Interview

Pierre Dinan, économiste : «Une croissance de 5% est possible si…»

Pierre Dinan

Même si avec un brin précautionneux dans ses analyses, l’économiste Pierre Dinan trouve possible que le pays revive les années fastes des années ‘80 en termes économiques avec une croissance pointant à 5%. Même sans filet de protection, si Maurice s’adapte aux nouvelles conditions, elle pourra surfer sur le même taux.

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« Le boni du 13e mois peut encourager certaines frénésies d’achat, mais attention… »

Selon la Chambre de Commerce et d’Industrie, le niveau de confiance des entrepreneurs a connu une hausse durant le dernier trimestre de 2017. Qu’est-ce qui a causé ce regain ?
Si des opérateurs sont optimistes, il n’y a qu’à s’en réjouir. Sur le plan local, on peut observer la bonne performance du secteur du tourisme.

Celui de la construction est également sorti de la difficile situation où il était grâce au développement accru de l’immobilier. Ces deux développements positifs interviennent alors que l’économie mondiale connaît elle aussi un regain d’activités, notamment aux États-Unis et en Europe, avec toutefois un bémol lié au Brexit. Mais, il faut se garder d’un optimisme béat.

Pourquoi ce scepticisme ?
C’est plutôt du réalisme, car notre économie doit passer par un train de réformes.

Lesquelles, prioritairement ?
L’industrie de la canne à sucre doit en fait devenir l’industrie de l’énergie verte. Ce qui, d’une part, sauvera des plantations de cannes, d’autre part, aidera à réduire notre dépendance des énergies fossiles. Un deuxième exemple serait la nécessité de développer nos ressources marines. Il paraît que des représentants de la Banque mondiale ont rencontré des officiels du secteur public en cette fin de semaine. Quand est-ce que nous aurons vraiment une stratégie de développement de ces ressources qui sont immenses, comparativement à notre petit territoire. Un troisième fait est le secteur financier transfrontalier où les opérateurs n’ont d’autre choix que de se former et de s’équiper pour pouvoir offrir au marché international des services autres que la seule optimisation fiscale.

Pourriez-vous en citer ?
Ces services sont, à titre d’exemple, la gestion du patrimoine et ceux qui sont associés au Fintech.

Cet optimisme trouverait-il sa source du facteur saisonnier ?
L’élément saisonnier en est pour quelque chose et n’intervient chez nous qu’au début du dernier trimestre. Il y a la consommation et ce sont les secteurs du commerce et du tourisme qui en sont les porteurs.

Et la frénésie d’achat durant les fêtes de fin d’année y joue aussi...
On est organisé chez nous avec le boni du 13e mois qui peut encourager certaines frénésies d’achat. Il est recommandé d’avoir notre budget familial et personnel pour que le surplus de finances utilisé le soit à bon escient. Bien sûr qu’il est normal de se faire plaisir, mais de manière modérée.

On devrait prévoir, par ricochet, une hausse de l’indice du Produit intérieur brut (PIB)…
Quand l’activité économique augmente, cela a un effet positif sur le PIB. Il faut aussi porter l’attention sur la qualité de la croissance du PIB. À cet effet, il faut savoir que Maurice importe une grosse majorité de ce qu’elle consomme et doit payer cette facture en monnaies fortes, que sont l’Euro et le dollar américain. Ces devises s’obtiennent grâce aux exportations de nos produits et services. Lorsque le PIB augmente à travers la consommation, c’est aussi grâce aux importations.

Si on vous prend au mot, vous êtes plutôt précautionneux…
Je suis plus à l’aise si cette croissance provenait des exportations que de l’importation avec, en tête, la balance des paiements. On sait déjà que la balance commerciale (exportations moins importations) est en déficit. En conclusion, ce qu’il nous faut rechercher est une croissance du PIB causée par la production des biens et services, surtout pour l’exportation. Il y a croissance et croissance.

