L’ancien président de la Commission for Conciliation and Mediation (CCM) est considéré comme une référence en matière de négociations. Ved Prakash Torul répond qu’il n’a fait qu’appliquer son « devoir de neutralité » et la loi. Loin de l’organisme, il est toujours aussi près du monde du travail, son expertise étant utilisée par l’université de Maurice, la Cour suprême de Singapour et celle d’Afrique du Sud.
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Faut-il être un passionné pour refuser une bonne retraite après 10 années de présidence de la Commission for Conciliation and Mediation (CCM) ?
Le monde du travail, ses conflits, ses lois, sa dynamique ou ses régressions ont fait l’objet de mes études supérieures. Quand je me suis joint à ce qui était encore l’Industrial Relation Commission (IRC), j’ai réalisé qu’il existait à Maurice des pratiques qui ne permettaient pas de régler à l’amiable des conflits dans le monde du travail. Quand j’ai été nommé président de la CCM, qui a pris le relais de l’IRC, j’ai commencé par inviter les syndicats à venir me rencontrer et je leur ai demandé de m’inviter à leurs rencontres pour leur expliquer le fonctionnement de l’organisme.
À l’époque, il existait une grande demande de reconnaissance de droits syndicaux. À cause des implications de l’Employment Relations Act (ERA), qui a été amendée en 2001, il y avait du pain sur la planche. Le dialogue était absent et il y a eu beaucoup de débats, avec la contribution de l’International Labour Organisation. Il fallait amender le contenu du contrat, qui accordait beaucoup de pouvoirs au patronat, afin d’accommoder les intérêts des salariés. Puis, il manquait des mécanismes pour traiter les conflits industriels, les seuls tribunaux et l’IRC ne suffisant pas. L’état attendait beaucoup afin d’obtenir un climat de travail propice au développement de Maurice.
Ce n’est pas aussi évident lorsque deux classes sociales antagonistes sont en lutte ?
Bien sûr ! Mais moi, je n’ai pas le droit d’entrer dans un conflit idéologique. Je n’ai pas été mandaté pour questionner notre mode de développement et choisir un camp contre un autre. C’est aux législateurs de modifier les lois, si cela s’impose. Je me charge de trouver des compromis, en tenant compte des lois, mais surtout en faisant appel au bon sens des parties prenantes. Sinon, on ne progresse pas et on va tout droit vers des situations extrêmes.
Comment décririez-vous vos responsabilités ?
Nous avons toujours été sur la corde raide, mais j’avais une obligation d’honnêteté, de neutralité et de confidentialité. À mon bureau, chaque partie venait souvent pour en découdre avec l’autre. Il me fallait donc commencer par désamorcer cette logique de guerre. Puis, il fallait être très prudent durant les audiences. Il me fallait écouter avec le même intérêt les deux parties et ne jamais révéler la teneur des conversations que j’avais avec chacune d’elles en privé. J’insistais sur le fait que c’était à elles de trouver les solutions et elles repartaient avec le sentiment d’avoir obtenu quelque chose.
Quel a été le conflit le plus dur ?
Celui de 2010 opposant la Mauritius Sugar Planters Association (MSPA) au Joint Negociating Panel. La CCM était au cœur d’un conflit, avec les mêmes ingrédients que ceux ayant débouché sur les grandes grèves des années 70. Les syndicats de l’industrie sucrière réclamaient une augmentation salariale de 45 %, les sucriers en offraient 16 %. Nous étions dans un deadlock. La confédération syndicale était sur le pied de guerre. Partout à Maurice, artisans et laboureurs étaient chauffés à bloc durant des réunions quotidiennes. Il ne s’agissait plus d’un simple conflit de travail. L’issue allait avoir des conséquences sur l’économie du pays.
Comment traite-t-on une telle situation ?
Il faut garder la tête froide. Je me suis même rendu sur le terrain pour jauger du travail des artisans et des laboureurs.
Cela ne risquait-il pas d’altérer votre jugement ?
Oh non ! Les sucriers eux-mêmes connaissaient ces aspects-là. Il ne faut pas croire qu’ils venaient à la Commission les mains vides. Ils n’en étaient pas à leur premier conflit. Mais en face d’eux, il y avait Ashok Subron, issu d’un parti de gauche. Dans cette affaire, il y avait 35 terms of dispute faisant l’objet de propositions et de contre-propositions.
Comment tout le monde est-il reparti satisfait ?
Tout reposait sur le contenu des législations du travail. Il s’est trouvé que j’ai travaillé sur l’amendement apporté à l’ERA, lorsque j’étais chairman de l’IRC. En 1994, j’avais écrit les amendements, ce qui m’avait permis de maîtriser les Labour Laws. Et avec mes assistants, nous avons pu, à chaque fois, amener syndicats et patronat à la table des négociations. L’état suivait de très près ces négociations. Finalement, et après un premier refus, les deux parties ont accepté les 20 % recommandés par la Commission.
Quelle est, aujourd’hui, votre lecture de cet épisode ?
J’ai le sentiment d’avoir contribué à résoudre une crise qui aurait pu modifier profondément le cours du développement de Maurice. Nous avons montré de manière éclatante que le dialogue social primait. Sans cela, Maurice serait un pays de tous les excès. Puis, la Commission était crédible et neutre. Moi-même, je ne souffrais d’aucune suspicion. Je n’avais aucune proximité politique. Je n’étais pas à Maurice durant la période pré-indépendance.
Le dialogue peut-il tout résoudre ?
La Commission, dans la plupart des cas qui atterrissent sur sa table, cherche une solution à un blocus. On ne peut rester éternellement dans une situation de non-acceptation. Les parties doivent faire des concessions. La Commission doit, elle, créer un environnement propice à la recherche d’une solution. Parfois, le body language d’une des deux parties est indicateur de sa volonté, ou pas, de parvenir à une entente. Lorsque le dialogue échoue, c’est le tribunal qui prend le relais.
N’est-ce pas tentant de céder aux revendications des travailleurs sans en vérifier le bien-fondé ?
Vous avez raison. C’est pour éviter cela qu’il faut garder sa lucidité. Il faut une bonne combinaison des trois types d’intelligence pour ce travail : émotionnelle, sociale et intellectuelle. Il faut aussi de l’empathie et de la compassion sans qu’elles ne pervertissent votre jugement.
La connaissance des lois permet-elle, seule, de rechercher la justice ?
Pas pour moi. Je suis très croyant. C’est une conviction que je tiens de mon père, qui était pundit à New Grove, mon village natal. J’ai grandi avec ses valeurs, à la fois spirituelles et sociales. Chaque matin, en me réveillant, je demande à Dieu de m’aider dans mon travail, afin que je sois juste envers les autres. Je tire ma force de cette croyance spirituelle vivante.
Le Pr Ved Prakash en six repères
- Qualifications : Licence en anglais, Docteur en Droit, Post Graduate Diploma in Public Administration (Gold Medal), diplôme en management et en Administrative Management, entre autres.
- Cursus professionnel : professeur en Zambie, Afrique du Sud (Doyen de la faculté de Droit de l’université du Transkei) et à l’université de Maurice.
- Membre du groupe d’experts de la SADC.
- External Examiner à l’université de Cape Town pour la délivrance des licences, maîtrises et doctorats sur les lois du travail et de la sécurité sociale.
- Médiateur associé au Singapore Mediation Centre.
- 32 cas de médiation résolus à la direction de la CCM.
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