augmente comme jamais avant et les incitations pour s’en procurer sont plus nombreuses que pour les véhicules électriques.»
Dans le dernier budget, le gouvernement a pris deux mesures, dont le développement des énergies vertes. Cette ambition est-elle viable ?
La mesure phare est le développement des énergies vertes, mais presque six mois après, nous sommes toujours dans l’attente. Par contre, un Offshore Petroleum Bill est annoncé en urgence.
Pour ce qui est de l’objectif de 30 % de réduction pris en 2015 à Paris, nous devions prévoir USD 1,5 milliard d’investissements uniquement dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, soit plus de Rs 60 milliards. Nous sommes loin du compte avec l’aide internationale, y compris pour l’adaptation, ne dépassant pas Rs 3 milliards.
Toutefois, le budget du gouvernement sur le climat n’est pas moindre, soit presque 2 % du PIB ou 7 % des dépenses totales. Mais il n’y a pas suffisamment pour l’atténuation, surtout l’efficacité énergétique. Le secteur privé doit s’engager au-delà du « green-washing ». Il manque un plan d’action impliquant les parties prenantes, y compris les citoyens et les foyers dans le secteur résidentiel.
J’ai appelé depuis longtemps à une Assises des Énergies Durables afin d’engager toute la population dans une révolution énergétique, une nécessité à l’heure de la résilience post-Covid-19.
Quelles sont les menaces potentielles à l’environnement de l’île Maurice, qui fait partie des Petits États insulaires en développement (PEID) ?
Selon les spécialistes, les impacts sont déjà là. Je me contente de rappeler que même s’il y a des mois ou une année avec des jours très froids, nous subissons en moyenne un réchauffement du climat. Voyez le nombre de climatiseurs dans le pays qui double tous les deux ou trois ans.
Les effets sur la santé ne sont pas étudiés. Mais ailleurs, nous savons que cela provoque des problèmes accrus, par exemple pour les personnes âgées, les asthmatiques et même les enfants.
En tant que PEID, nous voyons les zones côtières disparaître avec la montée des eaux et l’érosion. Il y a aussi, selon les experts, une perte de biodiversité.
Il manque un plan d’action impliquant les parties prenantes, y compris les citoyens et les foyers dans le secteur résidentiel.»
Quelles sont les industries mauriciennes qui menacent le plus notre environnement ?
Si en 2020 nous avons baissé de 10 % les émissions de CO2 à la suite du premier lockdown, cela est principalement lié au secteur de la production énergétique et au transport. Mais nous voyons qu’avec la fin du confinement, les émissions ont repris de plus belle.
Il n’y a qu’à voir ce qu’il se passe avec le transport. Le nombre de véhicules à essence ou au diesel augmente comme jamais avant et les incitations pour s’en procurer sont plus nombreuses que pour les véhicules électriques. La congestion routière n’a pas diminué avec les fly-overs car entrer et sortir des villes et villages importants est un calvaire.
Il y a non seulement des émissions de CO2 mais aussi, par exemple, de « black smoke » émanant notamment des autobus. Même le Metro Express demeure alimenté par des centrales à charbon et des moteurs à huile lourde surtout avec des dégâts que nous connaissons sur la nature et la santé.
Nous n’avons pas une masse critique et un recul dans le temps pour attribuer à cela la hausse des cas de cancer.
La population ne semble pas sensible aux effets de la montée des températures, la déforestation, l’absence de développement planifié de l’espace… Comment expliquer une telle indifférence ?
C’est vrai que la sensibilisation est faible. Surtout avec la Covid-19 qui est un problème immédiat qui affecte tout le monde gravement dans le quotidien. Mais tout montre que ce que nous vivons avec la pandémie est ce qui nous attend dans la durée avec le changement climatique. Contrairement à la Covid-19, le changement climatique est un défi plus lent dans le temps mais tout aussi grave, surtout pour les PEID qui sont les plus vulnérables.
Il semble que la coopération internationale ne marche pas comme il faut, que ce soit pour l’accès aux vaccins comme pour les fonds verts du climat. Le manque de sensibilisation des populations permet aux puissances politiques, économiques et culturelles de faire ce qu’elles veulent, sinon de ne pas faire ce qu’il faut. Avec la Covid-19, les économies se sont fragilisées et cette prise de conscience est plus difficile, sauf peut-être chez certains jeunes et la société civile.