Le PM a dit que le programme économique de son gouvernement commence à prendre son envol. Partagez-vous cet avis ?
Je constate un fait regrettable : quatre mois après la présentation du Budget, on attend toujours la constitution d’une institution annoncée en fanfare, l’Economic Development Board. Cette instance doit être celle qui mène à bien l’évolution de notre économie. Dans cette quête de devenir un pays à hauts revenus, on n’a d’autre choix que d’utiliser au mieux possible nos ressources. On ne peut, hélas, que constater que l’exploitation de nos ressources fait encore l’objet de discussions.

Est-ce que des signes d’un décollage économique sont visibles ?
Je pense que c’est une question d’interprétation de notre Premier ministre. Moi, j’interroge les données statistiques et je constate que la croissance du PIB peine à atteindre 4% Il est bon de rappeler que le taux de croissance durant les deux dernières décennies avait été en moyenne de 5,5%.

Il faut comparer ‘like with like’ et la disparition de filets de protection, vous conviendriez…
Oui et non. Oui, car la comparaison est valable dans la mesure où il s’agit de mesurer la croissance économique dans les conditions du moment. Là où la comparaison est difficile est que les conditions ont changé. Dans les années ‘80-’90, on opérait dans un cadre largement protectionniste, ce qui n’est plus le cas. Non, car on a besoin davantage de compétitivité et de productivité. D’où le besoin de réformes économiques. Mais, il n’y a pas de raison qu’on n’ait pas les 5,5% de croissance, si on s’adapte aux nouvelles conditions.

Cette semaine, le PM s’est dit réjoui que les projets qui font queue du secteur privé avoisineraient les Rs 2 milliards. Énorme ?
Si le PM le dit, je me demande sur combien d’années s’étaleront ces investissements.

On ne parle plus du Public-Private-Partnership (PPP). Mort et enterré ?
Je pense que, compte tenu des gros investissements à faire, il faut raviver le PPP, notamment pour les infrastructures et le développement de notre zone marine.

Afin d’avoir un effet domino ?
Si ce sont des constructions auxquelles on fait référence, il y aura un effet immédiat, avec des emplois temporaires et ponctuels, mais aussi quelques-uns permanents. Pour ma part, ce qui me paraît utile, ce sont des produits d’exportation de biens et de services, comme le tourisme, le Fintech. Je reviens à l’éducation qui est essentielle pour préparer nos jeunes à ce nouveau monde technologique.

Parlons du salaire minimal. On bute encore au niveau des discussions sur le quantum…
Dans le principe, je suis pour un salaire minimal, mais il faut être raisonnable quant au quantum.

C’est quoi être raisonnable pour vous ?
Il faut arriver à permettre à un travailleur de vivre avec ce qu’il touche, sachant toutefois qu’il existe des aides gouvernementales à travers l’État providence. Il faut aussi s’assurer que les PME puissent continuer à survivre dans la mesure qu’elles sont sources d’emplois.

L’introduction de la Negative Tax divise. Une école veut que le quantum d’éligibilité soit indexé sur le salaire complet mensuel ; celle des syndicalistes s’articule autour du salaire de base, hormis les bénéfices comme les heures supplémentaires. De quel côté de la barrière êtes-vous ?
Allons du principe de base de l’Income Tax. Elle est applicable sur les salaires et les allocations (fringe benefits). Il est alors normal que la Negative Tax soit applicable comme l’Income Tax.

L’Employment Agency Bill a été présenté en deuxième lecture au Parlement mardi. Est-ce une bonne chose ?
Ce projet de loi sera bénéfique aussi longtemps qu’il n’ajoute pas davantage du poids en termes de procédures administratives. Il serait souhaitable que cette institution nous fournisse des données complètes sur l’étendu de l’emploi et du chômage à Maurice. Et aussi que l’accent soit mis sur le ‘counselling’ auprès des jeunes dans le choix des filières qui leur ouvriraient des possibilités d’embauche. Si le Bill est juste pour faire de la bureaucratie, mieux vaut ne pas l’avoir. Il faut un planning pour la formation, les placements en entreprises par rapport au marché du travail. Et valoriser les métiers à travers des écoles de métiers.

 

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