Je pense que les groupes socioreligieux ont aussi échoué à rappeler ce que leurs croyances prônent sur la protection de l’environnement.
Est-ce que vous voyez l’enjeu de la protection de l’environnement faire partie des projets des développeurs ?
Malheureusement, comme l’a dit Greta Thunberg, il y a surtout du bla-bla-bla. C’est du « green-washing » dans beaucoup de cas comme ces compagnies pétrolières qui se félicitent de l’installation de quelques panneaux voltaïques, alors qu’elles polluent et détruisent la planète ailleurs.
Si vous parlez des smart cities, alors c’est une autre contradiction car celles-ci ne produisent rien ou trop peu en termes d’énergies propres.
Je pense comme beaucoup que la solution, s’il y en a, viendra uniquement d’un éveil éthique, voire moral et spirituel.»
La République de Maurice est présente à Glasgow pour la COP26. Quelle est l’importance d’y assister ?
C’est important d’y aller pour défendre l’Offshore Petroleum Bill. De dire aux pays pollueurs de nous aider contre le changement climatique que nous allons aggraver avec notre intention d’exploiter les fonds de l’océan Indien. C’est aussi un événement médiatique global même si personne ne se souvient des engagements de la précédente COP25 à Madrid.
Les pays développés doivent soutenir les pays en développement à la hauteur de USD 100 milliards par an et ils ne le font pas. Il n’y a pas de justice climatique.
Nous sommes aussi complices lorsque nous mendions pour des miettes et n’exigeons pas une compensation plus juste et, surtout, des engagements radicaux des pays pollueurs. L’objectif de moins de 1,5 dégré C de hausse d’ici 2100 est une question de survie pour les PIED comme pour l’Afrique. Nous allons faire des compromis contre une donation insuffisante, qui plus est sera surtout un moyen pour créer des emplois au Nord.
Le vrai engagement est dans la rue à Glasgow, pas dans les salons avec ceux qui y sont arrivés en jet privé à carburant fossile.
Il n’y a aucune autorité qui oblige les pays signataires des conventions à mettre en pratique les engagements pris. À quoi sert-il d’y assister et comment faire pour les convaincre d’honorer ces engagements ?
Exactement, c’est ce que je souligne dans un livre qui s’intitule « Management de l’énergie, durabilité et éthique ». Le problème n’est pas le climat, même si nous avons un problème avec le climat. Ce sont les émissions liées à l’énergie fossile qui sont à l’origine du problème.
Or s’il est certes essentiel de s’adapter, depuis la première COP à Berlin nous évitons de parler des émissions et d’avoir une agence pour les réguler. L’accord de Kyoto n’était pas suffisant. C’est pourquoi je pense comme beaucoup que la solution, s’il y en a, viendra uniquement d’un éveil éthique, voire moral et spirituel.
Il ne faut pas s’attendre à ce que les pouvoirs politiques et économiques s’y engagent, mais certains le feront. La jeunesse et la société civile, mais aussi les ONG, les régions et les entreprises peuvent faire une différence au nom d’une telle conviction.
Il y a aussi certains politiciens, scientifiques et décideurs qui peuvent ainsi faire bouger les choses.
Quelles sont les gestes que peuvent adopter les citoyens ? Les collectivités locales ont-elles les moyens d’imposer leurs propres règlements ?
Exactement, c’est aussi là qu’il faut agir. Les élections municipales arrivent mais nous aurons les élus que nous méritons. Si certains viennent de l’avant avec les projets de proximité comme pour les déchets, l’économie locale circulaire, l’énergie verte, les économies d’énergie ou encore des pistes cyclables, il est de notre devoir de citoyen de les soutenir s’ils sont compétents. Les règlements sont l’œuvre du gouvernment central mais pourquoi les citadins n’exigent-ils pas plus d’autonomie pour les collectivités locales ? Les citoyens ont une part de responsabilité mais le climat, l’écologie ou l’énergie propre ne sont pas une priorité pour la plupart d’entre eux.
Encore une fois, je crois qu’un retour à une éthique est essentiel. J’espère que beaucoup en prendront conscience, même si je suis certain qu’ils sont nombreux à préférer le statu quo ou le « business as usual ».
Il faudra agir et faire preuve de patience. C’est une question de foi, finalement.
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